Après l’élection du 31 octobre, la Côte d’Ivoire se retrouve dans la pire configuration qui soit car aucune partie n’a réussi à gagner de manière décisive. Le pays entre donc de plain-pied dans une crise postélectorale qui pourrait s’avérer longue. Analyse pour Sputnik de Leslie Varenne, directrice de l’Iveris*.
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Jamais, depuis son indépendance en 1960, la Côte d’Ivoire n’a connu une élection présidentielle calme et juste. Lors du scrutin de 2010, chacun des deux candidats présents au deuxième tour –Laurent Gbagbo et Alassane Ouattara– s’était déclaré vainqueur. Le premier reconnu par le Conseil constitutionnel siégeait dans son palais et gardait tous les pouvoirs régaliens, le second, adoubé par la «communauté internationale», était retranché avec ses équipes dans un hôtel de luxe.
Le bras de fer avait duré quatre mois avant que les Nations Unies, les États-Unis et la France ne se lancent dans une guerre pour installer « leur » Président dans le fauteuil présidentiel.
Ying/Yang
Lors du premier tour l’élection du 31 octobre 2020, le Président sortant Alassane Ouattara a affronté un seul challenger, Kouadio Konan Bertin, dit KKB. Les deux autres candidats non retoqués par le Conseil constitutionnel, Pascal Affi N’Guessan, porte-parole de l’opposition unie, allié à l’ancien Président Henri Konan Bédié, ont décidé de ne pas y participer. Ils considéraient qu’aucune condition n’était remplie et que le troisième mandat de l’actuel chef de l’État n’était pas constitutionnel. Ils appelaient donc leurs partisans à la désobéissance civile, à ne pas participer au scrutin et à empêcher sa tenue par tous les moyens.
En septembre, dans un grand hôtel de luxe depuis son exil parisien, l’ancien allié de Alassane Ouattara, Guillaume Soro, devenu opposant, avait clamé très haut, très fort et avec une étonnante assurance que l’élection présidentielle n’aurait pas lieu. Quelques jours avant le scrutin, l’opposant Pascal Affi N’Guessan tenait, sur France 24, les mêmes propos et affichait la même confiance. Personne ne savait ce qu’ils allaient sortir de leur chapeau pour bloquer 22 000 bureaux de vote sur tout le territoire, d’autant que le pouvoir avait déployé 35 000 agents des forces de l’ordre, mais ils semblaient si sûrs d’eux…
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Au final, il y a eu un ersatz d’élection, chaque camp peut donc voir le verre à moitié vide ou à moitié plein, c’est selon. Dans de nombreuses villes du Sud, une partie du Centre et dans certaines communes d’Abidjan, la population a monté des barrages pour empêcher l’arrivée du matériel électoral et bloqué des bureaux de vote, parfois au prix de sa vie. Plus de trente morts sont à déplorer en moins de 24 heures, selon l’opposition. Cependant, dans le Nord et dans certains quartiers de la capitale économique, les citoyens ont tout de même pu voter même si la participation a été extrêmement basse –moins de 10% selon l’opposition et 53,9% selon la Commission électorale indépendante (CENI).
Course contre la montre
Dès le dimanche, l’opposition a dénoncé le « simulacre d’élection dans un climat d’insécurité généralisé » et les « nombreuses irrégularités » ayant entaché le scrutin. Elle a aussi déclaré que le mandat de Alassane Ouattara a pris fin le 31 octobre 2020, par conséquent, elle a appelé à l’ouverture d’une transition civile. Dès le lendemain, elle mettait sur pied un Conseil national de transition (CNT) dirigé par Henri Konan Bédié.De son côté, le gouvernement, toujours bien en place, ne restait pas inactif. Peu après cette annonce, les domiciles des opposants, membres du nouveau CNT, faisaient l’objet d’intimidations musclées, tirs, gaz lacrymogènes, encerclement par des véhicules des forces de l’ordre. Puis, alors que d’ordinaire les résultats tardent à être connus, la CENI les a publiés dans la nuit de lundi à mardi.
Alassane Ouattara a été proclamé vainqueur avec un score qui laisse rêveur de 94,27 %. Son principal challenger, qui lui faisait figure de caution démocratique lors d’une élection qui ne l’était guère, n’a récolté que 1,99%. Kouadio Konan Bertin aura ainsi donc bu le calice jusqu’à la lie…
Les impasses
Chaque camp a tenté de faire preuve de vélocité pour tenter de jouer la légalité. Sauf que le CNT n’est pas plus légal que le Président Alassane Ouattara réélu au terme d’une élection jugée anticonstitutionnelle et antidémocratique. Désormais, les deux parties doivent se déplacer sur le terrain de la légitimité. Or celle-ci n’est acquise que par le soutien du peuple, d’où l’empressement de l’opposition comme du pouvoir de faire descendre leurs partisans dans la rue, au risque de fracturer un peu plus le pays et de déplorer encore des victimes et des destructions.
En Côte d’Ivoire se rejoue donc le remake de 2010, avec un Président en place qui détient les pouvoirs régaliens et un CNT reclus, encerclé par les forces de l’ordre, sans autre capacité d’agir que la rue et la médiatisation. Ce cul-de-sac était prévisible dès lors que les institutions supranationales –Cedeao et Union Africaine– ont renoncé à faire appliquer leurs textes. Elles ont laissé jouer un match perdu d’avance et permis à la Côte d’Ivoire, locomotive économique de toute une sous-région déjà engluée dans de multiples problèmes –sécuritaires, politiques, économiques– d’entrer dans un tunnel dont personne ne peut voir la lumière.
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En 2010, c’était la France, les États-Unis et les Nations Unies qui avaient sifflé la fin du match de la pire des manières qui soit. Aujourd’hui, les États-Unis et le reste du monde occidental ne sont concentrés que sur l’élection américaine, la crise sanitaire et le terrorisme takfiriste. Que les Ivoiriens se battent entre eux et soient condamnés à porter leur rocher au sommet de la montagne pour qu’il retombe toujours au même endroit, qui s’en soucie ?
* Institut de veille et d’étude des relations internationales et stratégiques.
Source : Togoweb.net