Le Niger connaît de sérieux problèmes d’énergie. Le pays dépend à 60% de son voisin nigérian en termes d’énergie électrique. Et pour assurer une souveraineté durable pour le pays, le gouvernement s’est lancé un gros pari : profiter de l’énorme réserve en uranium dans son sous-sol pour développer un programme électro-nucléaire d’ici 2030. Pour ce faire, la Haute autorité nigérienne à l’énergie nucléaire (Hanea) a été lancée en 2013 en vue de poser les jalons du programme. Que fait exactement la Hanea ? En quoi le programme nucléaire pourrait changer le quotidien du citoyen lambda ? Quels risques ? Dans cette interview, Daouda Djibo, Secrétaire général de la Hanea et Directeur du département électro-nucléaire en charge de la mise en œuvre du programme électro-nucléaire, a livré ses réponses au site d’information Niamey et les 2 Jours.
Niamey et les 2jours : Bonjour Daouda Djibo, merci d’accorder cette interview à Niameyetles2jours. La Hanea a été lancée en 2012. Pour quel but ?
Daouda Djibo : Je vous remercie. Effectivement, la Haute autorité nigérienne à l’énergie nucléaire a été créée le 04 décembre 2013 dans le but de faire la promotion des sciences et techniques nucléaires au Niger y compris l’électro-nucléaire. Depuis les années 50, le monde entier a connu et reconnaît les énormes bénéfices qu’on peut tirer des sciences et techniques nucléaires. Dans la Constitution, c’est un devoir d’utiliser la technique nucléaire pour assurer les besoins des citoyens. Et c’est pour cela qu’un département des sciences et techniques nucléaires a été créé en 2011. En 2012, nous avons commencé l’élaboration des textes et la Hanea a été lancée en 2013 pour assurer la mission que je viens de citer.
N2J : D’accord, votre but est de déployer l’énergie nucléaire d’ici 2035. Selon une étude l’Agence internationale pour l’énergie atomique (Aiea), il faudrait attendre 2030 pour que l’utilisation des techniques nucléaires soit économiquement viable. Pourtant, la Hanea est lancée en 2013. Sur quoi travaillez-vous et que ferez-vous d’ici 2035 pour rendre cela effectif ?
DD : Tout d’abord, l’horizon visé est 2030 et non 2035. Un programme électro-nucléaire est un programme standard d’envergure internationale. Il y a l’Aiea qui a élaboré des normes pour la mise en œuvre d’un programme électro-nucléaire scindé en trois phases : la première phase consiste à évaluer l’infrastructure nucléaire dont nous disposons (les ressources humaines qualifiées, le réseau électrique, l’évaluation des sites capables d’abriter une centre nucléaire, etc). Il y a 19 domaines qui doivent être étudiés et dévoilés. A ces 19 domaines, le Niger a ajouté un autre en fonction de sa spécificité. Il s’agit de la disponibilité des ressources en eau. Plus d’un se demandent si le Niger qui veut développer un programme électro-nucléaire dispose de l’eau. Pour y répondre, le domaine des ressources en eau est ajouté.
La deuxième phase consiste à évaluer ce que nous avons fait et le comparer avec les normes fixées par l’Aiea en vue de combler le gap.
La troisième phase consiste à construire les centrales. La fin de cette phase sera sanctionnée par une mission d’évaluation de l’infrastructure nucléaire intégrée que va mener l’Aiea. Nous prévoyons de faire cette mission en décembre 2017. Nous avons déjà fait un rapport d’auto-évaluation nous-même ; nous avons identifié le gap par rapport aux normes et nous avons fait une stratégie pour développer et supprimer le gap.
N2J : Les sorties médiatiques de la Hanea sont beaucoup plus consacrées aux ratifications de textes, conformité aux normes, etc. C’est quoi l’importance de tout cela ?
DD : Comme tout projet, nous avons plusieurs domaines à évaluer, dont le cadre légal et institutionnel. Et comme je l’ai dit, un programme nucléaire est un programme international. Pour cela, plusieurs conventions internationales existent. Il y a une dizaine de conventions internationales à ratifier et il faut aussi une loi générale qui régule l’activité nucléaire en passant par le transport de l’infrastructure radioactive. Nous avons déjà signé et ratifié 9 textes et nous avons aussi créé l’organisme de régulation, l’Autorité de sûreté nucléaire (Arsn). Il reste encore quelques lois à faire passer pour être dans les normes internationales.
N2J : Est ce à dire que d’ici 2030, le Niger aura une centrale nucléaire ?
DD : D’ici 2030, nous comptons débuter la construction et plus précisément le 18 décembre 2026. Déjà le 18 décembre 2021, le site qui va héberger la centrale nucléaire sera identifié et la première pierre sera posée.
