Chassées, bastonnées et blessées : Des victimes, toujours très affectées, racontent la sauvagerie militaire

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Chassées, bastonnées et blessées : Des victimes, toujours très affectées, racontent la sauvagerie militaire

Dans les maisons ou dans les centres de santé à Lomé comme dans les villes de l’intérieur, notamment Sokodé, Bafilo et Mango, gémissent encore des victimes de la répression sauvage et barbare de la soldatesque du régime Faure Gnassingbé, appuyée par les milices. Depuis le 19 août dernier, on dénombre environ 16 morts, plus de deux cent (200) blessés et un millier de personnes qui ont fui leurs maisons à cause des représailles qui continuent dans certaines localités. Parmi les victimes, il y en a qui continuent de se tourner et se retourner sur leur lit avec douleur. D’autres ont repris leurs activités quotidiennes, mais trainent les séquelles de cette « bêtise humaine ». Certains encore, traumatisés (parce qu’ils ont vu un frère ou un ami tomber sous les balles des militaires), réagissent négativement à la vue d’un homme en treillis. Et ce qui est surprenant dans tout cela, c’est la détermination affichée par ces hommes et femmes, malgré leur état fragile, à continuer la lutte pour la libération totale du Togo du joug de la dictature militaire des Gnassingbé. Des rencontres avec ces Togolais qui n’aspirent qu’à un mieux-être dans leur pays font découvrir à quel point il faut que ça change.

Poursuivis comme des « chiens »

Que ce soient les 7, 20 et 21 septembre, les 18, 19 et 20 octobre derniers, les victimes se remettent difficilement de leurs cauchemars. A Attiégou (derrière la foire Togo 2000) le 19 octobre, la scène paraît surréaliste, mais c’est pourtant une triste réalité que les habitants ont vécue. Selon les témoignages recueillis auprès de la population, un enfant qui s’amusait autour du véhicule de son père a fini par y mettre le feu. Les riverains apercevant ce qui se passait, ont accouru pour prêter main forte à cette famille. Il y a un attroupement autour de la maison, chacun s’affairait pour maîtriser le feu. Mais personne ne sait ce qui s’est passé quand un pick-up 4X4 de marque Toyota était arrivé. Les occupants du véhicule, cagoulés, ont commencé à bastonner tout le monde dans le quartier. « On était en train d’éteindre le feu quand ils sont arrivés. Ils n’ont même pas posé de question avant de taper sur tout le monde. Les gens s’en sont sortis avec des hématomes sur le corps. Un de mes voisins est actuellement à l’hôpital, il a une fracture au pied », a confié notre source qui ajoute : « C’est le maintien de l’ordre ? On n’est plus libre de se regrouper dans sa propre maison ou sa devanture ? D’ailleurs qui sont ces individus qui se cachent le visage et tuent les gens ? La voiture de notre voisin brûle et on voulait l’aider à éteindre le feu, eux ils sont venus comme des sauvages se jeter sur nous. Ce pays a sérieusement de problèmes ».

A Klouvi-Kondji, c’est un couple mal en point que nous avons découvert dans une cour commune de 5 pièces. L’homme marchait difficilement, tandis que la femme, pour bouger, est obligée de soutenir sa main gauche par la droite. En fait, elle ne peut pas la soulever à cause des coups de crosse de fusils qu’elle a reçus le 18 octobre dernier. « Nous étions tranquillement à la maison mercredi (Ndlr, le 18 octobre). Nous avons fermé le portail à cause des détonations de grenades lacrymogènes que nous entendions dans le quartier. Mon mari n’a pas aller au travail, parce qu’il ne se sentait pas bien. A un moment donné, on entendait des gens taper violemment le portail. Comme on ne fait rien de mal, mon mari est allé ouvrir pour voir. Dès qu’il a ouvert, ils se sont jetés sur lui. Ce sont des militaires qui avaient de gros bâtons qui bastonnaient mon mari. Quand je leur ai demandé ce qu’il a fait, ils se sont rués sur moi et m’ont frappé à plusieurs reprises avec la crosse de leurs armes. Avant de partir, ils nous ont dit qu’ils vont revenir. Mon mari ne pouvait plus marcher, ils lui ont cassé les pieds. Moi-même, je ne ressentais plus mon bras gauche », nous raconte la dame. Le couple a dû fuir la maison lorsque la situation s’est calmée un peu, puisque les militaires leur ont dit qu’ils vont revenir. Et, dans le même quartier, un jeune garçon qui a reçu une balle au niveau de l’aisselle gauche, raconte : « On était à la devanture de notre maison. On ne manifestait même pas. On a subitement vu la voiture des soldats qui rentrait dans notre von. C’est quand j’ai commencé par courir que j’ai ressenti une chaleur dans mon aisselle, le sang sortait. Je me suis rendu compte que j’ai reçu une balle et voilà, je suis venu ici à l’hôpital ».

« Je dormais dans ma chambre quand ils ont défoncé la porte et s’y sont introduits. Mon enfant était couché par terre, ils l’ont poussé avec le pied et ont commencé par me tabasser. Ils ont demandé où est mon mari, ils ont fouillé la chambre et emporté une somme d’argent qui était sur la table. Regardez vous-même l’état de la porte », nous montre une autre femme rencontrée à Gbényédzi-Kopé. Elle a des hématomes dans le dos. Ce qui a été marquant, c’est que dès que son enfant nous a vu, il a demandé à sa maman si nous étions des soldats. « Depuis ce jour, si quelqu’un tape à notre porte, il court pour se refugier dans la chambre à coucher. La scène à laquelle il a assisté l’a traumatisé. Vous voyez ce qu’on nous fait dans ce pays ? Vous pensez que nous allons nous taire et les laisser continuer comme ça ? », s’énerve la dame.

