Village de pécheurs, situé au bord de l’océan, à quelques encablures du Port de pêche de Lomé, Katanga est privé de quasiment tous les services sociaux de base. Dans cette favéla où misère et précarité se côtoient, les femmes se battent et impactent leur communauté.
Lire aussi:Togo: lassés d’attendre, des pêcheurs nettoient le Port rempli de plastiques
Un endroit typé qui souffre d’une flopée de problèmes sociaux.
Délinquance juvénile, insalubrité, épidémie, mal-logement,
analphabétisme… à katanga les habitants connaissent
toutes les souffrances liées aux milieux difficiles. Ici, les logements
précaires s’alignent sur la côte. A l’intérieur de ces abris de fortunes
dépourvus de sanitaires adéquats, règne un désordre sans nom. Dans les
ruelles, les déchets insalubres mélangés d’eaux usées demeurent. A la
plage et ses alentours, les populations défèquent à l’air libre, sans
assurément d’autres choix. Il n’y a que deux latrines publiques pour les
centaines d’âmes que regorge le village. Et il faut payer 50 F CFA pour
en avoir accès. Chose difficile dans ce bidonville où les habitants
sont démunis. Il n’y a pas non plus d’eau potable. Les gens s’abreuvent
de l’eau du puits impropre. Les points d’adduction d’eau potable
installés, ne sont plus opérationnels depuis belle lurette. Les ordures
ménagères, quant à elles, sont déversées dans un wagon usé plein à
craquer, rarement évacué, créant une atmosphère propice aux épidémies
qui d’ailleurs sont récurrentes.
A proximité du wagon poubelle casé au cœur du village, se trouve un
centre de santé à l’agonie. L’infrastructure sanitaire dépouillée
d’équipements nécessaires, jouxte un mini marché, qui s’anime au
quotidien. Nous y avons rencontré, « Apolline », 12 ans. Nous sommes en
Mai 2019. La fillette fluette au teint noire vend de poissons aussitôt
fumés. Nadège n’a jamais été ni à l’école, ni mise en apprentissage.
Depuis son bas âge, elle aide sa mère à fumer et vendre du poisson, à
l’instar de nombre de ses amies. Comme un rituel, presque toutes les
filles de Katanga sont initiées à manipuler du poisson très tôt. « Nos
grands-mères et nos mamans sont des transformatrices de poissons, nous
suivons leur pas. Même les quelques filles qui vont à l’école savent
toutes fumer du poisson », explique la demoiselle. Et à « Djodji », la
vielle dame dont l’étalage fait face à celui de l’adolescente de
renchérir : « aucune fille ne peut naître à Katanga, sans savoir fumer
du poisson. Ce n’est pas possible », précise-t-elle. En effet, à Katanga
les hommes exercent la pêche alors que le traitement et la
commercialisation des captures incombent aux femmes. Elles sont venues
de divers horizons. Parmi elles, il l’y a des ghanéennes, togolaises,
béninoises… Spécialisées dans le salage, séchage et fumage de poissons,
ces braves femmes qui alimentent le Togo de poissons transformés,
habitent ce capharnaüm où l’espace de travail et de vie se trouvent
confondus. Courageuses, dynamiques et vaillantes, elles s’activent nuit
et jour avec détermination pour la cause du bien-être familial et de la
communauté, faisant fi des difficultés.
Lire aussi:Togo : ce nouveau port de Lomé dont les pêcheurs ne veulent pas
Un travail pénible et risqué qui vaut son pesant d’or
L’importance des produits de pêche dans l’alimentation des
populations n’est plus à démontrer. Principales pourvoyeurs de
protéines, les ressources halieutiques mises à la disposition des
consommateurs togolais sont surtout fumées. Ce qui s’explique par deux
raisons notamment l’insuffisance des structures de conservation dans les
zones de débarquement et le goût prononcé des togolais pour le poisson
traité par fumage. Cependant l’activité de transformation des produits
halieutiques, tenue généralement par la gente féminine se déroule dans
des conditions difficiles. Loin d’être des plus modernes, les méthodes
et outils utilisés par les femmes pour la transformation des poissons
sont archaïques. Ce qui rend le travail rude, pénible et risqué.
