Deux mois après le début des manifestations, pouvoir et opposition campent sur leurs positions. Plusieurs chefs d’État de la région tentent de proposer leurs bons offices. Chacun de son côté et, pour l’instant, sans grand succès…
«Aidez-nous ! » C’est le message des manifestants togolais aux quatorze autres pays d’Afrique de l’Ouest. À preuve, cette marche – interdite par le pouvoir – que l’opposition a organisée le 19 octobre en direction du siège de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), à Lomé. « C’est tout le peuple togolais qui attend un geste de la France, et nous croyons que le président Macron va répondre à notre appel », renchérit l’un des deux principaux chefs de l’opposition, Tikpi Atchadam, du Parti national panafricain (PNP).
Toutes les semaines depuis le 19 août, à Lomé, à Sokodé, des dizaines de milliers de manifestants aux mains nues affrontent l’appareil sécuritaire du président Faure Gnassingbé. Sans succès. Ils appellent à l’aide, mais rien ne vient. La Cedeao, que préside Faure Gnassingbé, ne dit mot. L’ONU et la France appellent timidement au « dialogue ». Silence radio ou presque.
Pression
Est-ce la conspiration du silence ? Pas si simple. En coulisses, l’heure est aux grandes manœuvres. Depuis la révolution burkinabè d’octobre 2014, la pression pèse sur le régime de Faure Gnassingbé. En mai 2015, lors d’un sommet de la Cedeao à Accra, le Ghanéen John Dramani Mahama met sur la table un protocole additionnel par lequel tous les pays de la sous-région s’engageraient à limiter à deux le nombre de mandats présidentiels. Tous les chefs d’État approuvent, sauf deux : le Gambien Yahya Jammeh et le Togolais Faure Gnassingbé. À la chute de Yahya Jammeh, en janvier 2017, le chef de l’État togolais se retrouve donc très seul. Le 19 août, lors des manifestations massives contre son régime (jusque dans son fief du nord du pays), la pression s’accentue un peu plus. Le 5 septembre, il lâche enfin du lest et fait adopter en Conseil des ministres un avant-projet de loi de révision constitutionnelle qui prévoit la limitation à deux mandats.
Si ce texte est une avancée formelle, il ne règle rien au fond. Car, comme les compteurs doivent être remis à zéro, Faure Gnassingbé, qui est au pouvoir depuis 2005, pourra se représenter en 2020 et en 2025, dans l’espoir de rester au palais jusqu’en 2030. Plusieurs dirigeants de la planète décident alors de sonder le président togolais pour savoir s’il serait prêt à renoncer de lui-même à une nouvelle candidature en 2020. Le 7 septembre, alors que les manifestants battent le pavé à Lomé, le secrétaire général de l’ONU, António Guterres, envoie le Ghanéen Mohamed Ibn Chambas auprès de Faure Gnassingbé. Le 12 septembre, la France, par la voix du Quai d’Orsay, appelle à la mise en œuvre d’une révision constitutionnelle « en cohérence avec l’accord politique global de 2006 ». Sous-entendu : si cet accord avait été appliqué, Faure Gnassingbé aurait pu se représenter en 2010 et en 2015, mais aurait dû partir en 2020. À la fin du mois de septembre, Guterres envisage de former un groupe de cinq chefs d’État d’Afrique de l’Ouest pour faire médiation. Mais le projet fait pschitt. Et aujourd’hui, tout semble bloqué.
Doléances
Pourquoi cette impasse ? Parce que « Faure ne veut aucune médiation », confie l’un de ses proches. Un groupe de cinq chefs d’États voisins ? Rejeté. Une mission de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF) ? Rejetée. Le 10 octobre, l’opposition togolaise récuse la chef de mission désignée par l’OIF, la Nigérienne Aïchatou Mindaoudou, à cause de ses prises de position pro-Faure lors des affrontements meurtriers d’avril 2005, à Lomé – « entre 400 et 500 morts », selon l’ONU. Mais le proche du chef de l’État togolais précise : « Ce que ne sait pas l’opposition, c’est que Faure lui-même refusait d’accueillir cette délégation de l’OIF. » Le 15 octobre, lors d’une rencontre très discrète à Dakar, en présence du Sénégalais Macky Sall, la secrétaire générale de l’OIF, la Canadienne Michaëlle Jean, tente de convaincre Faure Gnassingbé de changer d’avis. En vain. Est-ce par dépit ? Deux jours plus tard, Michaëlle Jean déclare, dans un communiqué, qu’elle « entend les doléances exprimées par la coalition de l’opposition togolaise et la société civile » et qu’elle « renouvelle l’entière disponibilité de l’OIF pour contribuer à la résolution de cette crise ».
