« Le pouvoir est comme de l’alcool. Après un premier verre, on est joyeux comme un agneau. Au second, c’est comme si on avait mangé du lion. On se sent si fort qu’on n’accepte plus d’être contesté. On veut tout imposer à tout le monde, comme le lion dans la savane. Au troisième verre, on est comme le cochon, on ne peut faire que des cochonneries » – Amadou Hampaté Ba
Le Togo est de nouveau secoué par une de ces crises instrumentales dont la dictature et une certaine opposition ont le secret : le récurrent jeu de dupe institutionnel dont la seule victime est le peuple. La nouvelle trouvaille est une réécriture de la constitution en vue de la pérennisation de M. Faure Gnassingbé au pouvoir. Rien moins ! Le texte consacre le passage du régime semi-présidentiel avec une stricte limitation des mandats à deux, à un régime parlementaire axé sur la figure d’un Président de conseil dépositaire de la réalité du pouvoir exécutif pour un mandat non limitatif de 6 ans. Le système sera chapeauté par un Président de la République élu par le Parlement pour un mandat de 7 ans, renouvelable une fois. Il sera en gros chargé d’inaugurer les chrysanthèmes. Ses actes n’auront aucune valeur sans le contreseing du Président du conseil.
En attente de promulgation du chef de l’État, le texte ne manque pas de soulever des questions.
Au plan juridique, la constitution en vigueur encadre précisément tout projet de changement de la durée du mandat du Président de la République (article 59). Toute modification de cette disposition sera soumise à référendum. Ensuite, le changement de constitution nécessite une assemblée constituante légitime. Nonobstant la lettre de l’article 52 de la constitution de 1992, l’Assemblée actuelle ne peut se prévaloir d’une légitimité suffisante pour engager une réforme aussi profonde portant sur l’architecture institutionnelle du Togo. De plus, l’article 144 de la constitution en vigueur interdit toute révision constitutionnelle en période de vacance, d’intérim ou lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité territoriale. Au surplus, l’article 45 interdit tout changement de l’ordre démocratique établi par la constitution par un groupe de personnes. Cet article fait écho à l’interdiction du protocole additionnel de la communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) sur la bonne gouvernance qui interdit tout changement substantiel de l’ordre constitutionnel établi au cours d’une période de 6 mois précédant une consultation électorale.
Seulement au Togo, dès lors que la survie du régime est en jeu, on n’hésite pas à écarter le droit positif. La modification en cours est un énième coup de force au profit de la perpétuation dynastique de la famille Gnassingbé au pouvoir depuis 1967.
Au plan politique, la question est de saisir les contours d’une démarche en opportunité, au bénéfice de M. Gnassingbé et d’une certaine opposition. Les conjurés tentent d’imposer l’idée d’une vitalité démocratique factice. Lomé 2 pourra pousser la mascarade jusqu’au différemment de la promulgation du texte adopté. Du reste, M. Faure Gnassingbé vient d’en demander la relecture. Le piège se refermera dès le début de la prochaine législature avec toutes les apparences de légalité et de légitimité et l’imprimatur de l’opposition. Telle est déjà la petite musique d’une certaine élite corrompue, représentée par M. Zeus Ajavon. Pour ce juriste stipendié, la critique devrait porter sur les modalités d’adoption d’une réforme qu’il avalise au fond. Elle serait conforme à celle qu’il aurait lui-même proposée à une certaine époque. Exit le scandale de la monarchisation rampante du Togo. Le trône du Togo est sauf. Il ne reste plus qu’à opérer un recul tactique sur le texte controversé. M. Ajavon soutiendra le maintien au pouvoir des Gnassingbé ad vitam æternam.
Le deuxième enjeu est plus profond. Il s’agit de l’épilogue du drame qui s’est noué après la victoire volée à la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK) incarnée par M. Agbéyomé Kodjo en 2020. La virulente contestation des acteurs spoliés a laissé un profond traumatisme à Lomé 2. Les deux acteurs principaux de la réclamation de la victoire de la présidentielle viennent de quitter définitivement la scène en l’espace de deux mois. Derechef, M. Gnassingbé nous dit qu’il tient à perdurer au pouvoir sans plus avoir à subir le haro construit et maintenu plus de trois ans durant par la Dynamique Monseigneur Kpodzro (DMK). Désormais, la contestation sera diluée en amont entre élus locaux rivaux. Le Président du conseil ne subira ni contestation pour fraude, ni contrainte de limitation des mandats. Un projet cathartique.
Parallèlement, depuis la forfaiture de février 2020, Lomé 2 manque de « légitimateurs » crédibles. La virulente contestation de la DMK n’a pas seulement éclaboussé le régime, elle a plus encore érodé la légitimité de bon nombre de leaders de l’opposition, perçus comme des assassins du peuple au même titre que le régime. Ils sont devenus inaudibles tant que vivaient Monseigneur Kpodzro et M. Agbéyomé Kodjo. Les efforts réguliers de Lomé 2 pour les remettre en selle sont restés vains malgré la brèche schismatique de la dynamique pour la majorité du peuple (DMP). La soudaine disparition des principales figures de la DMK ouvre la voie à un retour des tartuffes. Le trombone a sauté. La réforme constitutionnelle en cours constitue un appel d’air. Aucun n’a manqué son retour à une visibilité médiatique. Chacun y va de sa logorrhée contestatrice. On rivalise d’analyses et de rodomontades. On juge, on condamne, on invite les électeurs au prochain vote. On se garde toutefois bien d’appeler le peuple au soulèvement populaire face à cette énième forfaiture. Vous aurez remarqué l’agacement de cet acteur politique face à la proposition de la DMK de reprendre l’action théorisée par le parti national panafricain (PNP) de M. Tikpi Atchadam : soulever les populations par zone géographique pour déraciner le régime. La proposition a singulièrement ulcéré M. Apévon. Il parle d’« action solitaire » et pointe avec mépris le côté : « m’as-tu vu » d’une tactique qui implique pourtant la participation de tous. Rien d’étonnant de la part de ce politicien corrompu, qui a pu qualifier la contestation de la victoire volée de 2020 de « bizarrerie ».
Le niveau stratégique et tactique de la riposte renforce la conviction que Faure Gnassingbé reconstitue sa « garde oppositionnelle rapprochée » La dérive monarchique de la famille Gnassingbé n’est qu’un avatar de l’histoire chaotique du Togo pour une part significative de la classe politique. Elle n’en a cure. Seuls comptent les strapontins électifs de députés et de sénateurs. Les plus zélés pourront truster des maroquins ministériels, quant aux plus âgés, ils se prennent à rêver au poste de Président de la République. Quel intérêt peut-il y avoir à mobiliser réellement le peuple contre le projet de leur mentor? Ceux qui se sont contentés de vulgaires postes de maires de communes dévitalisées, sauraient-ils dédaigner celui de Président de la république, même vidé de toutes prérogatives? D’autant que le poste sera certainement doté d’un budget de souveraineté. En somme le couronnement d’une carrière de traître participationniste.
Le peuple togolais souffre de mal représentation. Son combat attend d’être véritablement enclenché quand s’opérera la véritable jonction entre son désir de libération et le relais sincère d’un leadership éclairé et responsable. Quant aux leaders circonvenus de l’opposition, de l’avis de Jean-Pierre Fabre, ils sont engagés dans un marathon contre la dictature. Il n’y a donc aucune urgence à défendre le peuple en sonnant la révolte. Business as usual…
Jean-Baptiste K.
Source : 27Avril.com