L’activité se fait de façon artisanale, dans des conditions qui ne
respectent aucune sécurité au niveau du travail et posant d’énormes
problèmes environnementaux et de santé tant pour les femmes
transformatrices que pour les consommateurs. A titre d’exemple, pour le
fumage, les poissons sont en effet essentiellement traités, à l’aide de
fours réalisés en matériaux disponibles sur place ou de récupération, et
utilisant comme combustibles, le bois et la peau de noix de coco. Aussi
les fours sont-ils installés sous des hangars généralement mal aérés,
exposant les femmes aux effets combinés de la chaleur et du soleil,
aggravés par le contact et l’inhalation de la fumée qui ne semblent
nullement les contrarier.
« Ce n’est pas facile d’être tous les jours confinées dans la chaleur
mais nous sommes habituées. Il nous arrive même parfois d’avoir des
difficultés respiratoires. Pour traiter une quantité importante de
poissons avec nos fours traditionnels, c’est la croix et la bannière.
Notre travail est ardu. C’est un métier qui nécessite beaucoup d’énergie
et de courage », affirme « Mama », fumeuse de poissons, depuis 30 ans. A
60 ans, la vielle femme est toujours hyper active. Assistée par sa
fille aînée et ses deux employés, elle fume diverses sortes de poissons
anchois, thons, maquereaux… Elle décrit son activité en trois étapes : «
il faut d’abord se lever très tôt le matin, se rendre au Port de Pêche
pour s’approvisionner des poissons frais, revenir à Katanga les
transformer et ensuite aller aux marchés les revendre. Même si certains
clients viennent s’approvisionnent sur place, les produits finis sont
essentiellement acheminés vers les marchés de Lomé et environs,
principalement le marché de Kodomé où la règle est
particulièrement la vente en gros », détaille la sexagénaire, rencontrée
devant son vieux four noirci, recouvert de cendres.
De spirales de fumée, chargées d’odeur âcre de poisson grillé,
s’élevant dans le ciel permettent une localisation précise d’un autre
fumoir. La cheffe d’orchestre, c’est « Kafui ». Jeune et très assidue, «
Kafui » range délicatement les poissons déjà prêts dans un panier.
Tellement occupée, elle nous parle de façon discontinue. « Notre
activité est noble mais ce n’est pas du tout tâche aisée »,
reconnaît-t-elle, dans un premier temps. Elle rebondit quelques minutes
plus tard en parlant exactement du processus de fumage de poissons : «
Après avoir acheté les poissons, nous les trions et les lavons. Les
poissons sont ensuite étalés sur des grillages, laissés au soleil
quelque temps. L’étape suivante, les grillages sont superposés sur le
four au feu, puis on fait tourner fréquemment, jusqu’à ce que les
poissons ne soient totalement fumer ».
Cette dernière a aussi évoqué les difficultés rencontrées au
quotidien entre autre, le transport des matières premières du lieu de
débarquement (Port de pêche) vers le lieu de travail. « Aidés par nos
filles ou parentes, nous faisons des allers et retours et plusieurs
voyages avant l’épuisement des poissons frais achetés. C’est éprouvant
physiquement », regrette-t-elle. Avant de poursuivre que « parfois les
convoyeurs attitrés ou les taxis motos sont payés pour le transport des
produits mais la moto n’étant pas adaptée pour ce type de transport, il y
a parfois des accidents, et par conséquent des dégâts ».