La double chance de Faure Gnassingbé, c’est qu’il préside en ce moment la Cedeao et que les chefs d’État de la sous-région ne sont pas tous d’accord sur la solution de sortie de crise. Est-ce parce qu’il caresse l’idée de faire sauter le verrou des deux mandats dans son propre pays ? Le Guinéen Alpha Condé, qui préside en ce moment l’Union africaine, semble en phase avec le projet de son homologue togolais de se représenter en 2020 et en 2025. « Dans la sous-région, c’est le seul qui partage la vision de Faure », croit pouvoir affirmer le proche du chef de l’État togolais. Alpha Condé a néanmoins tenté de s’impliquer dans la résolution de la crise en recevant Faure Gnassingbé le 10 octobre, puis en invitant Jean-Pierre Fabre et Tikpi Atchadam à Conakry. S’ils n’y sont pas allés dès le 17 octobre, a par la suite expliqué le chef du PNP, c’est parce que la situation, très tendue cette semaine-là au Togo, ne le leur permettait pas. Quant au Béninois Patrice Talon, qui connaît Jean-Pierre Fabre de longue date, il est déjà venu deux fois à Lomé ce mois-ci pour essayer de rapprocher les points de vue. Sans résultat pour l’instant.
Botte secrète
Le 2 octobre à Abidjan, Alassane Ouattara a dit au ministre français de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, qu’il était disposé à s’impliquer dans la crise, comme il l’avait déjà fait en juillet 2013 et en avril 2015. Ce 20 octobre, il a dépêché à Lomé son ministre de la Défense, Hamed Bakayoko. Mais, pour l’heure, le chef de l’État ivoirien ne dévoile pas son scénario idéal et préfère laisser en première ligne son homologue ghanéen, Nana Akufo-Addo, « le plus francophone des anglophones », qui est apprécié à Lomé à la fois par le pouvoir et par l’opposition. La botte secrète d’Akufo-Addo ? Un calendrier où Faure pourrait se présenter en 2020, mais renoncerait à se représenter en 2025 – une hypothèse inacceptable pour l’opposition.
Et la France ? « Françafrique si on fait quelque chose, Françafrique si on ne fait rien », souffle un proche d’Emmanuel Macron. Est-ce le souvenir de l’expulsion, en décembre 2009, du premier secrétaire de l’ambassade de France à Lomé, Éric Bosc, coupable de relations trop cordiales avec l’opposant Kofi Yamgnane ? Visiblement, le chef de l’État français craint d’être accusé d’ingérence et préfère rester en retrait. Pour lui, fini l’époque où, comme en avril 2005, le régime togolais pouvait compter sur l’appui inconditionnel de ses voisins, notamment du Nigeria d’Olusegun Obasanjo. La révolution burkinabè est passée par là. D’après ses proches, Emmanuel Macron est également attentif au fait que, pour la première fois, l’opposition togolaise sort de son fief du Sud et mord sur l’électorat du Nord, traditionnellement favorable à la famille Gnassingbé. « Ce que Kofi Yamgnane n’a pas réussi à faire en 2010, Tikpi Atchadam est en train de le réaliser », remarque l’un de ses conseillers. Bref, Macron verrait d’un bon œil le départ de Faure Gnassingbé en 2020, mais n’ose le dire. Ce silence arrange bien le président togolais, qui fait le dos rond en attendant que l’opposition se fatigue de manifester. Comme dit l’un de ses proches, « à moins que les événements ne se précipitent, il ne bougera pas ».
Jeune Afrique