Un homme a entre les mains la solution à la crise politique traversée par le Togo: Faure Gnassingbé. Mais les Togolais vont devoir ne compter que sur eux-mêmes pour sortir de ce pétrin. En visite vendredi au camp Témédja, il a tenu un discours d’une extrême gravité devant les militaires. Alors qu’on espérait l’entendre se prononcer sur la crise et surtout la répression qui s’abat sur le peuple, l’hôte du jour a plutôt pris le parti des Forces armées togolaises (FAT) dont il promet de venger (sic) les deux éléments tués à Sokodé, ignorant carrément les victimes civiles, plus nombreuses. Bien plus, à ses yeux, les organisateurs des manifestations de contestation de son pouvoir et les populations qui y adhèrent ne sont rien d’autres que des…terroristes. Pour le tout premier dirigeant du pays et chef suprême des armées, ces propos sont d’une gravité innommable et méritent d’être retenus pour l’histoire…
Depuis le début de la crise, il ne s’est vraiment pas donné la peine de se prononcer clairement, notamment face aux revendications légitimes des populations et à la répression sauvage qui s’abat sur elles. La situation nécessite qu’il le fasse au travers d’un discours formel. La première fois qu’il a « ouvert [la] bouche » sur le sujet, c’était le 28 octobre dernier à Tsévié, à l’occasion du tout premier congrès du RPT alias UNIR (Union pour la République), mais sur fond de commérages politiques où il se disait surpris d’apprendre que lui, « un homme simple », soit peint en « dictateur sanguinaire ». La seconde, c’est à l’occasion de son déplacement, vendredi dernier, au camp Témédja. Mais ce passage restera gravé dans les mémoires au regard du discours tenu devant les militaires.
Hommage aux militaires tués, pas d’égard pour les victimes civiles…
« Notre pays est actuellement perturbé par des manifestations qui, loin d’être pacifiques, comme l’autorise la loi, ont été d’une très grande violence. Ceux ou celles qui organisent ces manifestations portent la lourde responsabilité des victimes ainsi que des dégâts causés », a dégainé Faure Gnassingbé, devant les dignitaires des FAT, les responsables du camp de Témédja et les hommes de rang. On l’aura compris, il porte donc le chapeau de la situation, tout comme le font certains de ses ministres et autres porte-voix, à l’opposition et à ses leaders.
Les victimes, il en a parlé. Dans la répression sauvage des manifestations par la soldatesque, ce sont les manifestants et citoyens ordinaires qui sont plus tués. De la vingtaine de morts enregistrées depuis bientôt trois (03) mois, les civils en constituent la quasi-totalité. Et parmi ces victimes civiles, même des enfants, trois (03) au moins : Abdoulaye Yacoubou à Mango, Agrigna Rachid à Bafilo, Jojo Zoumeke à Lomé. Il y a eu aussi deux (02) morts enregistrés dans les rangs des corps habillés. Mais Faure Gnassingbé a choisi son camp, celui de ceux qui détiennent les armes et tuent les populations civiles aux mains nues.
Devant les hommes en arme, il a rendu hommage aux deux militaires tués à Sokodé en marge de la révolte des populations le 16 octobre dernier suite à l’arrestation de l’imam Hassane Djobo Mohamed, et surtout s’est engagé à punir les auteurs de leur meurtre, prémédité à en croire ses propos. « Je veux de nouveau leur rendre hommage ici et à leur famille. Ils sont allés avec courage au bout de leur engagement au service de la paix, pour notre pays », a-t-il déclaré, et de promettre : « Leurs assassins sont activement recherchés, et tout sera mis en œuvre pour les retrouver, où qu’ils se trouvent, les juger et les châtier conformément aux lois de notre République ». Pas une pensée pour ces nombreuses victimes civiles et les populations aux mains nues sur lesquelles sa soldatesque tire à loisir et qu’elle violente, aidée par les milices armées. « Mais, les autres victimes ne méritent-elles pas que leurs assassins soient trouvés où qu’ils se trouvent et condamnés ? Décidément, Faure est le président de certains Togolais (la minorité qui accapare les richesses du Togo). Nos morts ne valent pas un sou puisqu’eux, ils ne méritent pas une enquête pour trouver des auteurs pour un châtiment. Redoublons d’efforts, le match est loin d être terminé », se désole un concitoyen.