D’une femme à l’autre, les obstacles sont les mêmes. Toutefois,
l’activité en vaut la peine. La survie de nombreuses familles à Katanga
repose sur le travail de ces femmes qui emploient habituellement des
manœuvres, payés à la tâche, pour les opérations telles que le transport
du bois vers le lieu de fumage, le nettoyage du poisson, la disposition
du poisson sur le four, le rangement du poisson, le transport vers le
lieu de ramassage pour la vente … Dans les foyers, la contribution des
femmes transformatrice de poissons est aussi énorme. Elles assurent
considérablement les dépenses familiales. « C’est grâce à mon travail
que je nourris ma famille. J’ai perdu mon mari, il y a 10 ans », relate
toute attendrie, « Kokoé » une veuve. Pour sa part, sa voisine «
Tchotcho » confie : « C’est depuis 1988, que je suis transformatrice de
poissons, et je gagne ma vie. Avec mes revenus, j’aide mon mari à
s’occuper des enfants. Dans mon foyer, je me charge de tout ce qui
concerne les vivres. Notre activité est rentable ».
Ces femmes qui pour la plupart ne se sont pas prononcées sur leurs
gains réels, assurent qu’elles participent aussi pleinement au frais de
santé et scolaires de leurs enfants. Certaines d’entre elles ont même pu
envoyer leurs enfants étudiés à l’étranger, comme « Akofa ». « Mon fils
ainé vit actuellement en Europe. J’ai tout fait pour qu’il ne devienne
pas délinquant comme beaucoup de jeunes ici. Par mes propres moyens,
j’ai assuré son éducation et aujourd’hui il est parti continuer ses
études en France », assure-t-elle, joyeuse.
Au-delà du cercle familial, elles impactent leur communauté
Parallèlement à leur laborieux rôle de mère et d’épouse, ces femmes
qui entreprennent dans la transformation des produits halieutiques ne
sont pas indifférentes aux maux qui minent leur communauté. Comment
vivre dignement dans un milieu oublié et délaissé? Tel est l’une des
principales d’une association créée par les femmes transformatrices de
poissons de Katanga. Jeanne Amematsro fait partie de celles qui sont
au-devant de l’initiative. Nous l’avons rencontrée. « Depuis qu’on s’est
installé à Katanga dans les années 80, nous sommes préoccupées par nos
conditions de vie et de travail. Nous avons alors décidé de mettre en
place une association. Nos aspirations sont simples : réorganiser notre
secteur d’activité, défendre nos droits et intérêts, promouvoir le
leadership féminin dans le secteur de la pêche et préoccupations
participer au développement de notre communauté », explique Jeanne
Amematsro. Selon cette dernière, l’association dénommée Femmes
Transformatrices de Poisson (FETRACO) regroupait à l’époque environ 500
femmes. Dans un souci d’efficacité organisationnelle, elle s’est scindée
plus tard en 16 groupements qui sont devenus actuellement deux unions
(Union Coopérative Dynamiques des Femmes Transformatrice de Poissons et
Union Coopérative des Femmes Transformatrice de Poissons).
Réunies autour des objectifs communs, ces femmes impactent
véritablement leur communauté. Elles ont entre autres, contribué à la
création d’une école primaire à Katanga et du centre de santé. « Etant
en majorité des analphabètes, nous ne voulons pas que nos enfants
subissent le même sort. A l’aide des matériaux de fortune, nous avons
mis sur pied une école et la formation est assurée par les rares
personnes d’entre nous qui ont eu la chance de faire les cours
primaires. Au début, on avait construit trois classes (CPI, CP2 et CE1).
On apprenait à nos enfants l’alphabet, des récitations, chants et
autres connaissances de base. Mais quand les enfants arrivaient au CE1,
il devenait alors difficile de les enseigner par nous-même. C’est ainsi
que nous avons recruté quelques deux enseignants pour nous appuyer. Dans
la foulée, l’initiative a séduit une organisation non gouvernementale
qui nous a aidées à reconstruire l’école, qui est maintenant prise en
charge par l’Etat togolais », a raconté Amematsro jeanne.
La mise en place du centre de santé dans le milieu a subi le même
processus. Comme l’école, les claies ont servi dans un premier temps à
sa construction. Une organisation chrétienne viendra à la rescousse pour
affiner l’œuvre. L’ONG en question a non seulement reconstruit le
centre de santé mais aussi l’a doté de quelques matériels sanitaires et
formé des enfants du milieu pour l’administration des premiers soins aux
patients. Aujourd’hui, d’autres associations et des bonnes volontés
viennent de temps à autres faire des dons de médicaments ou organiser
des campagnes de dépistage du VIH SIDA dans la localité.
