Secrétaire général de la Commission nationale de la Francophonie et Responsable national des Centres de lecture et d’animation culturelle (CLAC), gestionnaire du patrimoine culturel et expert de la diversité culturelle, Cyriaque Kodjo Noussouglo relève les problèmes de la culture togolaise et ce qu’il faut faire pour la sortir du sentier battu dans une interview consultable sur « Le Tabloïd ».
La culture est le parent pauvre des divers secteurs d’activités au Togo. En tant que spécialiste, vous confirmez ce constat ?
Le Togo n’est pas le seul pays africain, voire le seul pays du monde dans lequel la culture semble ne pas bénéficier d’attention. Dans un ouvrage paru en 2021 intitulé « L’industrie du film en Afrique : tendances, défis et opportunités de croissance », l’UNESCO, tout en révélant que le cinéma africain est une industrie en plein essor, affirme pourtant que cette industrie du film, du cinéma et de l’audiovisuel « reste largement inexploitée sur la quasi-totalité du continent » générant à ce jour 5 milliards de dollars de recettes annuelles alors même qu’en lui donnant des moyens, elle aurait pu générer 20 milliards de dollars !
J’étais, il y a quelques années, dans une médiathèque d’une ville à l’Est de la France. Mes collègues m’ont donné leur budget, se plaignant qu’il soit d’année en année en constante diminution. Cette médiathèque de ville a un budget supérieur à celui du ministère de la Culture de notre pays. Voyez vous-même : que pouvez-vous faire sans moyen ?
Le Bénin s’identifie à travers le monde par son vodou, le Ghana a son « keinté »…Quelle est au juste l’identité culturelle du Togo ?
Le tort, c’est de croire que le vodou et le keinté ne sont pas aussi togolais. J’ai entendu les Toofan répondre dans une émission télévisée sur une chaîne ivoirienne en pleine crise de Covid qu’étant habitués au « zoblazo » de Meiway, beaucoup ne savent pas que c’est une tradition musicale de beaucoup de pays ouest-africains, dont le Togo. Ce qu’il faut ajouter, c’est qu’appartenant aux mêmes aires culturelles, certains pays ont pris l’option politique de mettre l’accent sur certains aspects plutôt que d’autres de leurs cultures. Le keinté, le vodou, le Faso Danfani, etc.
Le ministre béninois du Tourisme, de la Culture et des Arts, Jean-Michel H. ABIMBOLA disait devant des officiels du ministère de la Culture du Togo qui lui ont rendu visite en mai 2022 que beaucoup d’Africains, à la faveur des nouvelles églises, ont proclamé que le vodou est satanique alors que c’est cela qui intéresse les touristes occidentaux. Eh bien, eux ils ont fait l’option de le montrer à ceux qui y trouvent encore de l’intérêt. C’est une stratégie !
Par conséquent, ce que vous appelez identité culturelle est en réalité un choix politique de mettre en exergue une facette particulière d’une vaste réalité culturelle. Mais comme il n’y a pas de société sans culture, au Togo aucune spécificité culturelle n’est affichée par rapport à d’autres, donc il y a des identités culturelles togolaises. Doit-on s’en plaindre ?
Certains parlent de « désert culturel » concernant le Togo. Le terme est-il exagéré ?
J’adore ceux qui parlent de ce qu’ils ne connaissent pas. Et aujourd’hui, avec le développement des réseaux sociaux, les gens se permettent de donner leurs avis alors même qu’ils n’ont pas fait d’études sur des sujets. C’est ainsi que ceux qui prennent délibérément l’option de parler ainsi dévoilent juste leur méconnaissance de tout ce qui se fait dans ce pays dans tous les domaines des arts et de la culture.
En paraphrasant Mme le Premier Ministre Dogbé, je dirai à sa suite avec raison que ceux qui restent chez eux le soir après le travail ou le week-end, ne sortant jamais pour voir les expositions, n’assistant pas aux concerts et aux conférences, ne lisant pas les livres écrits par des Togolais, eh bien ils n’ont évidemment aucune idée de l’extraordinaire diversité des facettes de l’esprit de créativité des artistes togolais. Qu’on s’informe et c’est tout ! En tant que professionnel de la culture, je mets des heures à démontrer avec des preuves à l’appui à des étudiants ce que les artistes togolais savent faire.
Déficit de talents, manque de moyens, absence de volonté politique…quelle est la réelle cause ?
Puisque je vous dis que le Togo n’est pas un désert culturel, on ne peut parler de déficit de talents. La réalité, c’est qu’il nous faut mobiliser plus de moyens à l’appui de la promotion et de la valorisation culturelles dans notre pays. Et aussi des infrastructures et des moyens de formation. Le gouvernement en est conscient.