N2J : M. Djibo, le Niger dispose du taux d’ensoleillement le plus élevé au monde. Est ce que le solaire ne pourrait-il pas être la panacée face au déficit criard d’électricité ? Pourquoi plutôt l’électro-nucléaire ?
DD : C’est une question vraiment importante que vous posez. Le Niger dispose de plusieurs ressources pour produire l’électricité. Nous avons le solaire, le charbon, l’éolien, le nucléaire, l’hydraulique, etc. L’énergie solaire peut bien satisfaire les besoins énergétiques par ses applications photovoltaïques, thermiques et par la culture du bio-carburant. Cependant, le problème qu’on a avec l’énergie solaire, c’est la faiblesse de la densité énergétique. C’est à dire qu’il faut de grands espaces pour produire une petite énergie.
Un second problème, l’énergie solaire n’est pas totalement maîtrisée aujourd’hui. Il faut des appoints. Sur les 24 heures, nous avons le soleil, 8h par jour. Les 2X8 heures qui restent, il n’y a pas de soleil. Il faut donc utiliser des batteries solaires fabriquées à base avec de métaux extrêmement nocifs pour l’environnement. Aussi, faut-il pouvoir stabiliser la production d’énergie, comparée à d’autres sources, pour compléter l’énergie solaire.
Aujourd’hui, les efforts réalisés sont dans le domaine de la photo électricité, c’est à dire l’utilisation des panneaux solaires. Sauf que les panneaux solaires et les batteries sont fournis d’ailleurs. Et 3 ans après, il faut tout renouveler, ce qui va à l’encontre de la souveraineté énergétique.
Selon une étude de l’Aiea, dans les 30 années à venir, le schéma électrique sera toujours assuré par le charbon et l’uranium. Par conséquent, on pourra utiliser les autres énergies renouvelables pour l’éclairage dans les centres isolés. Mais pour faire du développement, on a besoin de l’énergie forte. Et parlant de ça, il n’y a que le charbon et le nucléaire. Il y a des problèmes de pollution avec le charbon. Et il ne reste que le nucléaire.
N2J : Qu’est ce qui différencie votre mission de celle du Centre national de radioprotection ?
DD : Le Centre national de radioprotection est un centre de protection de la population contre les dangers des rayonnements ionisants. Il jouait le rôle de régulateur, celui pour lequel nous venons de créer l’Arsn. Aujourd’hui, ce Centre est dissout par une loi qui emmène toutes les entités de régulation dans l’Arsn. Auparavant, le Centre lui-même faisait des pratiques et régulait. Maintenant, le côté régulation va à l’Arsn et le côté service technique vient à la Hanea. Donc, la Hanea est chargée de faire la promotion de l’utilisation de l’électro-nucléaire tandis que l’Arsn a pour mission de contrôler la mise en œuvre des lois pour la protection des hommes et de l’environnement.
N2J : Nous avons constaté durant des séances de vox pop avec la population qu’elle ne comprend pas grande chose de ce qu’est l’énergie nucléaire. D’autres ne savent même pas qu’il y a une structure du nom de la Hanea. Niameyetles2jours vous donne l’opportunité d’expliquer en des termes simples ce que la Hanea pourra apporter dans leur quotidien ?
DD : Pour l’instant, nous sommes dans une phase où le grand public n’est pas encore très informé du programme électro-nucléaire. Je vous avais dit que nous avons 20 domaines à scruter. Parmi eux, il y a un sous-comité spécialement dédié à l’information et à l’engagement du public. Sa mission est d’apporter la bonne nouvelle au public.
Pour les avantages de l’électro nucléaire, prenons le solaire, le Niger est parmi les meilleurs au monde. Lorsqu’on prend l’énergie éolienne, le Niger est parmi les meilleurs en Afrique. Mais quand on prend le nucléaire, le Niger est unique. Nous sommes les seuls à en disposer sur le continent.
Si nous connectons aujourd’hui une centrale nucléaire de 1000 Mw, nous aurons un taux de croissance du Pib de 25% pour la première année. Cette croissance suivra de 12,5% chaque année pendant dix ans.
Un programme électro-nucléaire permet de créer 100 000 emplois. Il y aura 5000 personnes qui vont travailler pendant les 5 ans que prendra la construction de la centrale. En plus, le pays bénéficiera de la haute technologie qu’on utilisera pour la mise en place de cette centrale.
