Togo: les mystères autour du petit chapeau noir de Tikpi Atchadam

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Réapparu sur la scène politique togolaise, Tikpi Atchadam a redistribué les cartes de l’échiquier national. L’homme qui est depuis deux mois à l’origine des manifestations au Togo est devenu en peu de temps un adversaire très craint du pouvoir.

Sa popularité a grandi en un temps record. En quelques semaines, Tikpi Atchadam a fait bouger des lignes et sauter plusieurs codes de l’univers politique togolais. Au point où dans les différentes manifestations déjà enregistrées à Lomé et dans les autres villes du pays, des Togolais l’affublent de plusieurs titres. Tikpi Atchadam est désormais « le libérateur », le « sauveur », « l’homme sûr » et même « le guerrier ». Tikpi Salifou Atchadam, 50 ans, est originaire de Kparatao, un village de Sokodé chef-lieu de la région centrale épicentre des premiers affrontements entre forces de l’ordre et populations en août dernier. L’opposant qui est issu de l’ethnie Tem est élevé dans une famille modeste avec des parents paysans qui lui inculquent « des valeurs ». Indigné par les conditions difficiles que vivent les siens, Tikpi Atchadam se concentre sur ses études, convaincu que l’école reste la seule voie qui peut l’aider à changer les « choses un jour ».

Son baccalauréat obtenu, c’est à l’Université de Lomé qu’il fait ses premiers pas d’engagé. Ses camarades étudiants avec qui il a milité dans les mouvements estudiantins voyaient déjà en lui des qualités de leader. « Salifou était différent. Simple étudiant en droit il voulait déjà changer les choses. Il est né pour faire de la politique », confie l’un d’entre eux. Et pourtant lorsqu’il est diplômé en droit des affaires, Tikpi Atchadam rêve d’une carrière professorale sur le campus. Malgré ses résultats remarquables, son souhait de bénéficier d’une bourse d’étude à l’étranger n’est pas exaucé. « Nous avons dérangé sur le campus. A moi et à certains camarades, on nous a refusés des bourses », explique-t-il. En parallèle, il vit la conférence nationale souveraine qui débouche sur un résultat mitigé. Pour lui, les acteurs auraient pu mieux faire pour le bien des Togolais.

Politique dans l’âme

Fin lecteur, il a épluché le parcours de certains leaders africains et avoue avoir beaucoup lu sur la lutte des classes et la condition humaine. Tikpi Atchadam cite fidèlement dans chacune de ses prises de paroles des intellectuels du continent comme Cheik Anta Diop. Juriste mais également anthropologue de formation, l’homme explique que la lecture lui a fait découvrir que l’homme peut être maître de son destin s’il en prend conscience. Tikpi Atchadam a donc gravi les échelons. Il entre dans la fonction publique en devenant secrétaire général de la préfecture de Tchaoudjo puis fonctionnaire au ministère des droits de l’homme. En 2005, il prend la tête de l’ONG Care International au Togo. De ses années de fonctionnaire il a dressé un tableau « pas du tout reluisant » de son pays. Il critique les politiques de développement, dénonce la misère des populations et regrette l’absence de décentralisation qui consacre l’avenir du pays dans les mains d’une seule personne entourée de sa clique.

Pour « changer les choses », Tikpi comme l’appelle ses proches, rejoint le Parti démocratique pour le renouveau (PDR) et organise la jeunesse du parti. Mais très vite, il abandonne, et confie à un de ses camarades être « déçu de la ligne de conduite que prend le parti ». En effet, le jeune politicien a mal digéré que « le PDR s’acoquine au RPT » après le décès de Gnassingbé Eyadema en 2005. En retrait, il s’adonne à la lecture, voyage, rencontre ses anciens camarades de faculté et les convainc de créer quelque chose de nouveau pour débouter le régime Gnassingbé.

Mettre fin la dynastie Gnassingbé

En 2014, c’est tout surpris qu’une bonne partie de la population le voit arriver sur la scène politique avec le Parti National Panafricain. La plupart des jeunes qui crient désormais son nom dans les meetings ne le connaissait pas vraiment. Et certains d’entre eux l’ont considéré comme « un plaisantin » quand il a déclaré il y a trois ans vouloir en finir avec les Gnassingbé. « On avait des raisons de ne pas y croire. Certains avaient déjà eu le même discours mais ont fini par s’essouffler », déclare un jeune militant du PNP. Depuis 2014, Tikpi Atchadam a abattu un énorme travail avec différentes méthodes. Très cultivé, l’homme avait déjà des qualités naturelles. Sa posture de leader, son ton digne d’un révolutionnaire sud-américain et sa facilité à haranguer les foules. Comme ce dimanche de juillet 2017 où il réunit au stade d’Agoè-Nyivé, banlieue nord de Lomé, près de 9000 personnes. Atchadam y tient un discours proche de la population. Il explique son programme, décrit le pouvoir cinquantenaire, et peint à la tribune les failles du système qui régente les Togolais. Bien évidemment, l’opposant appuie chacune de ses idées par des citations de Ghandi, Mandela ou encore Cheikh Anta Diop.

