Le week-end du 19 au 20 août a été particulièrement tendu au Togo. Des manifestations simultanées organisées par un parti de l’opposition dans plusieurs villes du pays ont tourné à un affrontement avec les forces de l’ordre. Bilan officiel : deux morts et des dizaines de blessés. Décryptage.
Les manifestations organisées le 19 août par un parti d’opposition ont dégénéré, entraînant la mort d’au moins deux manifestants. Des tensions sans précédent depuis les marches organisées par le Collectif Sauvons le Togo en juin 2012. Ces événements tragiques augurent-ils une recomposition du paysage politique, notamment du côté de l’opposition ? Réponse en quatre points.
Qu’est-ce que le Parti national panafricain (PNP) ?
Le 29 novembre 2014, lorsqu’il présente officiellement son nouveau parti, créé quelques mois plus tôt, Tikpi Atchadam est entouré d’une dizaine de cadres. Face à lui, le même nombre de journalistes venus l’écouter. Avec 113 partis politiques recensés dans le pays pour 7 millions d’habitants, ce type de conférence de presse n’a rien d’exceptionnel et personne ne s’y est empressé.
Le PNP se donne alors pour objectif d’ « œuvrer pour l’enracinement de la démocratie, la bonne gouvernance, l’alternance, la conquête du pouvoir par le suffrage universel et son exercice dans le respect des valeurs de la République ». Ainsi, les manifestations de ce week-end voulaient réclamer les réformes politiques attendues depuis des années.
À 50 ans, Tikpi Atchadam n’est pas un nouveau venu en politique. Juriste et anthropologue, c’est notamment un ancien militant du Parti démocratique pour le renouveau (PDR), formation au nom de laquelle il a siégé au sein de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) au début des années 2000.
Désaccord autour des itinéraires des manifestations
Le ministère de l’Administration territoriale a reçu une demande de manifestation de la part du PNP le 4 août. Selon nos informations, une réunion s’est tenue le 10 août entre le ministère et les représentants du parti pour évoquer la tenue de l’événement. Il a été demandé à ces derniers, sur la base de l’article 48, alinéa 1 de la Constitution et à l’article 12 de la loi portant liberté de manifestations, de revoir l’itinéraire des marches pour éviter un blocage de la nationale N1, route internationale qui relie Lomé aux pays du Sahel. Les organisateurs devaient donc proposer aux autorités de nouveaux itinéraires conformes aux observations du ministère de l’Administration territoriale, ce qui n’a jamais été fait. La manifestation, il faut le rappeler, devait se tenir simultanément à Lomé, Anié, Sokodé, Bafilo et Kara.
Lors d’une conférence de presse le 17 août, le ministre de l’Administration territoriale et son collègue de la Sécurité ont indiqué que la marche n’était pas interdite mais que les organisateurs devaient changer d’itinéraire pour « éviter un blocage du pays ». « Faux prétexte », a répondu Tikpi Atchadam indiquant que « la loi du 16 mai 2011 ne donne pas la prérogative à l’autorité administrative compétente d’imposer des itinéraires aux organisateurs de manifestations pacifiques publiques ». Conséquence, le PNP a maintenu son appel à manifester sans changer l’itinéraire, contrairement au souhait des autorités.
Sokodé, épicentre des violences
Sokodé (à 338 km au nord de Lomé) est la deuxième plus grande ville du Togo. Située dans la région centrale, elle est peuplée majoritairement par les Tem, ethnie dont est issue Tikpi Atchadam. Il y a trois mois, elle avait été choisie pour accueillir la première grande manifestation du parti. Le meeting avait alors rassemblé des milliers de personnes autour de son leader au stade municipal. Sokodé s’impose de fait comme le bastion du PNP.
Si, selon le gouvernement, les manifestations à Kara, Bafilo, Anié et Lomé se sont déroulées « sans incidents majeurs », à Sokodé le bilan a été particulièrement lourd. Les autorités avancent le chiffre de deux morts tandis que le camp d’en face en déplore cinq, disparus dans des circonstances encore non élucidées. « La justice a immédiatement lancé des enquêtes pour déterminer les responsabilités parce que ce n’est pas admissible. Il y a eu 57 blessés du côté des forces de sécurité et 20 du côté des manifestants, plus deux morts. Le gouvernement tient à présenter ses condoléances aux familles éplorées et souhaite un prompt rétablissement aux blessés », a indiqué dimanche le ministre de l’Administration territoriale, Payadowa Boukpessi.
Le commissariat de la ville a été saccagé par les manifestants qui auraient emporté des armes de guerres, des pistolets automatiques et des munitions.
Le PNP, nouvel acteur majeur de l’opposition ?
Selon les observateurs, le PNP vient en un week-end de s’imposer comme acteur important de l’opposition togolaise. « Sans avoir jamais participé à une élection majeure, sans aucun député à l’assemblée nationale, le PNP est manifestement devenu le premier parti dont le pouvoir a peur au Togo », a indiqué Gerry Taama, candidat malheureux à la présidentielle de 2015.
De fait, l’opposition a quasi unanimement condamné les violences survenues le 19 août, rejetant la responsabilité des troubles sur les autorités. Tikpi Atchadam a d’ailleurs lancé un appel le 20 août à Jean-Pierre Fabre, chef de file de l’opposition pour « prendre des mesures nécessaires dans le sens de l’amplification des mouvements à l’intérieur comme à l’extérieur du pays ». Un appel accueilli favorablement par son destinataire.
Reste que cet épisode ouvre une page qui peut potentiellement se révéler explosive pour une opposition habituée aux batailles de leadership en son sein.
Face à elle, le parti Union pour la république (Unir, au pouvoir) affiche son unité et surtout son soutien au chef de l’État. « Unir continuera à œuvrer avec constance en vue de la consolidation du processus de réconciliation nationale et pour un aboutissement rapide des réformes politiques engagées par le président de la République et le gouvernement, dans un esprit de dialogue et de concertation », a indiqué le parti dans un communiqué.
Jeune Afrique