Nous n’avons pas de palais de la culture, de musée moderne, de conservatoire de musique ou encore de galerie nationale, encore moins de théâtre national. Pour ne citer qu’un seul domaine, beaucoup sont actuellement des artistes plasticiens qui veulent exposer. Or il n’y a pas de galerie nationale. Même des galeries privées et des curateurs, on en compte sur le bout des doigts et ils n’ont pas de moyens. Il faut aller à Cotonou, à Lagos, à Abidjan pour rencontrer le vrai marché de l’art. Pendant ce temps, nos artistes plasticiens ne sont pas montrés, ils passent des années dans l’ombre et finiront non connus.
Il est donc urgent d’agir dans tous les secteurs culturels et d’investir massivement. C’est pourquoi le ministère de la culture a jugé bon de mettre fin au Fonds d’aide à la culture et de le remplacer par le Fonds national de développement culturel (FNDC) dont l’opérationnalité est incessamment attendue. Il est vrai que les artistes s’impatientent, mais ça va se faire dans cette année, rassure le ministre Dr Kossi G. Lamadokou de la Culture. On parle aussi d’un lieu d’exposition qui a été promis et le ministère se propose de construire des infrastructures à Lomé et dans chaque région. Les besoins pressent ; les artistes et les professionnels de la culture aussi.
Le secteur ne bénéficie pas d’une grande attention de l’Etat. Est-ce parce que la culture n’apporte pas grand-chose au pays ?
Au contraire, il est aujourd’hui démontré que la culture est l’un des secteurs les plus rentables actuellement. Le secteur des industries culturelles est plus rentable que celui de l’automobile mais l’Afrique est encore en retard dans ce domaine alors que nous avons des cultures diversifiées. Tenez ! L’Afrique ne représente qu’un pour cent (1%) dans l’économie créative mondiale. Les Occidentaux, les Américains et les Chinois en tirent de grands profits. Hélas pour nous encore une fois.
Pourtant, les pays qui investissent dans la culture en tirent forcément des bénéfices au titre de renforcement de leur image de prestige et de rayonnement international et aussi en termes de retombées touristiques et économiques. Voyez combien les gens se bousculent pour aller au Sénégal ou en Côte d’Ivoire ! Actuellement, il a été démontré que les milliardaires nigérians préfèrent aller au Bénin se reposer plutôt de rester dans leurs pays pendant les vacances. On peut multiplier les exemples sur le continent.
L’année dernière, après 129 années d’exil, 26 trésors des Rois du Dahomey (actuel Bénin) ont été restitués par la France et rapatriés par le Bénin. L’exposition de ces œuvres couplée de celle de 106 œuvres contemporaines de 34 artistes béninois a vu défiler au Palais présidentiel 10 000 visiteurs en moyenne par jour. Dans cet ordre, on a appris que le gouvernement béninois annonce un investissement de 300 milliards d’euros en 10 ans dans la culture, ce qui représente plus de 1967 milliards et 87 millions de francs CFA. C’est un énorme investissement dont les fruits se verront certainement avant terme.
Que peut apporter justement la culture à un pays comme le Togo ?
Je viens de répondre à cette question : la culture est un gisement d’emplois et de richesses. C’est ainsi que dans son rapport 2018 intitulé « Investir dans la créativité », l’UNESCO indique que les industries culturelles et créatives génèrent à l’heure actuelle 2 250 milliards dollars américains de revenus annuels au niveau mondial et le montant de leurs exportations s’élève à plus de 250 milliards de dollars. Elles génèrent près de 30 millions d’emplois à l’échelle de la planète, employant plus de personnes âgées de 15 à 29 ans que n’importe quel autre domaine. Ils représentent jusqu’à 10% du PIB de certains pays.
Vous voyez bien que le pays qui y investit a un renforcement et une meilleure valorisation de son image à l’intérieur comme à l’extérieur ; il est mieux connu qu’avant, tel le Cap Vert grâce à Cesaria Evora ; il renforce son tourisme et aussi sa propre cohésion sociale ; il enregistre une meilleure fréquentation touristique et donc il en tire des retombées socio-économiques.
En tant qu’acteur culturel, si vous aviez une baguette magique, que changeriez-vous à la culture togolaise ?
Je n’aurai jamais de baguette magique et ce dont nous parlons est tellement sérieux qu’on ne doit pas le reléguer aux calendes grecques ou à la rêverie. Il faut créer les conditions d’avènement de véritables industries culturelles dans notre pays ! Si ceux qui travaillent dans la culture sont majoritairement des jeunes et des femmes ayant entre 15 et 40 ans, alors que nos pays sont peuplés en majorité de jeunes, cela doit nous interpeller.
Nous devons alors investir massivement dans la culture en permettant à notre jeunesse de nous montrer les mille facettes de sa créativité. Tous les secteurs culturels doivent alors bénéficier des mêmes attentions !
Source : icilome.com