Faure dresse l’armée contre le peuple
C’est le moins que l’on puisse dire, à lire entre les lignes. Sur les deux militaires qui ont trouvé la mort à Sokodé, il a relevé qu’ils ont été « lynchés » puis « décapités » par « un groupe d’individu organisé et préparé ». Ainsi, à de pseudo-groupes de jeunes qui à Kara, ramènent la mort de ces deux soldats sur le terrain du tribalisme et ont saccagé la mosquée de Tchitchinda sous prétexte de venger leurs frères (sic) tués, s’adjoint le premier dirigeant du pays qui parle de groupe organisé. Ces propos donnent l’idée d’un crime prémédité, et lorsqu’on sait que les événements se sont déroulés à Sokodé, le fief de Tikpi Atchadam et du Parti national panafricain (PNP), déjà accusés à tort depuis leur percée sur la scène politique de terroristes, l’on peut aisément deviner vers qui l’hôte du jour pointe le doigt accusateur…
Dans l’hypothèse que ces militaires ont été effectivement tués dans ces conditions, le bon dirigeant se garderait bien de donner ce détail, dans le souci de préserver la paix (pas « ce mot de quatre mots », P.A.I.Y, comme le dirait quelqu’un). Ce détail donné par Faure Gnassingbé est loin d’être anodin et est suffisamment révélateur de ses intentions. Surtout qu’il s’agit là du chef suprême des armées, cela sonne ou pourrait être interprété comme une invite aux militaires à laver l’affront (sic). Ces précisions auront du moins l’effet de susciter chez eux le désir de venger leurs frères d’armes tombés et seront compris comme des instructions données pour agir.
Cette sortie de Faure Gnassingbé a le mérite de confirmer tout ce que racontent ses envoyés sur les ondes… Il faudra, au demeurant, appréhender les jours et semaines à venir sous de très mauvais auspices, vu que le Prince a renouvelé sa « confiance totale » aux FAT à cette occasion et leur a donné ce que certains conçoivent comme une instruction : « Sous la conduite de vos chefs, j’ai la conviction que vous vous comporterez toujours en soldats responsables face aux provocations et aux menaces de toute sorte. Je sais pouvoir compter sur votre courage et votre sens de devoir pour relever tous les défis qui vous seront lancés, et que, sans faiblesse, nous serons ensemble pour répondre à toute menace ou action terroriste qui pourrait toucher notre nation ». La menace terroriste dont il parle, visiblement, c’est la contestation légitime de son pouvoir par les populations. Certains observateurs voient le peuple en danger et demandent aux organisations de défense des droits de l’Homme de requérir l’envoi d’observateurs militaires internationaux au Togo dans le cadre des prochaines manifestations envisagées par l’opposition, dans le souci d’éviter le pire pour les populations civiles…
Des citoyens scandalisés
Ces propos de Faure Gnassingbé ont heurté des citoyens. Voici quelques réactions concoctées sur la toile.
« Quel est ce président qui monte des militaires contre son peuple ? (…) Quand Faure parle de châtiment, c’est vraiment très grave. Un chef de l’Etat ne doit pas prononcer ce mot. Ce discours me fait froid dans le dos. J’ai vraiment peur pour notre nation. Cet homme (…) veut marcher encore sur nos cadavres », râle un instituteur.
« Je me demande si Faure a mesuré la gravité et la portée de son discours. Il appelle ouvertement l’armée à martyriser la population. Il dit qu’on a lynché et décapité les soldats et que les coupables seront punis et châtiés. Les militaires, eux, n’ont-ils pas tué des civils? N’ont-ils pas bastonné des femmes, des vieux, des enfants et surtout des jeunes? N’ont-ils pas incendié les maisons et les boutiques de pauvres gens à Sokodé ? Maintenant Faure les considère comme des victimes et la population les coupables. Qui rendra justice aux tués et bastonnés? (…) », peste un compatriote.
Un autre : « Un président qui considère ses concitoyens comme des terroristes et demande à l’armée de riposter, il y a péril en la demeure ».
Les propos du Prince devant les militaires au camp Témédja rebutent aussi au sein de la classe politique. Les Démocrates, le parti de Habia Nicodème « s’insurge contre le machiavélisme de Faure et l’instrumentalisation des FAT ».
« Faure Gnassingbé, en déclarant hier dans une caserne que ceux qui organisent les manifestations contre son pouvoir ( les leaders de l’opposition) sont responsables des troubles dans le pays et donc responsables des victimes de la répression (…), encourage implicitement les militaires à considérer les manifestants comme des ennemis. En se mettant dans une telle posture, le président de la République se comporte comme un dictateur sanguinaire », déplore de son côté Kohan Binafame des Forces démocratiques pour la République (FDR), et de lancer cet appel patriotique sur fond d’avertissement aux FAT : « Nos frères militaires doivent comprendre que la lutte que mène le peuple togolais n’est nullement dirigée contre eux, mais elle vise à poser les bases d’une véritable démocratie dans notre pays où règne la justice sociale. En tout cas, tous les corps habillés (militaires, gendarmes, policiers) qui font usage de leurs armes contre les manifestants doivent comprendre que tôt ou tard, ce régime tombera et ils seront jugés ». A bon entendeur…
Tino Kossi
Source : Liberté No.2556 du 13 novembre 2017
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