La réaction de la population américaine, toutes communautés confondues, face à cet acte d’un autre siècle, n’est-elle pas de nature à nous inspirer au Togo où nous assistons depuis des décennies à des tueries dues à des forces dites de l’ordre, presque impunies depuis le 13 janvier 1963 ?
Je ne m’appesantirai pas trop sur les réactions de Trump qui, à différents moments de sa présidence, s’est illustré sur la scène publique, comme un homme aux idées rétrogrades, et, sans vouloir l’invectiver, à l’esprit franchement étroit, compte tenu de certaines de ses déclarations racistes, d’une stupidité mondialement reconnue. En dehors du fait que c’est très dangereux pour l’humanité que de tels hommes arrivent au pouvoir, il est permis de penser que Trump, du point de vue du développement spirituel ( il a beau brandir la Bible en public ), n’est pas très loin du policier meurtrier. Et c’est bien dommage pour l’humanité, pour l’homme dont la vocation est de se rapprocher d’année en année, sinon à chaque étape de sa vie, de Dieu à l’image de qui il a été créé, selon la Bible. Au fond, ce que l’Amérique n’a jamais su faire, par conséquent ce que l’Occident n’a jamais sur faire, c’est de regarder son histoire en face, ses crimes contre l’humanité en face, se complaisant dans ses discours sur les droits de l’Homme, ses principes démocratiques dont il veut dispenser les leçons au monde entier. Grosso modo, la déclaration de Trump à son accession au pouvoir, « l’Amérique est de retour ! », sonne comme « la loi sauvage du capitalisme et du profit, la loi de la violence et de la puissance qui écrase l’humain est de retour ». Et dans Trump, je vois la figure de l’esclavagiste, du maître en train de faire subir à l’esclave le lynchage, la bastonnade, la pendaison, le faisant brûler vif…, dans Trump tous les actes de torture auxquels étaient soumis les Noirs. Non pas les policiers brutaux, mais Trump, droit dans ses bottes, tel qu’on le connaît, comme ayant pour mission de défendre une certaine Amérique blanche, la déshumanisation de l’homme à cause de la couleur de sa peau.
Sous le sous-titre « L’Occident est un accident, Roger Garaudy écrit dans son livre Pour un dialogue des civilisations :
Cette volonté de profit et de puissance est aussi celle du Conquistador qui n’hésite ni à franchir les limites du monde connu, ni à ravager des continents et des civilisations .
Peut-être, Trump ne pardonne-t-il pas à l’Amérique (donc à lui-même, premièrement) d’avoir eu comme prédécesseur à la Maison Blanche, un Noir. Et, n’y a-t-il pas d’autres Blancs, Américains ou Européens, illustres ou anodins, puissants ou ordinaires, qui ne sont pas encore en paix avec eux-mêmes sur cette idée qui les a longtemps taraudés et qui les taraude encore, d’un Noir président du plus puissant pays de la planète ? Tahar Ben Jelloun définit ainsi la haine raciale qui est une pulsion, en ces termes :
On est agacé par un être qui ne nous est pas familier, on pense qu’on est mieux que lui, on a un sentiment soit de supériorité soit d’infériorité par rapport à lui, on le rejette, on ne veut pas de lui comme voisin, encore moins comme ami, simplement parce qu’il est différent .
Même s’il faut nuancer, même si l’Europe de la colonisation présente des différences par rapport au racisme américain, venu après pour justifier l’esclavage, une chose est sûre : cette Amérique et cette Europe, occidentales, ont fondé leur développement technique et leur puissance d’abord sur l’esclavage des Noirs et n’inventeront que plus tard tous leurs discours, de n’importe quelle nature sur ces mêmes Noirs. Ou sur des non-Occidentaux.
Trump doit, personnellement, être agacé, en vouloir à l’histoire qu’il soit celui des présidents américains qui hérite son fauteuil d’un Noir.
Freud précise que cette haine de soi « peut se produire lorsqu’un individu hait son père de façon intense et s’identifie néanmoins à lui.
Il y a, chez Trump, comme chez certains Blancs ( pas tous, heureusement ) dans le monde entier, une véritable « haine de soi », ressurgie, surtout sous la présidence de Barack Obama, dont il faut se défouler, d’une manière ou d’une autre. L’acharnement du président actuel des États-Unis à accabler d’injures et de mépris les Noirs et les peuples africains trouve donc son origine dans cette nouvelle forme de haine de soi, quelque peu différente de celle que les Européens ont réussi à inculquer aux juifs au cours des siècles. Il s’agit de régler ses comptes avec soi-même, afin de s’assurer que ce n’est pas vrai qu’un Noir ait été Président du plus puissant pays du monde.
