Guerre des mots en Ethiopie, après la mort ce week-end de neuf civils sous les balles de militaires. Au sein de la communauté Oromo de Moyale, près de la frontière kenyane, on évoque des tirs en connaissance de cause dans un quartier réputé hostile au gouvernement. Au sein de l’Etat, l’ « incident » est rangé dans la case « accident » dû à de mauvaises informations. Un mot est en tout cas soigneusement évité : « bavure » !
Dans la région fédérée de l’Oromia, c’est la colère ! En plus des chiffres avancés sur le nombre de victimes, les porte-voix de la minorité ethnique contestent même la version des autorités sur les circonstances de leur mort, ce samedi 10 mars, dans une opération de l’armée éthiopienne. Jawar Mohamed, un militant de la cause Oromo, indique que cette opération a fait plus de 13 morts et une dizaine de blessés. Une version différente de l’explication officielle fournie par les autorités.
Deux versions pour une « bavure »
Ce dimanche, par une dépêche de l’agence officielle, les autorités éthiopiennes signalaient la mort, « par erreur », de neuf civils après une opération de l’armée. Cette « erreur » avait d’ailleurs motivé la suspension d’un colonel et cinq soldats en attendant les conclusions d’une enquête interne lancée dans la foulée de ce drame. Que s’est-il passé dans cette région en proie à la contestation ? La vérité se trouve sans doute entre les deux versions.
Sur fonds d’état d’urgence décrété en octobre 2016 puis prolongé à la mi-février dernier, l’armée éthiopienne a envoyé un escadron de soldats à Moyale, à proximité de la frontière kényane, après avoir reçu des informations faisant état d’une incursion d’éléments Front de libération Oromo (OLF), un groupe rebelle réclamant une plus grande liberté pour la région de l’Oromia.
Prenant les civils pour des rebelles de l’OLF, les soldats ont ouvert le feu, tuant neuf d’entre eux par « accident ». « Les membres des forces armées ont reçu de mauvaises informations qui ont mené à la confrontation dans laquelle neuf personnes ont été tuées et 12 blessées », explique l’Ethiopian National Agency (ENA, agence officielle).
Une forte coloration politique pour une contestation ethnique
Au sein de l’Etat régional d’Oromia, des témoins sous couvert d’anonymat, ont confié à la presse locale, qu’un attroupement qui s’est formé après une querelle entre automobilistes serait à l’origine de la tuerie. En plein état d’urgence où les rassemblements sont interdits, les soldats envoyés pour disperser le rassemblement auraient commis l’irréparable. Mais l’enjeu est ailleurs.
Depuis fin 2015, une vive contestation entamée par les Oromo gagne le sud et l’ouest du pays. Le mouvement qui s’est étendu à d’autres groupes ethniques est l’expression d’une frustration des Oromo et des Amhara qui dénoncent une prédominance des Tigréens notamment dans l’administration. Le calme de la contestation avait été arraché au prix d’une violente répression entérinée avec un premier état d’urgence instauré entre octobre 2016 et août 2017 puis prolongé.
Les Oromo estiment que leur temps de prendre le pouvoir est arrivé. Avec la démission du Premier ministre Hailemariam Desalegn, la désignation de son successeur entamée ce dimanche est l’occasion rêvée de voir un Oromo à la tête du pays. Dans l’incertitude, l’Ethiopie espère que ce nouvel incident ne va pas déclencher des violences ethniques à forte coloration politique.
Source : www.cameroonweb.com