Dans notre pays par exemple, dans le domaine de la sécurité alimentaire, la contribution qu’on peut tirer dans la conservation des aliments est énorme parce que la conservation des produits destinés à l’exportation est un réel défi aujourd’hui. La durée de conservation de l’oignon, de la pomme de terre sont entre 7 et 20 jours lorsque l’on utilise les techniques classiques. Cela ne permet pas de tirer tous les bénéfices par les producteurs.
Alors que si nous utilisons les techniques de conservation d’irradiation pour la conservation, nous pouvons prolonger cette durée de 6 à 8 mois en fonction des produits. Il en est de même pour la pomme de terre qui se produit à 4 tonnes l’hectare. Ce qui est largement suffisant pour alimenter toute une famille. Mais, de manière résiliente, la population ne se tourne pas vers cette denrée parce qu’elle ne peut pas se conserver en attendant le prochain cycle de 4 mois.
Dans le domaine de la gestion des ressources en eau, notre sous-sol regorge assez d’eau pour alimenter la population. Nous sommes sur 4 bassins sédimentaires. Pourtant, nous manquons d’eau. Alors, la technique nucléaire pourrait nous permettre de localiser exactement où se trouve l’eau, sa qualité, sa quantité.
Dans la lutte contre le réchauffement climatique, 50% des émissions de gaz à effet de serre sont dues à la production d’énergie au travers des CO2 dégagées par les centrales classiques. Une centrale nucléaire n’émet aucun gramme de CO2.
Dans le domaine de la santé, le Niger dépense aujourd’hui environ 2 milliards de Fcfa pour évacuer des personnes atteintes de cancer. Le monde entier reconnaît que les techniques nucléaires principalement la radiothérapie permet de guérir efficacement les personnes atteintes de cancer. Il en est de même pour le diagnostic du diabète, les techniques nucléaires sont les plus efficaces.
Si nous prenons le domaine de l’énergie, le Niger est le seul pays qui détient 10% des réserves mondiales d’uranium. Nous sommes le quatrième producteur mondial et nous produisons environ 5000 tonnes d’uranium par an. Nous avons une réserve de 1 million 800 000 tonnes d’uranium. Si on l’évalue en termes d’énergie, ça fait 3000 Gigawatts, soit 3 millions de mégawatts. Nous pouvons alimenter le monde entier avec notre ressource.
150 tonnes d’uranium peuvent produire 1000 Mégawatts/heure. Ce qui est suffisant pour la consommation d’énergie en Afrique de l’ouest.
N2J : M. Djibo, toujours selon les retours que nous avons eus sur le terrain concernant l’utilisation du nucléaire, plus d’un émettent des réserves concernant d’éventuels risques d’incidents, d’explosions de la centrale…
DD : Ceci est lié à l’histoire du nucléaire. Malheureusement, le grand public a découvert les sciences du nucléaire dans la catastrophe. Au moment où on a lancé une bombe nucléaire. Ce qui n’est pas le cas lorsque nous prenons les autres sciences. Sinon, la chimie par exemple fait plus de dégâts que le nucléaire, mais si on parle de la chimie, ça ne dérange personne tout simplement parce qu’on a connu des applications pacifiques de la chimie avant de découvrir leurs problèmes. Quand on prend l’avion aussi, il cause plus de morts que le nucléaire, mais ses avantages pacifiques ont été découverts en premier. C’est ce qui explique le fait qu’un accident nucléaire est plus sensible que les autres sciences. Pour revenir à votre question, le nucléaire n’est bien sûr par sans danger tout comme les autres sciences. Mais les nouvelles mesures et la rigueur qu’on y met limitent considérablement le risque d’accident.
N2J : Vous avez dit plus tôt que c’est le Niger seul qui dispose de l’uranium en Afrique. Quel avantage pour l’Afrique ?
DD : L’Afrique de l’ouest a un système dénommé système d’échange d’énergie, le West african power pool (Wapp). Son centre d’information est à Cotonou et aujourd’hui chaque pays africain qui produit de l’électricité de manière suffisante a le droit de le vendre sur le marché régional. Donc, si le Niger produit suffisamment de l’électricité, il peut le vendre dans le système régional. Nous sommes actuellement électriquement connecté à 8 pays, le Bénin, le Togo, le Ghana, le Burkina Faso, le Sénégal, la Côte d’ivoire, le Mali, le Nigéria.
Aussi, le programme électro-nucléaire du Niger est sous-régional. Nous avons tenu en 2014, une première réunion du groupe ouest africain pour le programme. Chaque pays aura un pan du programme. Par exemple, il y aura des pays qui vont se spécialiser dans le transport électrique, d’autres dans la fourniture des combustibles ou encore la gestion des déchets (combustible usé), etc. Donc, l’impact économique se fera sentir et aussi sur la création d’emplois.
Interview réalisée par Guevanis DOH
Agence Ecofin