Voilà Trump, caricature de l’État occidental ? Non, à peine caricature. Emblème sûrement de l’État que nous copions dans nos pays africains. Dans une prosopopée, un dialogue s’engage entre deux personnages, « Lui », représentant l’Occident et, « Elle », l’Afrique ; on y peut lire, sous la plume de Jean-Pierre Paulhac :
Elle : L’État ? C’est qui ? Nous n’avons pas d’État. C’est l’illusion que vous nous avez laissée en partant. (Etes-vous jamais partis ?) Vous avez laissé le reflet de votre modèle. Regardez bien votre œuvre, passons-la au peigne fin : les cadres africains sont issus des commis de la colonisation, vous leur avez seulement appris le strict nécessaire, juste de quoi obéir, pas d’inventer.
Nous parlons souvent, dans cette série d’articles, de deux États, ou soi-disant tels, le Tchad et le Togo et de deux chefs d’État, eux aussi supposés tels, Habré et Eyadema. Le premier est un grand lettré, diplômé des plus hautes études. Le second est un ancien combattant de l’armée coloniale, presque complétement analphabète. Ce qu’ils ont en commun, c’est la prise du pouvoir par la force, avec la bénédiction de la France et l’exercice de ce pouvoir par la brutalité et la terreur, la France, et dans une certaine mesure les États-Unis, fermant les yeux sur les atrocités commises, tant que leurs intérêts économiques et leur vision géopolitique (égocentrique et ethnocentrique) sont sauvegardés. La question que nous nous posons sur ce sujet est : si Habré, qui a passé tant d’années dans les universités françaises a produit le résultat que l’on connaît aujourd’hui, quel est, en toute profondeur, celui hérité par le peuple togolais d’un ancien combattant inculte comme Eyadema, à qui son fils a succédé ? Sur la vraie culture intellectuelle de ce fils pèse un doute assez lourd. Il y a encore du travail à faire au Togo. Et ce n’est certainement pas avec la multiplication des mandats de la famille Gnassingbé que ce travail sera fait.
Lorsqu’ « Elle » dit : « Nous n’avons pas d’État », il est évident que je ne prends pas ses propos pour paroles d’Évangile. On serait même tenté de lui répliquer : « Nous avons un État, parce que nous avons des frontières, une Constitution, un hymne national, un drapeau, une police, une armée…et surtout un Chef d’État… ». Mais lorsque nous poursuivons la lecture et arrivons à la fin de la phrase au mot « inventer », c’est là que l’homme lucide peut se poser des questions : qu’avons-nous inventé ? Des frontières qui ne soient pas celles héritées de la colonisation et que ne peuvent remettre en cause des conflits entre populations, des rebellions souvent armées, des séparatistes, des terroristes, des djihadistes… ? Le sort des drapeaux et des hymnes est souvent lié à celui des frontières. Savez-vous que c’est Roland Dumas, ministre des Affaires Étrangères de la France, envoyé par Mitterrand, qui est allé négocier avec Kadhafi au moment où la Libye préparait la guerre d’invasion de la bande d’Aozou, au Nord du Tchad indépendant, sous Hissène Habré ? L’armée et la police ? Longtemps, de l’extérieur surtout, on a voulu nous faire croire que c’étaient les seuls corps réellement stables en Afrique, ce qui justifiait les coups d’État, le plus souvent soutenus, financés et même organisés par les anciens colonisateurs, et l’installation des « pouvoirs forts » dans nos pays, au gré de leurs intérêts. Constitution ? Quelle Constitution qui ne soit pas une photocopie de celle de l’ancienne métropole, ou héritée de l’époque coloniale et surtout qui ne soit pas mille fois travestie, piétinée pour permettre aux dictateurs de devenir, comme l’a, avec humour, écrit à plusieurs pages de son roman, Assèze l’Africaine , Calixthe Beyala, la romancière camerounaise, « Président démocratiquement élu à vie » ? Et, est-il besoin de préciser que, dans beaucoup de pays africains, ce sont des « experts » occidentaux qui sont les artisans de ces tripatouillages de Constitutions, en service commandé officiel ou officieux des autorités de leur pays d’origine au profit de nos « présidents démocratiquement élus à vie » ? Comme au Togo. Quant aux Chefs d’État, les exemples d’Eyadema et de sa progéniture, de Bongo et de sa progéniture, du maréchal Mobutu, de l’autre maréchal couronné Empereur Bokassa, d’Hissène Habré, tyran chassé du Tchad…nous en disent long sur la manière dont ils ont été faits et parfois défaits.
Constitution ? Poète et prophète laïque, Césaire nous apprenait beaucoup à ce sujet dans sa pièce-phare, La tragédie du Roi Christophe. Elle n’est bonne que quand elle sert la volonté, la soif d’un pouvoir illimité de nos despotes.
Christophe
…La modification de la Constitution n’est qu’un moyen grossier de m’écarter du pouvoir sous couleur de me le confier !
Au Togo, comme en Guinée actuellement, comme dans d’autres pays africains, les dirigeants pourraient adopter cette réplique et dire, un peu comme Christophe : « Modifiez la Constitution, si vous voulez, pour me donner le pouvoir, plus de pouvoir, mais jamais pour me le diminuer, surtout jamais pour m’en écarter ».
