Une victime des violences à Atakpamé se confie : « ils sont venus nous prendre, ils ont violé ma femme devant moi »

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Il était l’invité du journal chez nos confrères de la radio Kanal FM mercredi. Lui, c’est une victime des atrocités subies par la population d’Atakpamé lors de l’élection présidentielle de 2003 au Togo. Il a fait sa déposition à la CVJR et observe le processus enclenché par le HCRRUN pour la réparation des victimes des violences à caractère politique de 1958 à 2005. Pendant que le HCRRUN lance la phase de réparation, il a voulu, dans l’anonymat, se confier et montrer ce qu’il a vécu avec sa famille dans les mains d’une milice dans la ville d’Atakpamé à cette époque. Lisez plutôt !

Kanal FM : Vous êtes victime des violences que le Togo a connues depuis la nuit des temps. Votre période précisément, c’est en 2003 lors des élections. Qu’est-ce que précisément vous avez vécu ?

Victime : J’ai vécu des tortures, des arrestations arbitraires, parce qu’on m’a demandé des services que j’ai refusé. Je leur ai dit que je suis venu là (Ndlr, parlant de son emploi) par mérite et non par nomination. Alors je ne dois pas faire de courbette. Le monsieur m’a dit que je servirai de cobaye si je n’accepte pas ses offres. Parce que je savais comment les gens disparaissaient à Atakpamé, je savais comment les gens sortaient et ne revenaient plus, et je ne veux pas avoir mes mains entachées de ce sang.

Quand vous dites on vous a demandé des services, de quel genre de service vous a-t-on demandé ?

On me demande de collaborer pour qu’on puisse enlever des enseignants, des professeurs qui s’opposent à leurs proviseurs, à leurs censeurs.

Vous-même, vous travailliez en tant que quoi ?

Je suis chef staticien à l’inspection régionale du troisième degré à Atakpamé. Je servais aussi d’intérim là.

Oui, mais comment cela s’est passé que vous en êtes venu à être victime et quel genre de victime ?

Je savais que si le nom de quelqu’un sort sur une liste appelée « liste rouge » dans les mains de ce monsieur (Ndlr, il n’a pas voulu nommé la personne), la personne n’a la chance que d’une semaine de vie, ce qui veut dire que la personne doit disparaître. Je savais comment les personnes disparaissent. Voilà pourquoi j’ai refusé l’offre. Ayant pris peur que je vais les saboter, ils s’en sont pris à ma personne, avec des arrestations arbitraires, des tortures et toutes les autres menaces. On m’a même mis dans un tonneau et roulé dans les montagnes de Badou. On m’a amené au camp Otadi, on m’a mis dans les roues d’un caterpillar. J’ai subi beaucoup de choses, mais je suis encore en vie. Si je suis vivant aujourd’hui, c’est une grâce divine.

Vous avez aussi parlé de votre famille. Est-ce que c’est en ces moments aussi que la personne dont vous parlez s’en est prise à votre famille ou c’est à l’occasion des élections ?

La scène se passait à l’occasion des élections. En ce moment, il utilisait ce temps pour régler ses comptes et comme je m’opposais toujours à ses offres, il m’a ciblé. La nuit-là, c’était un jeudi, ils sont venus nous prendre, ils ont violé ma femme devant moi. Mes deux enfants voulaient réagir, ils les ont assommés. J’ai voulu réagir, mais ce n’était pas possible. Ils m’ont sauvagement molesté. J’ai perdu connaissance, je me retrouvais le troisième jour dans une fosse commune qui se trouve derrière le grand marché d’Atakpamé, là où j’ai retrouvé aussi les corps de mes enfants et de ma femme inanimés. Là, j’ai compris qu’ils ne sont plus vivants. J’ai dû faire trois jours avant de pouvoir sortir de cette fosse.

Comment vous êtes sorti ? La fosse n’était pas profonde ?

Elle est profonde. Je dis bien que c’est une grâce divine.

Aujourd’hui, il vous est demandé de pardonner tout simplement. La phase des réparations commence, c’est vrai qu’elle commence avec ceux qui sont des victimes de 2005. Comment vous vous sentez en ce moment ?

Pardonner, c’est bon. J’accepte pardonner, mais c’est difficile d’oublier. Vous voyez, si on vous arrache votre progéniture, c’est difficile de l’oublier, puisque ce n’est pas une maladie, ce n’est pas un accident, mais que cela est dû à quelqu’un qui l’a organisé, c’est difficile.

Ce quelqu’un vous le connaissez ?

Si, je le connais bien.

Aujourd’hui, vous le croisez. Quels sont vos sentiments ?

Depuis 2007, je ne l’ai plus croisé. Mais je le connais bien.

Ça veut dire que vous avez communiqué son nom à la CVJR et au HCRRUN ?

Tout. J’ai communiqué son nom et tout à la CVJR, au HCRRUN et au CACIT.

Aujourd’hui, quel genre de réparation demandez-vous ou souhaiteriez-vous avoir ?

Moi je ne sais pas ce qu’ils veulent réparer. Je me suis plaint depuis 2003 de reprendre mon boulot. C’est mon gagne-pain. Je vis aux dépends de cela, mais jusqu’alors, ce n’est pas fait. C’est ça la réparation ? Qu’est-ce qu’ils vont nous donner pour compenser tout ceci ? Combien ?

Il est bien dit que c’est une réparation symbolique, mais vous vous demandez en plus votre boulot

Oui, je dois demander mon boulot, parce qu’aujourd’hui je suis comme quémandeur. De temps en temps, on me renvoie d’où je vis, parce que je n’arrive pas à payer le loyer, vous voyez un peu ? Même ce que je vous raconte là, si ceux avec qui je travaillent apprennent cette histoire-là, on me met à la porte.

Ça veut dire que vous n’êtes toujours pas en sécurité ?

Je ne suis toujours pas en sécurité.

Ceci dit, aujourd’hui vous êtes dans l’attente d’une réparation quelconque, qu’est-ce que vous demandez au HCRRUN pour sauver votre vie ?

D’abord un boulot. Et puis quelque chose qui peut me réconforter pour pouvoir bien m’établir ou m’asseoir, pour que je sois équilibré et pouvoir vaquer à mes occupations.

Vous êtes sûr que vous n’êtes pas animé d’un esprit de vengeance quand vous reverrez cet homme ou les membres de sa famille, ses frères ou sœurs que vous chercherai à lui retourner la balle ?

Jamais, jamais. Cela ne m’est jamais venu à l’idée. Sinon je vais à Atakpamé, je croise des membres de ces miliciens, mais je passe seulement mon chemin.

Est-ce que vous avez peur qu’à Atakpamé les mêmes choses se répètent ? Est-ce que vous avez vécu autres choses après 2003 ?

Après 2003, je n’ai rien vécu, mais ce scénario continu toujours à Atakpamé par ce même monsieur.

Vous dites que vous ne le voyez plus, mais comment il le fait ?

Nous avons des oreilles, nous recevons des infos venant de ce monsieur. Tout dernièrement en allant vers Nangbeto, il est allé molester et renvoyer des gens de leur propre village, cela ne fait pas encore deux ans. Est-ce que cela ne continue pas ?

Propos transcris par I.K

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