L’ancien Premier ministre togolais Yawovi Agboyibo a officiellement repris samedi dernier les rênes du Comité d’action pour le renouveau (CAR), deuxième formation de l’opposition après l’Alliance nationale pour le Changement (ANC) de Jean-Pierre Fabre. Il revient pour J.A. sur la crise qui a secoué son parti et les nouvelles orientations qu’il entend insuffler à la « lutte pour l’alternance politique » au Togo.
À 73 ans, et après près de cinquante ans d’activisme pour la démocratie et les droits de l’homme, l’ancien Premier ministre (septembre 2006 – décembre 2007) pouvait aspirer à une retraite paisible. Il avait en effet laissé en 2008 la direction de sa formation à Dodji Apevon, occupant juste un poste honorifique de président d’honneur. Fin 2016, après plusieurs mois de crise, Dodji Apevon et ses soutiens avaient finalement quitté le CAR, créant leur parti : les Forces démocratiques pour la République (FDR).
Réélu le 14 janvier à la tête du CAR, le « bélier noir », a officiellement été installé le samedi 21 janvier. Avec Jeune Afrique, il évoque les raisons de ce retour, ses priorités et sa stratégie de conquête du pouvoir.
Jeune Afrique : Comment se porte le CAR aujourd’hui après ces mois de bataille par médias interposés ?
Yawovi Agboyibo : Il y a eu une épreuve, disons un bras de fer de récupération du parti. Je considère la crise que nous avons traversée comme une crise de purification. Ceux qui sont vraiment dans la ligne historique du parti vont s’affirmer pour poursuivre la lutte engagée depuis l’ouverture du Togo au multipartisme au début des années 1990. Le CAR va pouvoir renouer avec ses valeurs historiques pour une lutte pour l’alternance beaucoup plus efficace.
Votre retour à la tête du parti ne donne-t-il pas raison à ceux qui estiment que vous avez provoqué une crise juste pour en reprendre le contrôle ?
Non. J’aurais voulu voir parmi ceux qui incarnent la ligne historique du parti des personnes pour diriger le CAR. Ce qui m’aurait permis d’être dans un rôle d’accompagnement, de sage. Mais l’expérience vécue m’oblige à rester assez prudent. Je ne me suis pas engagé dans cette lutte parce que j’ai besoin du pouvoir. En fait, je ne veux plus commettre l’erreur de laisser précocement la direction du parti à un compagnon de lutte qui ne maîtriserait pas notre méthode politique.
Nous faisons tout pour que le peuple togolais s’éveille et se détermine à créer les conditions de l’alternance politique
Avez-vous fermé la porte à une éventuelle réconciliation avec les dissidents ?
Ils ont le droit d’avoir leurs convictions. Sur le terrain de la liberté de choix, je suis radical. Il faut que chacun fasse l’expérience de la liberté pour en voir les limites et juger de la nécessité de faire marche arrière ou pas. La crise est née du fait que, par ses prises de position, Dodji Apevon était soupçonné de vouloir se rapprocher de partis politiques dont la vision se démarque de celle du CAR par le peu de place qu’ils accordent au règlement de divergences politiques par le dialogue et la recherche du consensus. Je m’attendais donc à voir les dissidents rejoindre ces partis. Ce qui n’est pas le cas jusqu’ici. Il n’est donc pas exclu que dans leur cheminement, on puisse se retrouver. Tout est possible.
Que comptez-vous faire maintenant que vous avez repris la direction du CAR, pour le relever et le relancer sur l’échiquier politique togolais ?
Le premier paramètre du démocrate est le peuple. Il faudra agir de façon à ce que le peuple adhère à nos actions et accompagne le parti. Aujourd’hui nous faisons tout pour que le peuple togolais s’éveille et se détermine à créer les conditions de l’alternance politique. Ensuite nous ferons en sorte de gérer cet éveil. Nous ne sommes pas dans une logique de bras de fer permanent comme d’autres. Il faut un savoir-faire même lorsqu’on semble disposer de l’adhésion du peuple pour obtenir des victoires politiques. Il y a donc un travail d’éveil à faire. Il ne sert à rien de vouloir libérer un peuple contre son gré.
Vous avez été Premier ministre de Faure Gnassingbé entre 2006 et 2007. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur son action à la tête de l’État ?
Je considère qu’on lui a donné l’occasion de commencer à exercer un pouvoir qui risque d’être aussi long que celui de son père. Personne ne peut prédire quand ça va s’arrêter, si nous n’adoptons pas la meilleure méthode. Les choses ne vont pas bien. Il faut s’indigner. Mais il faut savoir gérer cette indignation. Si le peuple est dans l’état où il est aujourd’hui, c’est en partie de notre faute, nous leaders politiques. Le populisme haineux doit s’éclipser au profit d’une indignation raisonnable qu’il faudra savoir gérer.
Jeune Afrique