À ce prix-là, qu’on ne nous parle pas de démocratie et surtout, au Togo, qu’un prétendu G5 ne vienne pas nous en ingurgiter les leçons. La question essentielle demeure : « Qu’avons-nous inventé ? »
Ce que nos « modèles de démocratie » voudraient faire chez eux, mais ne le pourraient pas parce qu’ils se heurteraient à une forte résistance de la part, non seulement des populations mais aussi de leurs représentants élus, ce que Trump aurait déjà fait pour mettre fin aux manifestations dans l’affaire du meurtre de George Floyd, l’usage de la force, ils l’exercent en Afrique : la France ( sous Chirac et Sarkozy ) en Côte d’Ivoire, la France et les États-Unis ( Sarkozy et Obama, Hilary Clinton étant Secrétaire d’État aux Affaires Étrangères ) en Libye.
Au lieu de dialoguer avec les populations, surtout avec la famille éplorée, pour calmer les esprits, Trump enjoignant aux gouverneurs des États et aux maires d’envoyer la garde en réaction aux manifestants réclamant que justice soit faite pour la mémoire de George Floyd, et menaçant d’employer l’armée au cas où les exécutifs locaux hésiteraient à le faire, obéit-il à une pulsion différente de celle dont feraient preuve les dictateurs que nous connaissons en Afrique ? La grande différence me semble juste que tous les gouverneurs et maires américains où se déroulent les manifestations n’ont pas un esprit de mêmes dimensions étroites que le Président des États-Unis. Quand des policiers de la plus grande démocratie du monde se comportent au XXIe siècle comme des SS de l’époque hitlérienne ou comme des Ku Klux Klan (dont la fondation remonte au lendemain de la guerre de Sécession en 1877) égarés en 2020, nous avons des raisons de nous interroger : en quoi l’Occident est-il plus avancé que l’Afrique et bien placé pour nous donner des leçons?
Ce que l’on peut dire de certains policiers américains, manquerait-on de le dire des policiers français, quant à leurs comportements à l’égard de ce que l’on veut appeler des « minorités visibles » ? Je prendrai l’exemple de deux adolescents de Clichy-sous-Bois, Zyed Benna et Bouna Traoré, poursuivis par la police, et morts électrocutés dans une centrale électrique, le 27 octobre 2005, affaire dont le jugement a d’abord été sanctionné par un non-lieu pour les policiers.
En d’autres temps, d’autres violences policières, sur un fond politique, ont été perpétrées sur le sol français. Ici, c’est à un ancien Président français, François Hollande (peut-on le féliciter pour son courage sur ce plan ? ), que nous ferons appel pour en parler :
Avant d’accéder à la présidence, j’avais tenu à me rendre à Asnières le 17 octobre 2011 pour évoquer ce qui s’est passé cette nuit-là, en 1961, en pleine guerre d’Algérie. Sur le sol français, une manifestation de sympathisants du FLN avait été violemment réprimée par la police sous les ordres du préfet Maurice Papon. La brutalité avait été telle qu’elle avait provoqué la mort d’une centaine de personnes, sans que l’on n’ait jamais pu en connaître précisément le nombre. En 2012, à l’occasion du 51e anniversaire de cette tragédie, j’ai voulu, par une déclaration solennelle, reconnaître avec lucidité, au nom de la République, la sanglante répression au cours de laquelle ont été tués des Algériens qui manifestaient pour leur droit à l’indépendance. Il était temps que cette vérité fût établie. Les familles l’attendaient, le droit l’exigeaient, l’Algérie l’espérait .
Lucidité ! Cette lucidité qui peut sauver des vies humaines, des dizaines, des centaines, des milliers de vies, qui peut réconcilier un peuple avec lui-même, des dirigeants avec leurs peuples. Cette lucidité dont l’absence a entraîné la mort de millions de gens dans le monde. Cette lucidité à laquelle des gens comme moi n’ont jamais cessé d’appeler les politiciens, en particulier ceux de l’Afrique et du Togo.
En Allemagne, une affaire Oury Jallow, nom d’un jeune Guinéen brûlé vif dans une cellule de commissariat de police a pendant longtemps agité l’opinion.
Américains et Français, Reagan et Mitterrand ont favorisé l’avènement au trône d’hommes tels que Hissène Habré et Etienne Eyadema. Même s’ils ne le reconnaissent pas, même si en apparence ils reçoivent dans leurs palais nos chefs d’État avec tous les honneurs qui leur sont dus, n’est-ce pas à nous de nous interroger sur la part de sincérité et la part de mépris basées sur le racisme enfoui dans leur subconscient, qu’ils ont toujours témoigné pour nos populations. Nous en parlerons encore.
Tahar Ben Jelloun explique ainsi le racisme à sa fille :
Le racisme est un comportement assez répandu, commun à toutes les sociétés, devenu, hélas, banal, dans certains pays parce qu’il arrive qu’on ne s’en rende pas compte. Il consiste à se méfier, et même à mépriser, des personnes ayant des caractéristiques physiques et culturelles différentes des nôtres
( Á suivre )
Sénouvo Agbota Zinsou
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Source : icilome.com