« Par ailleurs, notre association était soutenue par une organisation
qui entre temps, a aidé certaines jeunes filles de Katanga à apprendre
des métiers, octroyé des enveloppes financières à d’autres pour exercer
une activité génératrice de revenu afin de sortir de la pauvreté. Voilà
tout ce que nous avons obtenu quand nous avons décidé de se mettre
ensemble », se réjouit Amematsro jeanne.
Sur un autre plan, le regroupement des femmes, a contribué à
l’amélioration de leurs conditions de travail. Très organisées, elles
initient souvent des activités pour faire parler d’elles. Résultat ? De
plus en plus d’acteurs notamment l’Etat et les partenaires en
développement s’intéressent à elles et appuient un tant soit peu ces
femmes, même si beaucoup reste à faire. Il s’agit généralement des
appuis en formations portant sur le respect des exigences en matière de
sécurité alimentaire et sur les bonnes pratiques pour une activité
rentable et pérenne. Quelques rares fois, elles bénéficient des dons de
matériels de travail. La construction d’un four amélioré de charbon de
bois à katanga, en est une preuve. Fort malheureusement, ce four n’est
pas prisé par les femmes, compte tenu du coût de production qui « leur
revient cher ».
Aussi est-il important de souligner que l’Organisation Internationale
de la Francophonie (OIF) a, il y a quelques années, soutenu ces femmes
dans leurs activités avec un don de 27 millions de FCFA. Une somme
qu’elles ont su intelligemment déposé dans une institution de micro
finance de la place, en guise de caution, ce qui leur permet de faire
régulièrement des prêts, auprès de l’institution.
Lire aussi:COP 24: au Togo, plages et villages emportés par les vagues
Pour le reste, les femmes transformatrices de poissons de Katanga
sont aujourd’hui impliquées dans un vaste projet de production de
poissons en gestation. Ledit projet piloté par l’Etat togolais vise à
faire face à la pénurie de poissons, un problème majeur de l’heure.
Les défis restent à relever en dépits de ces résultats palpables
Au nombre des défis, la construction des infrastructures sociales de
base à Katanga (latrines, eaux potables, centre de loisirs…), la
rénovation et le renforcement du centre de santé, la protection de la
côte contre l’érosion côtière et surtout l’urgence de mettre en place un
collège dans la localité. En effet, faute de collège à Katanga, les
enfants sont obligés de traverser tous les jours, la route nationale
Numéro2 pour aller étudier à l’autre côté, et chaque année, deux à trois
enfants meurent par accident. Pour les femmes transformatrices de
poissons, il est plus que pressent d’éviter ces drames de morts
prématurées. Ainsi, ces femmes disent-elles attendre des autorités
locales, pouvoirs publics, partenaires en développement et la société
civile des soutiens qui leur permettraient d’une part de concrétiser ces
projets. Et d’autres part, des soutiens qui contribueraient à améliorer
leur travail et disposer de matériaux de qualités (Fours à gaz,
grillages modernes, des moyens de transport notamment des tricycles et
véhicules…).
L’accès au crédit faisant parties des difficultés majeures
rencontrées par ces femmes, elles saisissent l’occasion pour lancer un
appel aux banques pour plus de souplesse dans les documents et garanties
exigées pour des prêts. Car ces exigences les exclus d’emblée du
processus d’octroi de crédit.
Le moins qu’on puisse dire est que ces femmes transformatrices de
poissons méritent valablement d’être soutenues. Elles participent aux
revenus des ménages, impactent leur communauté, luttent contre le
chômage, contribuent à l’économie du pays, fournissent de façon
significative du poisson consommé localement et concourent à assurer la
sécurité alimentaire nationale. Bref, elles luttent contre la pauvreté
et pour le développement durable. Vivement que leurs conditions de vie
et de travail soient améliorées !
Hélène Doubidji
Source : TogoTopNews
Source : Togoweb.net