Golfe de Guinée : le Togo, un maillon fort de la lutte antidjihadiste ?

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Le 22 août une attaque djihadiste frappe de nouveau le nord du Togo, placé sous état d’urgence depuis le mois de juin. Menacé par l’expansion des groupes armées terroristes du Sahel vers les États côtiers, le Togo fait plutôt figure de bon élève dans la lutte contre le terrorisme et la prévention de l’extrémisme violent. Quelle est la stratégie du Togo face aux attaques des djihadistes ?

Selon certaines sources dans les médias locaux togolais, l’attaque terroriste du 22 août dans le nord du Togo aurait fait 1 mort et 12 blessés dont 6 graves dans les rangs de l’armée. Mais au-delà du bilan et dans l’attente d’une communication officielle des autorités, “le plus important c’est l’impact de l’attaque aussi bien sur les militaires que sur les populations civiles et l’efficacité de la réponse apportée”, souligne Jeannine Ella Abatan, chercheuse principale à l’Institut d’études de sécurité (ISS).

Et pour cause, militaires togolais et surtout populations civiles ont subi pour la première fois des pertes humaines ces derniers mois marqués par plusieurs attaques de groupes armés terroristes. Le nord du Togo vit désormais sous un régime d’exception. Le 13 juin, la région des Savanes, à l’extrémité nord du pays à la frontière avec le Burkina Faso, est placée sous état d’urgence sécuritaire pour une période de 90 jours renouvelable. Désormais les autorités togolaises peuvent interdire la circulation, les rassemblements sur la voie publique et interpeller toute personne jugée suspecte.

En mai 2022, “première attaque terroriste meurtrière”

Ce virage sécuritaire intervient un mois après le choc de la “première attaque terroriste meurtrière” dans le pays, selon les autorités togolaises. Dans la nuit du 10 au 11 mai, des dizaines d’hommes armés à moto attaquent un poste militaire à Kpinkankandi, près de la frontière avec le Burkina Faso. Le bilan est lourd : huit soldats togolais sont tués, 13 autres blessés. Un attentat revendiqué par le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans, le GSIM, affilié à Al-Qaida.

A la mi-juillet, dans la nuit du 14 au 15, une autre attaque frappait elle durement les civils. Des individus armés ont mené des attaques coordonnées et complexes dans plusieurs villages dans les préfectures de Kpendjal et Kpendjal-Ouest, dans la région des Savanes. Une dizaine de civils auraient été tués, sans précision de la part des autorités. Cette fois-ci, le pays comptait ses première victimes civiles du terrorisme selon les autorités.

Dans cette zone meurtrie, des populations ont été déplacées de certains villages ciblés. Le choc est d’autant plus fort que les attaques ont pris la forme d’une vendetta contre les civils pour leur supposée collaboration avec les autorités. “A partir d’informations sur ceux qui donnent des renseignements, les terroristes sont allés de maison en maison pour régler des comptes. Ils ont extirpé des gens pour les massacrer”, souligne Francis Kpatindé, professeur à Sciences Po.

L’armée togolaise anticipe les mouvements des groupes armés terroristes

Ces représailles contre des populations civiles s’expliquent selon lui par les coups portés par les forces de défense et de sécurité togolaises contre les groupes armés terroristes. “Beaucoup d’attentats ont été déjoués au nord du Togo, assure Francis Kpatindé, professeur à Sciences Po Paris. Les autres attentats ont eu de la publicité à cause des pertes humaines conséquentes. En fait, pour un attentat réussi, il y en a plusieurs qui ont été déjoués”.

Selon cet expert, le Togo va même mener des opérations sur le territoire du Burkina Faso voisin d’où proviennent les groupes armés terroristes. Ceux-ci essaiment de l’autre côté de la frontière, dans l’est du Burkina Faso, qui est quasiment abandonné par l’armée burkinabé. À l’inverse, note Francis Kpatindé, “le Togo dispose d’une armée professionnelle, équipée, avec des hélicoptères et des drones. Voyant le Burkina Faso débordé à l’est, les forces togolaises anticipent en menant des opérations sur le territoire burkinabé pour préempter des attaques des terroristes”. Une action menée en coordination avec le Burkina Faso qui est avisé.

Car le Togo veut privilégier la coopération avec son voisin du nord et avec le Bénin à l’est qui se trouve dans la même situation que lui mais avec moins de moyens militaires. À côté de ces trois pays francophones, le Ghana anglophone à l’ouest est pour l’heure épargné par les attaques terroristes, mais la problématique est partagée dans toute la sous-région, comme en témoignent les efforts de coordination de la lutte anti-terroriste dans le cadre de l’Initiative d’Accra lancée en 2017.

Chronologie des attaques terroristes au Togo

Dans la nuit du 9 au 10 novembre 2021, l’ attaque par des terroristes d’un poste-frontière à Sanlouaga dans le Kpendjal est repoussée par l’armée togolaise

Dans la nuit du 10 mai 2022, une attaque terroriste fait 8 morts et 13 blessés parmi les militaires, une quinzaine d’assaillants sont tués selon l’armée.  L’attaque est revendiquée par GSIM.

Le 13 juin 2022, la région des Savanes dans le nord du Togo est placée sous état d’urgence sécuritaire pour 90 jours
 
Mi-juin 2022 : embuscade de l’armée contre des terroristes en dehors du poste de Goulingoushi (extrême nord ouest)
 
Dans la nuit du 9-10 juillet à Margba : bavure meurtrière de l’armée avec un tir de drone sur des civils dans la préfecture de Tône, près de la frontière avec le Burkina Faso. L’armée présente ses excuses.
 
