Cité au Quotidien: L’Afrique Nouvelle, dans les Douleurs de l’Enfantement

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Quel est le virus qui attaque le continent africain ? Le COVID -19 n’ a pas fait autant de dégâts que lui. Tant que l’idée du pouvoir pour le pouvoir sera présente dans les mentalités alors l’alternance politique sera une mise en scène apte à ridiculiser le continent et à retarder son développement. Bonne lecture de la tribune de cette semaine.

Dans l’histoire bouleversante de la traite négrière vécue par l’Afrique, qui peut oublier les noms des lieux comme Le Fort Saint-Georges d’Elmina, le Fort de Cape Coast, tous deux au Ghana et celui de l’île de Gorée au Sénégal ? Tous ces lieux, qui font partie du patrimoine mondial de l’humanité selon l’UNESCO, renvoient à l’inhumanité qui a été pratiquée car non seulement ce sont des lieux de privation de liberté mais plus encore des lieux de chosification et de marchandisation de l’Homme Noir. Tous ces forts, caractérisés par une “porte du non-retour”, donnent de terribles frissons quand on saisit comment des êtres humains, à cause de leurs propres intérêts, ont été capables d’indifférence à la souffrance d’autres êtres humains, à qui ils dénient tout caractère de semblable pour se donner, avec bonne conscience, le droit de les priver de leur liberté.

Dans un tel contexte d’horreur, à laquelle étaient insensibles les négriers puisqu’ils ils avaient transformé les autres en biens marchands pour accroître leur domination mais aussi leurs biens économiques, on ne peut ne pas être saisi par le cri de FREEDOM des Noirs déportés partout dans le monde et, aussi des Noirs restés sur le continent, ce cri qui dit leur aspiration à vivre autre chose et à être reconnus comme des êtres humains ayant une culture, une langue, une religion, des savoirs, savoirs-êtres etc.

Dans la maison des esclaves à Gorée, on peut lire ces mots « l’esclavage est l’acte de posséder un autre être humain. Être réduit en esclavage, c’est être considéré comme un bien appartenant à une autre personne. Presque toutes les sociétés ont pratiqué une forme ou une autre d’esclavage mais l’esclavage alimenté par la traite transatlantique des esclaves signifiait que le corps, le travail, les familles, les enfants, la foi et tous les aspects de la vie des Africains étaient contrôlés par une autre personne pendant toute leur vie et celle de tous leurs descendants. »

Le cri de la quête de la liberté, issu de l’inacceptable réalité de l’esclavage, s’est prolongé dans la période coloniale, une autre phase sombre de la chosification de l’Africain à qui on devrait apporter la civilisation, le christianisme et la culture, en oubliant sciemment ou par pure ignorance l’histoire de ce continent avec ses grandes civilisations. Qui peut dans un contexte de déshumanisation des Africains, considérés comme des êtres sans âme et traités comme des bêtes de somme, soutenir l’idée de bienfaits de la colonisation ? La ruse occidentale, soutenue par sa puissance militaire, économique et scientifique, s’est installée comme unique forme de subtilité et d’expression intelligente.

A un Occident trop fier, il est difficile de dire et de redire la parole, une fois vraie, d’Emmanuel MACRON en Algérie « la colonisation est un crime contre l’humanité ». Et pourtant, c’est bien le deuxième crime contre les Noirs après l’esclavage.

Au cri de la liberté recherchée après l’esclavage et la colonisation, a répondu la période des indépendances, période de grands espoirs portés par des nationalistes. Mais hélas ! Car depuis 1960 « l’indépendance s’est figée dans un style aberrant d’exercice du pouvoir. Elle s’est vu confisquée par des castes d’hommes politiques, par des clans prompts à imposer le système d’État-tribu qui aujourd’hui, pour notre malheur, préside, encore, essentiellement au destin de l’Afrique noire » (KÄ MANA).

Et c’est la confiscation de cette liberté recherchée par les peuples africains depuis des siècles, qui perdure jusqu’au XXIè siècle. On dirait que chaque fois qu’il y a une possibilité d’aller vers cette liberté, qui définit tout être humain, des gens, un groupe d’individus, un clan, comme l’écrit Kä Mana, se dressent sur le chemin pour la rendre irréalisable.

Et c’est ce qui s’est passé le 17 septembre 2022 au Sénégal, pays dont le président, Macky SALL, assure la présidence de l’Union Africaine. Le mythe du Sénégal, pays démocratique est tombé. Et il s’est dévoilé comme une illusion démocratique. En effet, pour un continent attaqué par le virus du troisième mandat et donc le refus de quitter le pouvoir, des organisations de la société civile et des artistes, venus de sept pays (Togo, Côte d’ivoire, Niger, Gabon, République Démocratique du Congo, Bénin et du Sénégal) , ont voulu lancer une campagne pour la limitation de mandat. Et Dakar, capitale du Sénégal, a été choisi pour deux raisons.

