Portée par plusieurs milliers de citoyens togolais, la vague de colère qui s’est emparée du pays ne s’éteint pas. Malgré la répression féroce exercée par le pouvoir du président Faure Gnassingbé contre ses propres citoyens descendus réclamer son départ, l’opposition ne compte pas lâcher. « Le mouvement n’est pas réversible » affirme, catégorique, un partisan de l’Alliance nationale pour le changement (ANC) de Jean-Pierre Fabre, figure historique de l’opposition togolaise dont la maison à Lomé a été la cible de tirs de gaz lacrymogène la semaine dernière. Les quinze partis formant la coalition qui affronte le président togolais ont annoncée de nouvelles manifestations les 6, 7 et 8 novembre dans la capitale et d’autres villes de l’intérieur du pays.
Fragilisé par près de trois mois de contestation, le pouvoir a considérablement durcit ses mesures de rétorsion. La semaine dernière, la violence est montée d’un cran lorsqu’après avoir lancé une interdiction de manifester les jours ouvrables, les autorités ont envoyé des miliciens armés aux côtés des forces de sécurité pour contenir les soulèvements. A Sokodé au nord du pays, plusieurs témoins ont rapporté avoir vu des militaires effectuer de violentes incursions dans les habitations allant jusqu’à passer à tabac des citoyens. “Le régime de terreur de Faure montre son vrai visage” lâche un manifestant.
La parole libérée
Usés par cinquante ans de règne de la dynastie Gnassingbé (le père Gnassingbé Eyadéma a dirigé le pays de 1967 à 2005, succédé ensuite par son fils, Faure Gnassingbé), les Togolais, à l’image des Burkinabè en 2014, ont pris le train de la révolte contre un pouvoir marqué par le népotisme et l’accaparement des richesses. Deux éléments déclencheurs ont accéléré le basculement. D’abord, la non-rétroactivité de la réforme constitutionnelle devant être soumise à un référendum, prévoyant de limiter à deux le nombre de mandats du chef de l’Etat tout en lui permettant de se représenter en 2020 a provoqué l’ire de l’opposition.
Celle-ci a récolté un soutien feutré mais réel des autorités religieuses du pays. Deuxièmement, comme le souligne un diplomate français, “l’étincelle est venue là où on ne l’attendait pas, c’est à dire du nord”. Originaire de Sokodé dans le nord du pays traditionnellement favorable au président, le leader du Parti national panafricain (PNP), Tikpi Atchadam, propulsé à la tête de la contestation a su re dynamiser une opposition en perte de vitesse. Surtout, son entrée en action a permis de court-circuiter le discours du pouvoir prompt à agiter la menace d’une révolte régionaliste venue du sud dont sont en grande partie originaires les cadres de l’ANC. “En s’adressant aux populations de sa région en Tem, la langue locale, lors de réunions sur les thèmes de la gouvernance et de la composition du budget, Atchadam a totalement renversé l’argument régionaliste” explique un membre de l’ANC. “Le mécontentement général a fait le reste”.
Alors qu’en 2005, l’élection de Faure Gnassingbé à la tête du pays pourtant très contestée n’avait provoqué que quelques remous rapidement étouffés, la parole semble désormais libérée. “Les gens n’ont plus peur” affirme un manifestant. Sur twitter, les membres du gouvernement sont vivement pris à parti. Le 10 octobre, lors d’un débat organisé par le Réseau Ouest-Africain pour l’Edification de la Paix à Lomé, Christophe Tchao, le Président du groupe parlementaire UNIR, un parti rallié à la majorité présidentielle, a déclaré ne plus dormir la nuit en raison des “menaces” et du “harcèlement” dont il est la cible par téléphone.
La France muette
Signe que l’opposition n’a pas l’intention d’abandonner le bras de fer, plusieurs propositions de médiations ont été écartées afin de ne pas reproduire les erreurs du passé. La mission de l’Organisation Internationale de la Francophonie attendue début octobre à Lomé avec à sa tête l’ancienne ministre des affaires étrangères nigérienne Aïchatou Mindaoudou a finalement renoncé à se rendre dans le pays. Très contestée dans les rangs de l’opposition, Aïchatou Mindaoudou est accusée de s’être montrée favorable au pouvoir lors de précédentes crises au Togo. Lors du scrutin présidentiel controversé de 2005, elle avait notamment qualifié le ministre de l’Intérieur de l’époque, François Boko, d’”irresponsable” après que celui-ci eût démissionné de ses fonctions pour protester contre l’organisation des élections. L’Union Africaine ne récolte pas plus la confiance de l’opposition. Invités à Conakry par le président en exercice de l’organisation régionale, le guinéen Alpha Condé, les principaux acteurs de la contestation, Tikpi Atchadam et Jean-Pierre Fabre qui le soupçonnent de planifier une modification constitutionnelle lui permettant de se maintenir au pouvoir ont refusé d’engager les pourparlers. Ces obstructions ont obligé à passer le relais à d’autres pays de la sous-région, notamment le Bénin et la Côte d’Ivoire qui travaillent désormais à l’élaboration d’une solution.
Dans les rangs de l’opposition et au sein de la société civile, nombre de voix appellent également Paris à réagir. Jusqu’à présent, aucune position officielle n’a été adoptée par la diplomatie française malgré les critiques formulées en coulisses. Une posture jugée bien trop timide par l’ANC encouragée jusqu’à tout récemment par les autorités françaises à se satisfaire de la limitation constitutionnelle fixée à deux mandats présidentiels.
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