Togo : Opposer l’armée au peuple, le jeu dangereux de Faure Gnassingbé

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« Monsieur le Chef d’Etat-major général des forces armées togolaises, monsieur le général, conseiller spécial, monsieur le secrétaire général du ministère de la défense, officiers et sous-officiers, militaires de rang, gendarmes et policiers. Vous savez, notre pays le Togo est actuellement perturbé par des manifestations qui, loin d’être pacifiques comme l’autorise la loi, ont été souvent d’une grande violence. Ceux et celles, qui organisent ces manifestations, portent la lourde responsabilité des victimes que les participants ont faites et les dégâts qu’ils ont causés. Ce fut le cas de cet enfant tué à Mango et aussi à Sokodé. Ce fut également le cas de vos camarades, frères d’armes le sergent HelimAkle-Esso, le caporal-chef Atcham-NatchambaSimti lynchés et décapités par un groupe d’individus organisés et préparés à cet effet. Je veux de nouveau leur rendre hommage ici, ainsi qu’à leur famille. Ils sont allés avec courage, au bout de leur engagement, au service de la paix que nous voulons tous pour notre pays. Leurs assassins sont activement recherchés. Et tout sera mis en œuvre pour les retrouver où qu’ils se trouvent, les juger et les châtier conformément aux lois de notre République. Aujourd’hui, je suis avec vous pour vous renouveler ma confiance totale. Sous la conduite de vos Chefs, j’ai la conviction que vous vous comporterez toujours en soldats responsables face aux provocations et aux menaces de toute sorte. Je sais pouvoir compter sur votre courage et votre sens du devoir pour relever les défis qui vous seront lancés, et que sans faiblesse, nous saurons ensemble répondre à toute menace ou action terroriste qui pourrait toucher notre Nation. » Ainsi parla Faure Gnassingbé le 10 novembre 2017 devant le 3è Régime d’Infanterie de Temedja. Un véritable pavé dans la mare qui déchaine les passions et alimente les conjectures depuis quelques jours.

Cette déclaration qui fait le tour du monde et qui doit être archivée pour demain, montre à suffisance que Faure Gnassingbé est le seul donneur d’ordre de tout ce qui se passe dans les villes de Sokodé, Bafilo et Mango dont les habitants qui contestent son régime sont à ses yeux des terroristes qu’il faut éradiquer. Plus on avance, plus les divers masques que l’homme arbore pour tromper, manipuler l’opinion et la communauté internationale tombent les uns après les autres. L’intervention au 3e Régiment d’Infanterie à Témédja en est une parfaite illustration. C’est une allocution d’autant plus gravissime que l’auteur est, selon l’article 58 de la Constitution, « le garant de l’unité nationale » ; une disposition qui l’oblige à être au-dessus de la mêlée, mieux, à se garder de l’usage de toute expression tendancieuse visant à encourager une catégorie de citoyens à jouer à la vendetta sur d’autres.

Nul ne peut cautionner l’assassinat de militaires, tout comme nul ne peut accepter l’exécution des civils par les mêmes militaires. Mais dans l’entendement de Faure Gnassingbé, la vie d’un militaire est au-dessus de celle d’un civil, et c’est le comble du cynisme qui transparait dans son intervention. En rendant hommage aux deux militaires tués, en promettant de retrouver les auteurs et les châtier, selon les lois en vigueur et se gardant de dire la même chose pour les civils dont la plupart ont perdu la vie par balle, il faut un raccourci des plus cyniques non seulement pour dédouaner les auteurs de ces tueries, mais aussi les encourager à faire plus. Si tous les Togolais devaient se venger des morts que ce régime a engendrés depuis 1963 et surtout des crimes de masses commis par l’armée pour permettre à Faure Gnassingbé de prendre le pouvoir en 2005 ( plus de 1000 morts), ce pays serait depuis une jungle invivable.