Pied droit complètement plâtré et se déplaçant à l’aide de béquilles, Koudjo qui habite Bè-Kpéhénou nous raconte sa mésaventure : « Je devrais être sur mon chantier à Agoè, mais comme les nouvelles qui viennent de là ne sont pas bonnes, j’ai décidé de rester à la maison pour éviter tout problème. Mais j’ai fini par comprendre que c’est le problème qui est venu me chercher chez moi. Ces gens ne sont pas des humains, vu ce qu’ils m’ont fait. Regardez ma porte, ça il faut que je dépense pour la réparer. Ils m’ont cassé les pieds dans ma propre chambre ». Il nous racontait cela avec amertume et maudissait ceux qui l’ont mis dans cet état. Un moment d’émotion donc.

Un peu plus loin de là, à Bè-KpotaAtsantimé, Merveille et Claude nous reçoivent dans leur salon. Le passage des barbares 72 heures plus tôt, se voit encore dans ces lieux. Télévision et ventilateur cassés, porte défoncée, c’est ce qui rappelle le chef-d’œuvre de ces militaires. « Heureusement qu’on n’était même pas à la maison le jour-là. Sinon, ils allaient peut-être nous tuer. Ce sont les voisins qui ont barré la porte à l’aide de ces vieux tôles », confie Claude. Et une voisine, maman d’un nouveau-né, de renchérir : « Quand je leur disais qu’ils ne sont pas là, ils n’ont pas voulu m’écouter. Pour eux, je mentais pour sauver leur peau. Ils avaient voulu me tabasser quand ils ont vu que j’ai un bébé aux bras. Mais ils ont demandé où se trouve mon mari ».

A Agoè, ce sont les miliciens qui opéraient dans les maisons, violant eux aussi ce principe d’inviolabilité de domicile contenu dans la loi fondamentale. « Ils ont escaladé le mur. Ils nous ont fait sortir de nos chambres et coucher à même le sol dehors. Ils nous ont tabassé comme des animaux. Ils nous ont laissés, certains avec des hématomes sur tout le corps, d’autres avec les pieds et bras cassés, d’autres encore la tête fracassée. Ils ont fait cela dans la maison voisine et dans tout le quartier », confie un habitant d’AgoèZongo. Dans ce quartier, c’est une faute grave de porter une chemise ou un T-shirt de couleur rouge. « C’est devant moi qu’ils ont battu un jeune et l’ont laissé pour mort. Il avait porté un T-shirt rouge, mais n’était pas parmi les manifestants. Il passait tranquillement son chemin », nous indique un autre riverain de troisième âge.

A côté de ces personnes qui trainent des séquelles de la répression et sont fortement traumatisées, se trouvent également des familles qui ont perdu leurs enfants ou parents. Difficile de pouvoir rencontrer ces personnes sans laisser des gouttes de larmes.

Des familles vivent dans la peur

« Quand ton enfant tombe gravement malade et décède, on peut comprendre et dire que c’est le destin. Mais lorsque c’est un soldat qui tire sur ton enfant et l’abat, ça aussi, c’est le destin ? », se demande l’oncle du petit Joseph, 11 ans en classe de 6e, abattu par les militaires à Bè-Kpota. Quant à la maman, elle est inconsolable. A peine des sons audibles sortaient de sa bouche. La seule chose qu’elle arrive à dire par moments, c’est « hummm, Jojo… », et puis elle se tait. Il était, à en croire son oncle, allé chercher de l’huile pour sa maman. « Il voulait manger du riz ce midi-là, et la maman lui a dit de payer de l’huile. Et puis Joseph ne reviendra plus jamais à la maison », explique l’oncle qui, lui aussi, n’a pu retenir ses larmes en racontant l’histoire. Nous avons dû écourter la rencontre à cause de cette atmosphère chargée d’émotion, avec les pleurs, les larmes entrecoupées de cris de lamentations parfois. Dans le quartier, on ne parle que de Jojo lâchement abattu par les militaires.

Dans plusieurs autres familles aujourd’hui, c’est le même sentiment qui est partagé. A Lomé (Agoè, Bè…), Sokodé, Bafilo, Mango et d’autres villes, les gens continuent de pleurer les victimes de la machine répressive de Faure Gnassingbé. Visiblement, son régime n’a pas fini d’endeuiller les Togolais. Il est prêt à faire revivre 2005 au peuple togolais, malgré le « plus jamais ça sur la Terre de nos Aïeux ».

Battus mais toujours déterminés…

Plus le régime Faure Gnassingbé réprime sauvagement le peuple, plus l’engagement de ce dernier à tourner la page de son pouvoir devient fort. Même sur leur lit d’hôpital ou dans leur maison, tous ces gens cherchent à savoir le programme des prochaines manifestations de l’opposition. « Nous n’allons pas nous arrêter comme ça en chemin. Ce pour quoi on nous bat, nous devons l’avoir avant d’avoir le repos. Sinon, nous aurions échoué lamentablement. J’irai à la marche, quand je sortirai de cet hôpital. C’est un engagement citoyen. Le Togo nous appelle tous », se réconforte Basile.

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