« Certains leaders de la C14 voulaient  être Premier ministre de transition »

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Dans une longue interview accordée au site d’information Afrikastrategies et publiée dimanche 30 décembre 2018, le ministre de la Fonction Publique et de la Réforme Administrative, Gilbert Bawara analyse les événements du 19 août 2017 jusqu’aux élections législatives du 20 décembre 2018. Il aborde dans cet entretien, l’après-élection, l’accompagnement de la CEDEAO, l’avenir de la Coalition des 14 partis de l’opposition et de ses leaders, les erreurs de l’opposition ayant conduit à l’échec de sa lutte et les leçons à tirer de cet échec.

Pour le ministre Gilbert Bawara, la coalition des 14 partis de l’opposition n’est qu’une « sorte de fiction et de supercherie, voire une imposture ». Puisque, explique-t-il, en dehors de trois partis politiques dont l’assise et l’ancrage sont connus, nul ne peut dire quelle est l’implantation et quelle est la représentativité de certains partis membres de cette coalition.

Les événements d’août 2017 auraient pu facilement conduire à la réalisation des réformes

Les événements d’août 2017 auraient pu constituer un moyen de pression et conduire à l’accélération et à l’intensification des réformes politiques, dit le ministre Gilbert Bawara dans cet entretien. Il lie le retard accusé dans la réalisation des réformes au « jusqu’au-boutisme » et à « l’intransigeance de la C14 » ce qui, a-t-il noté, témoigne de « l’incapacité de ses leaders à prendre le gouvernement et les autorités au sérieux et à se soustraire de la logique d’insurrection et de renversement des institutions ».

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Nombreux sont ceux d’entre eux qui se sont bousculés, qui pour être Premier ministre de transition, qui pour assurer l’intérim de la présidence de la République, qui pour devenir chef d’État à l’issue de la transition, a-t-il révélé à Afrikastratégies. « Une frange de l’opposition a systématiquement tendance à sous-estimer son adversaire et à faire la confusion entre les mobilisations de rues et le pays réel. Cette frange de l’opposition est animée par un sentiment de supériorité et de mépris vis-à-vis de la grande majorité des Togolais. Elle a toujours les mêmes réflexes, et elle reproduit les mêmes schémas de pensées et les mêmes méthodes d’action, qui ont déjà démontré leurs limites. Le Togo ne s’arrête pas à Lomé et à quelques villes et localités », souligne celui qui est présenté comme le confident le plus écouté par le Président de la République.

Les leçons du boycott des élections législatives par la Coalition des 14 partis de l’opposition

Le boycott des dernières élections législatives aura des conséquences indéniables pour les partis de l’opposition regroupés au sein de la C14, analyse le ministre. La décision de boycotter le recensement électoral puis le refus de rejoindre la commission électorale et de saisir l’opportunité de la prorogation de l’enrôlement des électeurs ont, sans doute, consacré un point de rupture de la confiance des Chefs d’État de la CEDEAO et les partenaires extérieurs en la C14, estime-t-il.

« La décision de boycott des élections législatives du 20 décembre 2018 de la part de la C14 demeure incompréhensible et déplorable. Elle est lourde de conséquences pour certains des partis et acteurs politiques concernés. La conséquence la plus immédiate, c’est leur absence de l’Assemblée nationale et de certaines institutions dérivées, y compris au niveau de certaines instances sous-régionales et internationales (comité interparlementaire de l’Uemoa, parlement de la Cedeao, Union interparlementaire des pays francophones, UIP, Assemblée paritaire ACP-UE, etc.), et donc un manque de visibilité et de tribunes pour défendre leurs idées. Cette décision est également de nature à affecter leur participation au débat institutionnel. Je n’ai pas la certitude que cette décision de boycott soit le fruit d’un réel consensus au sein de la C14. Certains leaders de ce regroupement ont fait preuve d’égoïsme et d’indifférence vis-à-vis des autres membres et militants de leurs partis, en donnant le sentiment de se préoccuper uniquement de leurs propres ambitions et intérêts », rapporte-t-il dénonçant au passage, « l’attitude d’exclusion et de suffisance que la C14 a affichée vis-à-vis des partis politiques non membres de leur regroupement ». Une attitude qui a constitué selon lui, un « handicap sérieux pour la réussite des pourparlers ».

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« La responsabilité en revient aux leaders de la C14 et à leurs velléités d’hégémonie. Ils ont donné le sentiment que le 19 août 2017 marquait un acte fondateur de la vie politique au Togo, comme si notre pays n’avait pas connu de faits marquants avant cette date. Cette manière d’écarter les autres sensibilités politiques a privé le dialogue politique d’une force modératrice capable de tempérer les ardeurs. Au final, tous ceux qui n’étaient pas favorables à la logique de la violence et de l’insurrection étaient vilipendés et considérés comme des traitres, des complices et affidés du régime ! La C14 a fait preuve d’autoritarisme en instaurant une sorte de dictature de la pensée unique caractérisée par un climat de terreur, d’intimidation et de lynchage contre tout contempteur et contradicteur », analyse le natif de Siou dans la préfecture de Doufelgou (450 km au nord de Lomé).