Selon un politologue togolais, le travail de terrain effectué par Tikpi Atchadam lui permet de proposer à ses compatriotes ce qu’ils veulent, ce à quoi ils aspirent. Il faut dire qu’avec son parti le PNP, l’opposant a sillonné le pays et sensibilisé ses militants sur des actions citoyennes. Il a visité des localités délaissées par le pouvoir et qui vivent dans une indigence. Les populations ont ainsi bénéficié des enseignements et du contenu du programme du parti. Des discours du leader du PNP ont même été distribués sur DVD aux populations. Pour un éditorialiste, le travail de terrain a permis à Atchadam de construire sa popularité.

L’abnégation dans la lutte de Tikpi Atchadam

Ce n’est pourtant pas la même lecture que fait le pouvoir qui traite le PNP de mouvement politico-religieux et accuse son leader d’avoir un discours islamiste. On lui reproche ses critiques virulents, le cheval et la couleur rouge comme symboles de son parti. Les moyens d’action de l’opposant inquiètent, notamment le fait d’avoir fait renaître la pression de la rue sur le pouvoir. Pour ses proches, le natif de Kparatao est déterminé à continuer sa lutte. Mais pour y arriver, il lui faut surtout des moyens financiers. Si certaines sources du pouvoir affirment que l’opposant à des financiers en Allemagne et en Arabie Saoudite, l’homme fort du PNP aurait également comme allié financier le milliardaire américain d’origine hongroise George Soros. Ce dernier accompagne en effet l’opposition togolaise depuis son soulèvement contre le régime de Faure Gnassingbé. Cet appui financier de taille constitue un élément essentiel dans l’aboutissement de la lutte que mènent Tikpi Atchadam et ses collègues de l’opposition.

Reste que pour l’instant, le leader du PNP s’assure de bien se protéger. S’il avoue parfois craindre pour sa vie, Tikpi Atchadam est très protégé par des gardes du corps aux physiques impressionnants. Mais les médias et ses adversaires du pouvoir lui prêtent des pouvoirs mystiques. Fait remarquable, ce « petit chapeau » qui ne quitte plus sa tête lors de ses rares apparitions. Préparé par son conseiller spirituel, le chapeau lui servirait d’amulette. « Il combat un pouvoir qui a déjà assassiné des opposants. C’est normal qu’il soit préparé », justifie un membre du PNP. En attendant, la lutte engagée connaît un tournant. Se dirige-t-on vers un dialogue entre le parti au pouvoir et l’opposition ? Tikpi Atchadam et ses collègues qui exigent le retour à la constitution de 1992, le vote de la diaspora et la libération des personnes emprisonnées à l’issue des manifestations, maintiennent leurs revendications. « Tikpi est un guerrier. Il a du courage, de l’abnégation. Il peut se sacrifier pour nous », chante souvent ses partisans.

Leader naturel de l’opposition

Les chefs d’Etat de la sous-région souhaitent que la crise togolaise connaisse une issue au plus vite, avec à la clé un départ du pouvoir de Faure Gnassingbé en 2020. Le leader du PNP qui a appelé Emmanuel Macron à se prononcer sur la crise togolaise a été critiqué par certains détracteurs qui reprochent au « panafricaniste de faire appel au colon ». Est-il en train de faire capoter la lutte en demandant une intervention de la France ? Dans les rangs de l’opposition, personne ne s’est hasardé à critiquer Tikpi. « Nous ne pouvons pas mettre à dos la France. Pour faire partir Faure Gnassingbé, il faut le priver du soutien de la France », justifie même un membre de l’ANC de Jean-Pierre Fabre actuel leader de l’opposition.

A Lomé, l’ombre d’une amplification des marches de l’opposition plane. Pareil à l’intérieur du pays où des mouvements ont été réprimés. En ligne de mire, alors même que la lutte n’a pas encore abouti, toute la classe politique pense aux prochaines législatives de 2018. Cette échéance devrait encore tout bousculer. Tikpi Atchadam qui a désormais conquis le nord voit également sa popularité s’accroître au sud, a priori maîtrisé par Jean-Pierre Fabre. Plusieurs observateurs estiment déjà que les élections législatives devraient consacrées le leader du PNP dans un rôle de leader incontesté de l’opposition.

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