Le Forum Economique Togo-Union Européenne (FETUE) a pris fin le 14 juin dernier à Lomé sur une note de satisfaction selon les autorités togolaises qui parlent d’une enveloppe de plus de 1,3 milliards d’euros, environ 852 milliards FCFA promise par les investisseurs européens. Un fait qui, sans nul doute, amène l’exécutif togolais à parler de réussite de ce forum en feignant ignorer les multiples promesses creuses qu’a connues le Togo depuis l’instauration de la politique d’assistance par les dirigeants togolais.
Le processus d’émergence est bel et bien enclenché au Togo et est en cours de réalisation… Le Togo a besoin d’être accompagné dans sa marche vers le progrès ». C’est ainsi que le Premier ministre togolais Komi Sélom Klassou saluait la réussite du FETUE. Il a, lors de la cérémonie de clôture du forum, fait noter que des promesses fermes évaluées à 852 milliards FCFA ont été consignées pour le Togo.
Aussi faut-il le rappeler, ce forum qui s’est tenu du 13 au 14 juin à Lomé, a pour objectif de bâtir des relations économiques durables et pérennes entre le Togo et l’UE d’après la prévision des dirigeants togolais, afin de transformer l’économie du pays au cours des cinq prochaines années, en se fondant sur le Plan National de Développement, (PND 2018-2022).
Bien que ces genres de rencontre entre les autorités togolaises et les investisseurs européens soient fréquents, il est de notoriété publique que les retombées économiques desdites réunions peinent à être visibles. La plus récente de ces rencontres internationales reste le grand sommet sur la sécurité maritime tenue en octobre 2016 au Togo et dont les impacts positifs sur le pays sont demeurés chimériques.
Aussi se rappelle-t-on qu’en septembres 2008, sous l’ère Gilbert Fossoun Houngbo, ancien Premier ministre togolais, le Togo a organisé à Bruxelles, une rencontre avec des partenaires au développement, des bailleurs de fonds, des institutions internationales de finances ainsi que des organisations spécialisées du système des Nations Unies ont pris part à ce rendez-vous économique. A l’issue des travaux, le Premier ministre, Gilbert Houngbo comme l’a imité le vendredi dernier Sélom Klassou, a annoncé une mobilisation de 600 milliards de FCFA, en faveur du Togo sur 3 ans.
Le communiqué final sanctionnant la fin des travaux précise que les partenaires ont convenu d’appuyer le gouvernement togolais dans la mise en place des aides budgétaires destinées aux financements publics, l’identification des mécanismes de nature à concrétiser les contributions des partenaires en vue de faire face aux dégâts des inondations et aux conséquences de la flambée des prix des produits pétroliers et de biens de premières nécessités, la mise en place rapide, dans les secteurs prioritaires, de comités sectoriels regroupant les différents groupes nationaux et partenaires, etc.
À la suite de tout cela, plusieurs slogans ont été inventés mais sans résultats. Il s’agit, entre autres, du DSRP 1 et 2, Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté, du PPTE, Pays Pauvres Très Endettés, de la SCAPE, Stratégie de Croissance Accélérée et de Promotion de l’Emploi et du PUDC, Programme d’Urgence de Développement Communautaire. Aujourd’hui, la trouvaille, c’est le PND, Plan National de Développement.
Toutes ces formules ont été concoctées à se fondant sur de l’aide internationale ou des apports financiers extérieurs. Pour la réalisation du PND, 65% des investissements reposent sur le secteur privé en majorité des investissements étrangers d’où du Forum Togo-UE. Mais jusqu’à quand le Togo doit-il tendre la main à l’aide ?
Dans une réaction sur le sujet, Nicolas Lawson, le Président du PRR, Parti pour le Renouveau et la Rédemption pense qu’il est « suicidaire et vain pour nos dirigeants et nos peuples en Afrique de croire que nous pouvons compter sur des aides pour régler nos redoutables problèmes ».
Nous avons toujours été floués et pillés, dit-il, et il faut beaucoup de naïveté ou de l’impudence pour continuer à faire croire à notre peuple qu’il sera sauvé par le concours des aides extérieures.
