Connue pour sa fièvre acheteuse, redoutée pour ses coups de colère… “Gucci Grace” manœuvrait en coulisses pour prendre la tête du pays.
Longtemps considérée comme une femme frivole intéressée par le seul luxe, la Première dame du Zimbabwe, Grace Mugabe, a révélé sur le tard un appétit insatiable pour le pouvoir qui fait vaciller son mari, le nonagénaire Robert Mugabe. Depuis des semaines, l’ex-secrétaire du chef de l’État devenue sa deuxième épouse, 52 ans, ne faisait plus mystère de son ambition de succéder à son mari, à la santé de plus en plus fragile.
La semaine dernière, elle a obtenu de son époux la tête du vice-président Emmerson Mnangagwa, 75 ans, jusque-là présenté comme son dauphin le plus probable. Déterminée à empêcher l’imprévisible Grace Mugabe de parvenir à ses fins, l’armée n’a pas hésité à intervenir.
“Grace est responsable de cette crise parce qu’elle voulait prendre le pouvoir et forcer Mugabe à écarter ceux qui étaient en travers de son chemin”, résume l’expert Shadrack Gutto, de l’université d’Afrique du Sud. “Mais son ambition l’a perdue”, ajoute-t-il, “elle n’a réussi qu’à accélérer la chute de son mari”.
“A 93 ans, Mugabe est presque sénile. Il dort beaucoup et ce qu’il dit n’est que ce que Grace lui souffle”, poursuit Gutto, “l’armée a alors décidé que c’en était trop”. Le coup de force des militaires n’a pas visé le chef de l’État mais, selon le mot de leur porte-parole, les “criminels” qui l’entourent. En clair les fidèles de la Première dame au sein du parti au pouvoir, la Zanu-PF, et du gouvernement, regroupés sous le nom de G40.
“Disgrace”
Ce groupe de quadras, d’où leur nom, a pris fait et cause pour Grace contre les caciques du parti et vétérans de la lutte pour l’indépendance, dont Mnangagwa est le pur produit. Les ambitions de celle qui est officiellement devenue Grace Mugabe en 1996 ne se sont révélées que récemment.
Longtemps, elle s’est contentée de jouer les Premières dames de luxe. Baptisée “Gucci Grace”, “la Première acheteuse” ou encore “Disgrace”, elle s’est attirée les critiques pour ses dépenses extravagantes et un goût pour les affaires financières. Grace Mugabe est entrée avec fracas sur la scène politique en 2014 en prenant la tête de la branche féminine de la Zanu-PF.
De sa position, elle a fait une tribune pour défendre publiquement son mari, prenant pour cible tous ceux qui ne se rangeaient pas derrière lui le petit doigt sur la couture du pantalon. Sa première victime fut Joice Mujuru, elle aussi une vice-présidente bien placée dans la course à la succession. Sans détour, la Première dame l’accuse de complot et de corruption et précipite la mise à l’écart de celle qui était pourtant l’une des héroïnes historiques de la guerre de libération. Forte de la protection de son mari, Grace Mugabe devient très redoutée au sein du régime.
“Erreur tactique”
Ses coups de colère sont célèbres. Comme en 2009, lorsqu’elle frappe un photographe britannique dans un hôtel de luxe à Hong Kong. Ou en août dernier, lorsqu’elle est accusée d’avoir agressé un mannequin à Johannesburg. L’affaire fait scandale et contraint l’Afrique du Sud a lui octroyer l’immunité.
Lors d’un entretien accordé à la télévision publique sud-africaine SABC, elle a assuré ne plus se préoccuper de ce que les autres pensent d’elle. “J’ai la peau dure, ça m’est égal”, dit-elle, “mon mari dit que l’ignorance est source de félicité”. La Première dame a fait des efforts pour tenter d’adoucir son image. Ses inconditionnels la surnomment “Dr Amai (Docteur Mère)”, “l’unificatrice” ou encore “la reine des reines“.
Mais son appétit de pouvoir reste intact et suscite de plus en plus d’opposition au sein-même du régime. “Elle s’est fait beaucoup d’ennemis (…) il suffit de regarder l’ampleur des purges au sein de la Zanu-PF”, déclarait récemment le commentateur politique Earnest Mudzengi. Sa décision de s’en prendre à Emmerson Mnangagwa a signé la fin de ses prétentions. Le “Crocodile”, ainsi qu’il est baptisé, dispose de nombreux soutiens dans les milieux sécuritaires. “C’est une erreur tactique dans la bataille pour le pouvoir”, juge Knox Chitiyo, du centre de réflexion Chatham House.
“A la veille du congrès (le mois prochain) de la Zanu-PF, elle a dû se sentir sous pression et se dire ‘c’est lui ou moi’”, poursuit-il, “elle a presque réussi, à quelques semaines. Il a fallu que l’armée intervienne pour l’en empêcher”. Grace Mugabe est retenue depuis mercredi 15 novembre avec son mari dans leur résidence de Harare. Leur sort n’est plus entre leurs mains.
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