Qu’un chef d’Etat, bénéficiaire d’un massacre de plus de 500 à 1000 morts en 2005 dont les auteurs se pavanent en toute impunité se permette de jouer au justicier pour deux militaires tués à Sokodé, est une provocation à l’endroit de tous ces Togolais dont les familles sont endeuillées par le long règne du père en fils. De toute façon, le moment viendra un jour où tous les assassinats ou les crimes de masse commis dans ce pays seront élucidés et leurs auteurs mis devant leurs responsabilités, car aucun Togolais ne saurait accepter que tous ces actes ignobles, ces crimes soient passés par pertes et profit.

L’armée contre le peuple, le jeu dangereux de Faure Gnassingbé

Il n’est un secret pour personne que le pouvoir des Gnassingbé au Togo n’est basé que sur l’armée. Les civils qui s’agitent, qui participent au jeu politique à travers un parti politique ne sont qu’un cache- sexe. C’est la raison principale qui pousse à chaque instant le régime à avoir recours à l’armée dès qu’il est sérieusement contesté par les populations. Les exactions en cours dans les villes de Sokodé, Bafilo, Mango, les enlèvements, les tueries, les destructions de maisons, les entraves aux libres activités des partis politiques dans cette zone par les militaires qui y sont massivement déployés avec du matériel de guerre est une stratégie bien conçue et exécutée par des gens sous la supervision de celui qui assimile ces populations à des terroristes. Faut-il le rappeler, Faure Gnassingbé est non seulement le chef suprême des armées, mais aussi le ministre de la Défense et des Anciens combattants. A ce titre, aucune sortie de troupe sur le terrain, aucun ordre ne peut être donné sans son aval. Le discours de Temedja, de par le ton, mais aussi les mots, nous renseigne davantage qu’il est lui-même au cœur de ce dispositif militaire qui répand la terreur et le sang dans ces villes et naturellement ailleurs sur le territoire. L’armée est devenue le dernier rempart d’un régime en déconfiture, en mal de légitimité, en perte de vitesse.

Vouloir dresser cette armée contre le peuple est dangereux voire suicidaire pour l’auteur lui-même. Aux militaires et agents de l’Etat, il est judicieux de rappeler l’article 21 de la Constitution togolaise du 14 octobre 1992 qui se décline en ces termes. « La personne humaine est sacrée et inviolable. Nul ne peut être soumis à la torture ou à d’autres formes de traitements cruels, inhumains et dégradants. Nul ne peut se soustraire à la peine encourue du fait de ces violations en invoquant l’ordre d’un supérieur ou d’une autorité publique. Tout individu ou agent coupable de tels actes, soit de sa propre initiative, soit sur instruction, sera puni conformément à la loi. Tout individu, tout agent de l’Etat est délié du devoir d’obéissance lorsque l’ordre constitue une atteinte grave et manifeste au respect des droits de l’homme et des libertés publiques». Au regard des termes de cet article, ils seront demain les seuls responsables du « permis de tuer » qu’on vient de leur délivrer par ce discours. Le Colonel Mohammed Khadafi a perdu le pouvoir le jour où il a qualifié son peuple de rats qu’il faut exterminer. Il ne saurait être autrement pour celui qui qualifie les populations qui veulent de liberté, de terroriste et met l’armée au travers de leur chemin.

L’armée est une émanation du peuple et ne saurait continuellement être dressée contre ce peuple car les militaires ne vivent pas non seulement en autarcie mais en plus viennent de familles de civils et retourneront à la vie civile à leur retraite. Ces gens qui partagent leur quotidien avec les civils ne sauraient continuellement accepter d’être manipulés, dressés, montés contre leurs frères et sœurs. Et il n’y a personne de plus avisé que Faure Gnassingbé pour mieux le savoir. Ses incessantes visites dans les casernes, surtout au 3e régiment de Temedja cachent bien un malaise qui se traduit par des mesures de consignation permanentes du personnel militaire alors qu’aucune urgence sécuritaire ne nécessite une telle décision. Du reste, sa démarche surréaliste et l’instrumentalisation qu’ il fait de la mort de ces deux soldats à Sokodé sont les preuves tangibles d’un homme pris de panique qui s’accroche désespérément à l’armée qu’il croit être une bouée de sauvetage.

Source : L’Alternative No.657 du 14 novembre 2017

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