Foncier et Corruption des Magistrats au Togo : 10 Lots offerts à Akakpovi Gamatho sur la base d’un « Jugement corrompu »

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Depuis l’adoption du nouveau Code pénal, il n’est plus admis que des justiciables fassent obstruction aux procédures judiciaires. Mais quelles dispositions la loi a-t-elle prévu lorsque ceux qui entravent le bon fonctionnement de l’appareil judiciaire se trouvent être des…juges ? Résumé d’un feuilleton juridico-foncier qui se déroule à Agoè Assiyéyé et dans lequel apparaissent des noms de supposés « hommes de droit » comme Akakpovi Gamatho, président de la Cour suprême et du Conseil supérieur de la magistrature, Phillipe Gamatho, substitut, Magaji Garba huissier, Soba Essowa, avocat, Assogbavi Komlanvi et d’autres encore.

Est-il possible que le Procureur de la République près le tribunal d’instance d’une localité argue son indisponibilité pour ne pas donner suite à une plainte suivie d’un soit-transmis ? A moins que derrière la plainte, il ne découvre que « des amis » pourraient être éclaboussés. Mais contre toute attente, on a appris que le juge Phillipe Gamatho –celui qui s’était négativement illustré alors qu’il était en poste à Tsévié- s’est « infiltré » dans le dossier, a fait pression sur le commissaire chargé de l’enquête et sur son collègue en charge du dossier. Et il a eu gain de cause, puisque les prévenus Togbé Aziamadji et Yao Kowou, auteurs de faux et usage de faux, ont été relaxés depuis.

Depuis le 13 décembre 2017, une plainte a été adressée par les acquéreurs des terrains au Procureur de la République, Essolissam Poyodi, contre les nommés Togbé Aziamadji, Kpové Koami Atavi et Kowou Yao alias OK pour falsification, usurpation, faux et usage de faux et menace de mort. En voici la teneur.

La plainte pour falsification, usurpation, faux et usage de faux et menaces de morts

« Nous avons acheté les parcelles de terrain auprès des collectivités Avounyran, Magno, Vissou Koumedjro, Adokanou, Boby, Afotro, Adrake, Bidibi et Yehouessi Adodovi près de trente ans voire quarante ans à Agoè-Nyivé, quartier Klévé et Fiové. Yehouessi Adodovi a acheté une parcelle de terrain rural d’une superficie de 83 a 87 ca auprès de la collectivité Adokanou, objet du titre foncier N°624.

Nos vendeurs disposent sur leurs terrains qu’ils nous ont vendus d’un plan d’expertise, des arrêts N°13/1976 du 26 avril 1976 rendu par le tribunal coutumier d’appel de Lomé, N°01/1978 du 20 mars 1978 rendu par la Chambre d’Annulation de la Cour d’Appel du Togo, des plans topographiques, du titre foncier et des arrêtés d’approbation.

Contre toute attente, nos contradicteurs nous opposent le jugement N°1088/97 du 19 décembre 1997 rendu par le Tribunal de Première Instance de Lomé comme quoi, ils ont gagné en procès nos vendeurs. Vu le jugement, nous avons remarqué qu’ils ont affaire avec Bezo Sodo Mihesso, Bezo Agbo Awouya et Afotro Koffi. Vu également le jugement N°1088/97, nous sommes surpris de constater que les susnommés se sont basés sur le plan d’expertise et les arrêts auxquels nos vendeurs étaient partie prenante pour réclamer la parcelle de 26 ha 83 a 20 ca représenté par Kamassa Bidibi, mandataire de la collectivité Bidibi sur le plan d’expertise. Les susnommés ont falsifié le tampon et la signature du géomètre Yao Amegee sur le plan d’expertise et remplacé Kamassa Bidibi par Boby.

Ces susnommés se sont fait passer pour les représentants de la collectivité Boby en 1993 au moment où Mihesso Bezo Boby était le mandataire de la collectivité Boby à Agoè-Nyivé Klévé le 24 novembre 1978 en remplacement de son père Sodo Agbo Boby décédé en 1978. L’actuel mandataire de la collectivité Boby à Agoè-Nyivé Klévé en date du 12 septembre 2006 après le décès de Mihesso Bezo Boby en 2005 est Sodo Komlanvi, fils de Sodo Agbo Boby et frère de Mihesso Bezo Boby.

Le domaine de la collectivité Boby de Klévé que revendiquent ces susnommés par subterfuge en falsifiant le plan d’expertise a été vendu par Sodo Agbo Boby et par Mihesso Bezo Boby par le mandat que cette dernière [Ndlr, la collectivité Boby] leur a donné le 5 août 1974 et le 24 novembre 1978, de les défendre contre la collectivité Bléamé et de procéder ensuite aux ventes.

Une décision rendue sur une fausse pièce est un jugement corrompu. Nos vendeurs et nous n’avons nullement été appelés, ni entendus dans les différentes procédures ayant abouti à ce jugement N°1088/97 corrompu. Ce jugement N°1088/97 corrompu nous a causé de graves préjudices moral et physique.

Par un acte notarié en date du 19 février 1999, nos maisons dans lesquelles nous habitons près de trois voire quatre décennies sont devenues objet de partage entre ces susnommés et un certain Kpatima Atsou. Par ce jugement N°1088/97 corrompu, nos maisons dans lesquelles nous habitons avec nos familles ont été objet d’une reddition de compte et partage dans le jugement N°037/2009 du 9 janvier 2009.