L’attitude de « suffisance » et de maîtrise de la situation par les leaders de la C14 et les difficultés qu’ils ont occasionnées à la facilitation ont aussi été déterminantes, avance-t-il. « Les deux facilitateurs et la plupart des autres chefs d’État de la CEDEAO ont déployé d’incommensurables efforts. Ils ont sacrifié de leur temps et fait entorse à leurs multiples charges en acceptant d’accompagner et d’appuyer notre pays dans la recherche de solutions. Quand vous faites fabriquer et porter des pancartes avec des messages hostiles et injurieux contre les instances de la CEDEAO, ce n’est pas la faute au gouvernement. Quand vous allez rencontrer les adversaires politiques des chefs d’État au motif que ces chefs d’État seraient favorables au régime togolais, ce n’est quand même pas la faute au gouvernement. Quand vous donnez le sentiment de ne pas avoir de vision et de ne pas poursuivre des objectifs démocratiques et réalistes, ce n’est pas la faute des autorités togolaises », souligne le ministre Gilbert Bawara pour démontrer les erreurs qui ont plombé les revendications de la C14.

Un échec du plan de déstabilisation du pays

Pour lui, les événements du 19 août 2017 étaient le fruit d’une tentative de coup de force savamment orchestrée. « Les instigateurs et les acteurs de ce coup n’ont jamais eu qu’un seul plan A, obtenir la chute du régime et s’emparer du pouvoir par la rue. Ils n’avaient pas de plan B », a-t-il mentionné mettant en exergue le discours du 6 septembre 2017 de Jean-Pierre Fabre qui selon lui, « montre à quel point ce dernier a été tétanisé et est demeuré par la suite obsédé par la perspective de se faire subtiliser sa place de leader de l’opposition par monsieur Tikpi Atchadam ».

« Ce discours irresponsable, son obsession et sa fixation sur l’échéance présidentielle de 2020 ont constitué sans nul doute l’erreur fatale, le vice originel et l’acte fondateur d’une stratégie hasardeuse dont ni l’Anc (Alliance nationale pour le changement, NDLR) ni la C14 ne pouvaient ensuite se relever. Au lendemain du 19 août, plusieurs leaders de la C14 ont affirmé, publiquement et en privé, que le régime était fini et n’avait plus d’avenir. Pour eux, il était même trop tard pour envisager des compromis, et parler encore de réformes. La seule issue pour le régime devait consister à négocier les conditions de sa reddition et de son départ. Cet état d’esprit insurrectionnel a marqué la C14 jusqu’à la décision de boycott des élections. Tout au long du dialogue politique, jusqu’au boycott des élections, la C14 ne s’est jamais inscrite dans une optique d’ouverture, de compromis et de réformes pour faire évoluer la démocratie et l’État de droit dans notre pays. Elle s’est plutôt enfermée dans une logique de révolution et d’insurrection.

Les revendications exigeant le retour à la constitution dite originelle de 1992 avec tous ses effets et implications, à savoir le départ immédiat du chef de l’État ou, à défaut, la mise en place d’un gouvernement de transition dirigé par la C14 assorti de l’impossibilité pour le chef de l’État de se porter candidat aux futures élections présidentielles constituait pour certains la trouvaille magique pour mobiliser et coaliser « le peuple » contre le régime. A lui tout seul, ce slogan traduisait l’esprit de surenchère », note-t-il.

L’opposition togolaise considérée comme la plus radicale de la sous-région

De nombreux dirigeants étrangers et analystes avisés considèrent l’opposition togolaise comme l’une des plus radicales de la sous-région, si ce n’est la plus radicale. Ces dirigeants et observateurs ont été témoins de l’esprit d’ouverture et de la volonté de compromis du président Faure. Ils savent les concessions qu’il a consenties pour épargner au pays les affres de la violence et des affrontements, soutient Gilbert Bawara.

Le président Faure, poursuit-il, est un « homme d’État posé et pondéré ». « Son autorité a prévalu pour éviter que d’autres Togolais qui se sont sentis visés et ciblés par les actes de violence et de haine de la part de la C14 ne soient tentés d’en découdre dans la rue. Le risque était réel et grand que le désordre et l’instabilité orchestrés par la C14 soient réglés différemment, avec brutalité. Mais la sagesse, le sang-froid et la retenue ont prévalu, et c’est plutôt mieux ainsi », a-t-il révélé.

Pour finir, le ministre analyse l’attitude de la CEDEAO et avance que l’organisation n’a jamais pris position en faveur du pouvoir de Lomé. Selon lui, les chefs d’État ont juste constaté que le « scrutin s’est déroulé conformément à la feuille de route, dans des conditions de paix et de sécurité et de manière transparente et crédible dans le respect des normes démocratiques ».

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« Les chefs d’État et de gouvernement qui ont fortement regretté la non-participation de l’opposition au processus électoral ont été eux-mêmes les artisans des initiatives et des efforts pour garantir les conditions d’élections exclusives et fiables. Si un groupe de partis et de leaders politiques considère que le gouvernement, les facilitateurs et tous les chefs d’État et de gouvernement de la CEDEAO se trompent et que c’est la C14 qui a raison toute seule contre tous, cela donne une indication du sérieux et de la crédibilité de ce regroupement. Même les partenaires extérieurs, notamment le Groupe des cinq ambassadeurs (États-Unis, France, Allemagne, Union européenne et Nations Unies) n’ont pas été épargnés par les récriminations et les attaques de la C14 », a-t-il fustigé.

Source : www.togoweb.net