14-15 juillet : dans la préfecture de Kpendjal, proche de la frontière avec le Burkina Faso, plusieurs villages ont été attaqués dans la nuit ; une dizaine de civils auraient été tués.

22 août 2022 : attaque terroriste dans le Kpendjal. Un véhicule de l’armée explose sur un engin explosif improvisé (IED) suivi d’un échange de tirs.

Principal défi, garder la confiance de la population

Mais la réponse ne peut pas être que sécuritaire, insiste Jeannine Ella Abatan. “La réponse militaire est nécessaire surtout si elle priorise la protection des populations, mais elle est insuffisante car les causes de l’expansion de l’extrémisme violent dans ces pays sont aussi liées à la situation socio-économique, à l’exploitation de diverses vulnérabilités par ces divers groupes terroristes” qu’ils soient liés à Al-Qaida ou à l’Etat Islamique.

Les groupes terroristes exploitent les vulnérabilités, la porosité des frontières, les trafics de contrebande

Le principal défi, c’est de garder la confiance de la population, qu’elle reste du côté des Forces de défense et de sécurité et de l’État face aux groupes armés terroristes. Pour Jeannine Ella Abatan, “il faut que les autorités continuent de renforcer cette confiance en montrant toute l’utilité de l’Etat à ces populations, en étant présent dans leur vie au quotidien mais aussi en les sécurisant dans un contexte de plus en plus difficile.“À cet égard, à l’instar d’autres pays côtiers, le Togo a pris des mesures non sécuritaires bien avant les attaques terroristes.

En 2019, le pays a mis en place un Comité interministériel de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent, le CIPLEV. Cette institution a désormais des ramifications jusqu’au niveau local dans toutes les régions du Togo. Les comités locaux du CIPLEV visent à rapprocher l’Etat des populations et comprennent aussi des autorités locales, des acteurs religieux, des membres de la société civile. “C’est le cadre créé pour fédérer tous les acteurs appelés à jouer un rôle dans la prévention de l’extrémisme violent”, souligne l’experte de l’ISS. À côté de cela, il y a l’action d’acteurs non étatiques comme les ONG qui mettent en oeuvre des projets en faveur des populations dans la région des Savanes.

La menace n’est pas uniquement extérieure

L’erreur serait de croire qu’au Togo, la menace vient uniquement de l’extérieur. “La menace n’est pas qu’externe mais aussi interne. Certes les groupes armées terroristes viennent du sud-est du Burkina Faso, mais cette menace a des ramifications locales. Les groupes terroristes exploitent les vulnérabilités, la porosité des frontières, les trafics et contrebandes en tous genres”, précise Jeannine Ella Abatan.

Et la chercheuse de donner l’exemple relevé dans une étude datée de 2019, montrant que des motos utilisées par les djihadistes dans la zone des trois frontières au Sahel avaient transité par le nord du Togo. “Ces groupes-là exploitent les vulnérabilités propres à la région des Savanes du Togo pour opérer pour recruter mais aussi pour s’approvisionner en moyens logistiques et opérationnels mais aussi à des fins de financement”.

Ce qui nourrit le terrorisme, ce n’est pas le facteur religieux, cela n’a rien à voir avec l’Islam, renchérit Francis Kpatindé. La pauvreté est la cause. Les populations frontalières de la région des Savanes sont dans l’indigence.” Dans ce contexte, il est crucial de renforcer la capacité de résiliation des populations locales.

Le risque de la stigmatisation communautaire

Autre écueil à éviter, les divisions internes. Dans un rapport sur le Bénin et le Togo, l’ONG Amnesty International s’alerte du fait que “les forces de sécurité commettent des violations des droits humains dans le cadre de la lutte contre les groupes armés au Bénin et au Togo, en particulier contre des membres du groupe ethnique peul.” L’ONG constate “des personnes ont été arrêtées et placées en détention de façon arbitraire dans ces deux pays, notamment en raison de leur appartenance communautaire”.

Francis Kpatindé témoigne aussi de statistiques relatives au Bénin qu’il a pu consulter et qui montre qu’“une majorité de personnes arrêtées viennent d’un certain groupe communautaire. Mais jamais il n’y a eu de mise à l’index officielle de la part du gouvernement comme de l’opposition, remarque-t-il. Le Togo aussi évite de jeter de l’huile sur le feu, d’autant plus qu’au gouvernement comme dans l’armée togolaise il y a des personnes de cette communauté.” Mais cette question de la stigmatisation a pris une dimension telle au Burkina Faso que “le gouvernement a dénoncé ceux qui jettent l’opprobre sur les peuls. Il y a un vrai danger à mettre à l’index une communauté”.

Les djihadistes exploitent ce genre de divisions, par exemple, au nord du Togo, le conflit qui oppose les agriculteurs aux éleveurs. Et Jeannine Ella Abatan d’observer que “l’instrumentalisation par ces groupes terroristes armés des conflits locaux n’inclut pas que les populations peules”. Par exemple, “dans le bassin du lac Tchad où sévit Boko Haram, pendant longtemps les communautés Kanouri et Boudouma ont été stigmatisées dans ces pays ce qui a poussé certains membres de ces communautés, qui souvent n’ont rien à voir avec l’extrémisme violent ou qui ne soutiennent pas ces groupes, à se tourner vers eux à des fins de protection”

Pour cette experte de l’Institut d’études de sécurité, “il est important que les pays côtiers tirent les leçons des pays du bassin du lac Tchad ou du Sahel pour éviter de répéter les mêmes erreurs”.

Source: information.tv5monde.com

Source : icilome.com