Il est bien dit dans l’arrêt N°13/1976 à la page 21 que les prétentions de la collectivité Bléamé sur le terrain de 26 ha 83 a 20 ca identifié au plan d’expertise en date du 22 avril 1975 levé et dressé par le géomètre Tao Amégee et détenu par la collectivité Bidibi sont démenties par les constatations faites sur les lieux du Tribunal.

Le juge Assogbavi Komlanvi qui a rendu ce jugement N°1088/97 corrompu après la mort du juge Dansou a violé l’article 18 de l’ordonnance N°78-35 du 07 septembre 1978 portant l’organisation au Togo. Les débats sont suivis par les mêmes juges, de leur ouverture au prononcé du jugement. Ils doivent être repris si l’un des juges se trouve empêché au cours de l’instance et s’il est nécessaire de le remplacer. Le juge Assogbavi Komlanvi n’a pas siégé à la Première Chambre Civile du Tribunal de Céans ; n’a jamais suivi les débats dans ce dossier ; n’a jamais été nommé en décembre 1997 pour remplacer un quelconque juge de la Première Chambre Civile empêché, encore faut-il que cette nomination réponde aux conditions des articles 35 et 36 de l’ordonnance sus-évoquée. Etant déjà muté à la Cour d’Appel de Lomé au moment où il rendait le jugement N°1088/97 corrompu.

A l’heure actuelle, certains acquéreurs sont chassés de leurs maisons par ces susnommés. Leurs maisons sont occupées par les gros bras. Aujourd’hui, ces susnommés et les gros bras font des menaces et violences volontaires. Ils ont par cette manière enlevé les portails de certaines maisons pour des destinations inconnues.

C’est pourquoi, ne sachant à quel saint nous vouer, Monsieur le Procureur, nous venons par clémence porter plainte contre ces susnommés et demandons de diligenter toutes les poursuites contre eux afin de nous remettre dans nos droits et promouvoir la paix dans les milieux et sollicitons que leur soit appliquée la loi pénale. Et ce sera justice. Veuillez agréer, Monsieur le Procureur, l’hommage de nos profonds respects ».

Et depuis, le Procureur n’a pas donné suite à cette plainte, malgré les conclusions du rapport d’enquête de la Police.

Et le juge Phillipe Gamatho entra dans la danse

En quoi le juge Phillipe Gamatho est-il concerné pour qu’il fasse pression pour la relaxe pure et simple des prévenus ? Nous avons appris qu’il a cherché à influencer le commissaire en charge de l’enquête, alors qu’il est 6ème substitut et que le dossier est entre les mains du 4ème. Nous avons aussi appris que le commissaire n’est pas parvenu à remettre les résultats de son enquête à qui de droit. Sinon, on comprend difficilement comment la justice togolaise s’est arrangée pour remettre en liberté les prévenus que les preuves accablent.

Quand nous avons cherché plus loin, le nom de son père, Akakpovi Gamatho, est apparu. Nous avons alors compris que le fils cherchait à protéger le père. Mais comment ? Suivez plutôt.

Dans l’arrêt N°23 du 16 juin 2005 rendu par la Chambre judiciaire de la Cour suprême, la Cour avait « dit que le jugement N°1088/97 du 19 décembre 1997 emporte ses pleins et entiers effets… ». Parmi les membres ayant siégé, se trouvait un certain…Akakpovi Gamatho, rapporteur et membre de ladite cour lors de cette audience. Et ce n’est pas fini.

Un rapport de reddition de compte contenu dans le jugement N°037/2009 du 9 janvier 2009 s’était basé sur le jugement N°1088 du 19 décembre 1997 du Tribunal de Lomé, et l’arrêt N°23 du 16 juin 2005 dans lequel Akakpovi Gamatho était membre et rapporteur, pour attribuer 10 lots à…Akakpovi Gamatho ! On comprend alors pourquoi on retrouve le nom du fils du président de la Cour suprême dans cette affaire.

Aussi, on peut être circonspect sur l’atelier sur le foncier qui s’est ouvert hier, si des magistrats sont eux-mêmes mouillés dans les affaires foncières sans possibilité de se voir taper sur les doigts. Un avocat qui appose son sceau sur un document falsifié, des huissiers qui procèdent à des démolitions aveugles, des juges qui rendent des décisions alors qu’ils n’en avaient pas le pouvoir, et le président de la Cour suprême que son fils veut défendre. C’est à juste titre si un ancien préfet ayant été échaudé dans les affaires foncières au Togo a dit qu’il continue de chercher la justice togolaise avec une lampe-tempête, en plein jour. Si vraiment, comme nous l’avons lu sur le site du gouvernement hier, « le Garde des Sceaux a décidé de la création d’une inspection générale près la Cour d’appel de Lomé chargée d’observer, de corriger et de sanctionner les mauvaises pratiques », il faut d’abord en donner la preuve tangible de bonne volonté en se penchant sur ce dossier qui met en péril la quiétude de centaines de Togolais ayant acquis des terrains de bonne foi.

L’Inspecteur général de l’administration judiciaire et pénitentiaire était devant les écrans de télévision lundi soir, en prélude à l’atelier qui s’est ouvert sur le foncier au Togo. Mais on doute fortement qu’il puisse entreprendre quelqu’action que ce soit contre le président de la Cour suprême, bien qu’il soit informé de ce dossier aux senteurs corruptives et ait vu le faux plan d’expertise. Et pourtant, Akakpovi Gamatho aussi n’est avant tout qu’un magistrat comme ses collègues. Soit dit en passant, un citoyen continue de croupir injustement à la prison civile de Lomé dans cette affaire depuis plus d’un an. Bon à suivre.

Abbé Faria

Source :Liberté N°2644 du Mercredi 28 Mars 2018

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