Diplomates, à l’école de Machiavel !

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Lorsque des acteurs de la société civile vont voir les membres de ce qu’on nomme Groupe des 5 au Togo (France, Allemagne, Etats-Unis, Union Européenne, PNUD), groupe qui représente en quelque sorte la communauté internationale, souvent l’un ou l’autre d’entre eux ouvre de grands yeux candides et étonnés : « C’est vrai que cela se passe au Togo ? Nous ne sommes vraiment pas au courant ! ». Cependant, une fois qu’ils sont mis au courant, on attend vainement d’eux, une protestation, une réaction, tout au moins, qui aurait été « normale » dans leurs pays respectifs.

 

Ce scénario a été joué à plusieurs reprises. Où était le G5 quand la CEDEAO, autre institution internationale a violé sa propre feuille de route et a soutenu dans un silence inique les élections législatives du 20 décembre 2018 et a produit son scandaleux rapport? Cynisme, hypocrisie, duplicité ou complicité de la CEDEAO et du G5 ? Le silence méprisant serait-il l’unique mode opératoire de la communauté internationale ? A quoi sert alors tout le discours sur les valeurs quand celles-ci deviennent inexistantes en face des intérêts financiers ?

Les membres de la société civile durant les durs moments de la crise togolaise ont continué à voir les représentants de la CEDEAO et du G5 et ont continué à les « informer » de la situation du Togo croyant que la défense des valeurs démocratiques était réellement un dénominateur commun. Où se trouve la CEDEAO des peuples ? Où retrouve-t-on la vraie union dans l’institution qui porte le nom de Programme des Nations-Unies ?

Cheikh Hamidou Kane aurait-il raison quand il écrivait, au sujet de l’institution des Nations Unies, ceci : « J’avais fortement ressenti que cette institution des Nations Unies, avait un mode d’intervention qui laisse à désirer. Il m’avait semblé qu’elle attachait plus d’importance à la stricte observance de ses procédures…qu’à la connaissance et à la prise en compte des réalités … et des politiques des pays qu’elle devait assister » ? Est-on simplement en face des sigles ou bien des institutions qui reposent sur de vraies valeurs ?

Les citoyens togolais, ont dépassé le stade où ils croyaient que la communauté internationale pouvait venir à leur secours au nom des principes que cette communauté internationale clame haut et fort : « Gouvernance démocratique, respect des Droits humains, primauté au fonctionnement républicain des institutions ! ».

Alors pourquoi, accepter de se faire, en quelque sorte, tourner en bourrique ?

De fait les acteurs de la société civile de nos pays savent bien que les gouvernants de la communauté internationale, n’évoquent leurs principes que pour avoir le droit d’intervenir dans ce qui se passe dans les pays où leurs intérêts sont en jeu. Au nom des Droits de l’homme, alors on soutient tel ou tel dictateur, pourtant vomi par son peuple :

  • « Que voulez-vous, on ne peut pas aller au-delà de la souveraineté des Etats ! »
  • Et le droit d’ingérence humanitaire alors ?
  • « Mais nous travaillons avec les autorités à faire ouvrir un couloir humanitaire pour venir en aide aux populations ! »

Et depuis un certain temps, on dit à la société civile : « C’est à vous de prendre vos responsabilités ! » La société civile togolaise ne l’a-t-elle pas fait ? Quel soutien a-t-elle trouvé auprès de la CEDEAO et surtout du G5 ? Ainsi des élections se profilent encore à l’horizon dans une atmosphère négative où le citoyen ne peut pas manifester librement, où il n’y a pas de garantie sur la transparence du processus électoral en cours, que dit le G5 ? Rien du tout ! Cela serait-il acceptable en Europe ou aux Etats-Unis ?

Malgré cela, les acteurs de la société civile continueront à interpeller la communauté internationale, pour deux raisons :

La première raison est que la communauté internationale ce n’est pas que les diplomates en poste dans nos pays, ce sont aussi les citoyens des pays dont ils sont issus. Et ces citoyens ont besoin d’être informés sur ce qui se passe à des milliers de kilomètres de chez eux, souvent en leur nom, par exemple, au nom de leur qualité de « pays des Droits de l’homme », si on prend la France. Pourtant lorsque ce sont les populations africaines qui voient leurs droits bafoués, un silence retentissant est parfois la seule réponse de cette même France, et du reste de la communauté internationale : L’Afrique humiliée, écrivait déjà Aminata TRAORE.

Les citoyens africains continueront à protester car ils se voient traités avec mépris et ne fait-on pas finalement la même chose dans les pays occidentaux ? En effet, n’y a-t-il pas un vrai mépris à détourner l’attention des citoyens français de l’essentiel, en la focalisant sur le football ? C’est ce qui se passe ces dernières semaines où, à l’image des coupes du monde de 1998 et de 2018, le football, (féminin cette fois-ci, qui n’avait jamais été mis à l’honneur auparavant) devient brutalement ce qui rassemble les français, au point d’entraîner un arbitrage plutôt douteux (et si le premier pénalty avait été réussi l’aurait-on fait tirer une seconde fois ?)…

On connait depuis longtemps ce mépris pour les citoyens. Dans l’Antiquité romaine, Juvénal (Satires X, 81) disait déjà que le peuple se contentait de «panem et circenses » (du pain et des jeux). Mais nous espérons que les citoyens français feront mentir cette affirmation et que tout cela ne fera pas oublier pour autant les Gilets Jaunes.

La seconde raison pour laquelle les citoyens africains continueront à s’adresser à la communauté internationale, est que de plus en plus les diplomates ne pourront plus jouer les étonnés quand on leur dira ce qui se passe dans nos pays. Personne n’est d’ailleurs dupe de cette attitude, car, nous savons de quels gigantesques moyens, ils disposent pour obtenir des informations : on n’est plus au temps des agents secrets, les services secrets d’aujourd’hui se servent de toutes les avancées technologiques, satellites et réseaux sociaux, en l’occurrence !….

Nous les informerons donc au jour le jour, et leur silence, leur manque de réactivité finira par mettre en lumière cette hypocrisie qui veut que ce qui est inacceptable en Occident devient acceptable, parce qu’on est en terre africaine, que tel processus électoral est convenable puisqu’il n’y a pas eu trop de violences, même si en Occident on n’accepterait guère les résultats d’une élection où les citoyens auraient subi quelque violence que ce soit.

Il viendra un jour où ils ne pourront plus soutenir ouvertement les dictateurs qui à la suite de Caligula déclarent « Oderint dum metuant », qu’ils préfèrent être craints quitte à ne pas être aimés.

Il viendra un jour où les faits donneront tort au maître à penser de certains diplomates, Machiavel qui dit : « Les hommes hésitent moins à offenser quelqu’un qui veut se faire aimer qu’un autre qui se fait craindre ; car le lien d’amour est filé de reconnaissance, une fibre que les hommes n’hésitent pas à rompre, parce qu’ils sont méchants dès que leur intérêt personnel est en jeu, mais le lien de la crainte est filé par la peur du châtiment qui ne les quitte jamais. »

Le lien de la crainte est beaucoup moins solide que ne le croient les dictateurs et tous ceux qui les soutiennent. Car le même Machiavel dit :« La meilleure forteresse au monde est l’affection du peuple. Si tu as les pierres sans avoir les cœurs, elles ne suffiront pas à te protéger ; car s’il prend les armes contre toi, le peuple ne manquera jamais de secours extérieurs. »

Source : Togoweb.net