La première c’est que le président du Sénégal est le président en exercice de l’Union Africaine. Et donc choisir le Sénégal, c’est un symbole pour parler à tous les pays africains.

La deuxième raison est que le Sénégal, présenté souvent comme modèle de démocratie, pouvait servir de cadre pour le lancement de la campagne pour la limitation de mandat étant donné que le président Macky SALL avait lutté lui-même contre le virus du troisième mandat qui avait piqué Abdoulaye WADE l’opposant emblématique élu président en 2000. Mais hélas le concert, auquel a été donné le nom de « Grand Concert Panafricain de Limitation 2 mandats », a été interdit par le préfet de Dakar évoquant le risque de troubles à l’ordre public. Mais est-ce le vrai motif ou bien la frilosité des autorités dans un pays où le président serait piqué aussi par le dangereux virus du troisième mandat ? Le COVID-19 africain aurait-il pour véritable nom le virus du troisième mandat pour les autorités politiques en Afrique ? L’Afrique a limité les dégâts du COVID-19 mais saura-t-elle limiter les catastrophes du virus du troisième mandat qui n’a pas encore trouvé de remède et qui donne la fièvre aux autorités politiques y compris celles du Sénégal ?

En analysant les faits, on peut se rendre compte d’ailleurs que le changement de personne au sommet de l’État, qui est nécessaire, ne suffit pas pour faire d’un pays une démocratie moderne. L’alternance politique est d’abord et avant tout un changement de mentalité, une réelle capacité de savoir quitter le pouvoir et non un ensemble de stratégies juridiques pour conserver le pouvoir. L’invention de la remise du compteur à zéro, ou de la modification de quelques articles pour ne plus quitter le pouvoir après deux mandats ne saurait être une belle invention des pays africains qui ont ici, une fois de plus, changé le sens d’un mot, celui de l’alternance. Tant que la conception du rapport au pouvoir n’aura pas changé et que l’idée du pouvoir pour le pouvoir sera présente dans les mentalités alors l’alternance politique sera une mise en scène apte à ridiculiser le continent et à retarder son développement.

Ainsi, « loin d’être une conquête radicale et une volonté de novation intégrale de la vie et de la pensée, la démocratie (avec l’alternance politique) s’instaure comme une orchestration nouvelle d’un partage des pouvoirs entre les dictateurs “convertis ” au pluralisme politique et les nouvelles figures politiques soucieuses de leur propre intérêt qu’elles veulent sauvegarder… » (KÄ MANA).

Le Sénégal, d’après son histoire, sa position dans l’A.O.F. et ses expériences après les indépendances, était présenté comme pays modèle et donc un pays francophone différent des autres. Cela semblait lui conférer, non seulement une certaine crédibilité, mais surtout une certaine fierté. Et après les années 1990, il a été présenté comme un pays modèle de démocratie, et par conséquent de liberté après la ténébreuse expérience de Gorée. Il a été présenté aussi comme modèle de démocratie car c’est un pays qui a connu des changements de personne au sommet de l’État à la suite d’organisation d’élections. Mais, depuis plus de trois décennies, on sait que la simple organisation d’élections ne suffit pas pour donner le caractère démocratique à un pays sinon beaucoup de pays africains seraient déjà des États démocratiques !

Dans les années 1990, les autorités politiques en Afrique ne voulaient pas de la démocratie, car pour elles, la démocratie rime avec risque de perdre le pouvoir ; elles ont alors soutenu que les pays africains ne sont pas encore prêts pour la démocratie. Et puis quelques années après quand elles ont compris que l’on pouvait organiser des élections truquées pour rester au pouvoir, alors elles sont devenues des chantres de la démocratie. C’est ainsi qu’en Afrique les élections ont été déviées de leur nature, celle de la dévolution pacifique du pouvoir. Par conséquent, les élections ne sont pas un gage de démocratie, on le sait depuis quelques années, mais à présent on commence à apprendre que l’alternance au sommet de l’État n’est pas non plus un gage pour la culture démocratique car le virus du troisième mandat rôde au plan national, et au plan sous régional, car il a été impossible d’inclure le principe de la limitation de mandat dans le protocole additionnel sur « la Bonne gouvernance et de la Démocratie » de la CEDEAO.

Et quand des artistes, comme des griots de nos traditions, veulent proclamer ce principe, on leur interdit l’accès à la place publique. Mais c’est oublier que l’espace public d’aujourd’hui n’est plus celui des dernières décennies grâce aux réseaux sociaux qui, eux, sont prêts à accueillir la voix de nos artistes.

Le Sénégal tombe de son piédestal ! Tous ceux qui exaltaient le modèle sénégalais doivent déchanter ! Le cri de la liberté continue donc à résonner pour proclamer que l’Afrique est toujours dans les douleurs de l’enfantement, pour donner naissance à un continent qui respecte la liberté des citoyens.

Maryse Quashie et Roger Ekoué Folikoué
[email protected]
Lomé, le 23 septembre 2022

Source : 27Avril.com