Son approche respecte la mémoire de feu capitaine Thomas Sankara, ancien président du Faso de 1983 jusqu’à son assassinat en 1987, qui disait : « Nous encourageons l’aide qui nous aide à nous passer de l’aide. Mais en général, la politique d’assistance et d’aide n’aboutit qu’à nous désorganiser, à nous asservir et à nous déresponsabiliser ».
Il est donc clair que l’aide qui créé plus de dettes qu’elle ne génère de ressources ne permettra aucun pays africain de s’affranchir de la politique d’assistance et de consolider une stabilité économique durable.
Le Ghana, voisin du Togo, a compris cela et depuis 2018, sans éclats ni tapage médiatique, le pays de Nana AkufoAddo, a décidé de se passer des crédits du Fonds monétaire international (FMI) et de financer son budget grâce à ses propres recettes. « Nous devons abandonner notre mentalité de dépendance qui compte sur l’aide et la charité, dissocier l’Afrique de l’image de mendiante qui lui est associée, » déclarait le chef de l’État ghanéen aux côtés du président français, Emmanuel Macron en visite au Ghana 2017.
Pour Nana Akufo-Addo, cela commence par se passer des « nobles bailleurs qui nous soutiennent ». « Ghana beyond aid » (le Ghana au-dessus de l’aide) est un slogan que les membres du gouvernement reprennent aujourd’hui avec fierté, puisqu’ils réussissent à réduire drastiquement l’inflation et projettent une forte croissance en 2019.
D’après les économistes, le Ghana est la 2ème économie de la CEDEAO derrière le Nigéria et devant la Côte d’Ivoire. Il est le 2ème producteur d’or en Afrique et 2ème producteur mondial de cacao derrière la Côte d’Ivoire.
Les ressources du pays tirées de l’exportation de l’or et du cacao ont été rehaussées par l’exploitation pétrolière depuis 2010 avec la production nationale qui a augmenté entre 2016 et 2017 et devrait doubler d’ici 2019-2020 grâce à l’exploitation de nouveaux champs pétrolifères et la décision du Tribunal international du droit de la mer favorable au Ghana (litige avec la Cote d’Ivoire sur la frontière maritime jouxtant le champ du TEN). Il faut aussi noter la forte mécanisation de l’agriculture vivrière au Ghana et la prolifération de l’industrie manufacturière.
Si le Ghana est arrivé à sortir quasiment de la politique d’assistance, cela est également dû au sérieux budgétaire qu’adopte le pays.
S’agissant du Togo, le pays est le 4ème producteur de phosphate au monde, il a le seul port en eau profonde de la sous-région et, les navires de la dernière génération peuvent accoster à Lomé. Aussi, du fait de la position géographique du pays par rapport aux pays de l’hinterland, le Togo devait être à l’image du Singapour. Mais, à cause du manque de sérieux dans les prises de décision de la part des autorités togolaises, un pays pratiquement laissé aux mains des fossoyeurs de l’économie qui dilapident les richesses nationales, le Togo peine à enclencher son développement national.
Si des pontes du régime peuvent faire disparaître plus de 25 milliards de FCFA pour la réhabilitation d’une route sans être inquiétés, s’ils sont incapables de justifier les traces des 600 millions de FCFA de la CAN Gabon 2017, les Forum Togo-UE peuvent être multipliés, de milliers d’investisseurs étrangers peuvent être invités, même Bill Gates et les dix meilleures fortunes du monde peuvent fouler le territoire togolais, rien ne changera.
Construire du beau ne peut provenir que du sérieux. Au-delà de tout, la prospérité et la liberté sont intimement liées. François Esso Boko, ancien ministre togolais de l’Intérieur : « Je salue l’organisation du sommet UE-Togo et la volonté de faire du Togo une grande place financière et logistique sous régionale. Mais qu’on ne s’y méprenne.
Aucun succès tangible et durable n’est possible sans apaisement et progrès démocratique. L’ère des dictatures de développement est révolue. Le chemin qui mène vers la liberté et celui qui mène vers la prospérité sont indissociables ». C’est assez clair !
Sylvestre Beni
Source : La Manchette No.067 du 19 juin 2019
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