Un costume sur mesure

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Un costume sur mesure

Quand il est entré à l’Assemblée nationale le 26 avril 2019, tout le monde pensait que Faure Gnassingbé, Président de la République togolaise, y est allé pour délivrer un discours sur l’état de la nation. Seul le public qui l’y accueillait, des députés tous colorés en bleu, savait que son maître venait lui dicter les lois de la nouvelle constitution qu’il devait rédiger dans les tout prochains jours.

A peine subliminale, le vrai discours disait ceci : « Mes députés à moi, rappelez-vous. La Conférence nationale souveraine a voulu exclure mon père de la présidence en limitant les mandats présidentiels à deux. Sachant qu’une loi ne s’applique qu’à ce advient après son adoption et non à ce qui est advenu avant ou à ce qui est en cours, elle a mis un verrou contre mon père par une loi qui veut qu’« en aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats ». Cet « en aucun cas » prend en compte ce qui est advenu avant l’adoption de la loi et ce qui est en cours. Vous comprenez qu’en 2002 lorsque nous avons repris le contrôle de l’Assemblée, la Commission des lois que je présidais a supprimé les deux verrous : plus de limitation de mandats et plus d’en aucun cas.

« Aujourd’hui, poursuit le Président, nous allons faire une fausse concession en acceptant la limitation à deux mandats présidentiels. Pour le verrou « en aucun cas », vous savez ce qu’il faut en faire. N’oubliez pas que le petit Satchivi est en prison pour nous avoir nargués en prenant « en aucun cas » comme nom de son association. En sautant ce verrou vous me laissez souffler jusqu’en 2030. Ça, c’est le plan A.

« Le plan B, c’est quoi faire après 2030. Vous savez que je suis jeune et sportif et qu’en 2030 je serai encore suffisamment frais pour continuer notre œuvre commune. Mais on ne sait jamais les types d’Atchadam qu’on aura à cette époque. Donc prévoyez un Sénat qui servirait de refuge à nous tous. Et, pour qu’il soit pour moi un refuge sûr, adoptez une disposition dans les termes qui suivent : « Les anciens Présidents de la République sont, de plein droit, membres à vie du Sénat. Ils ne peuvent être ni poursuivis, ni arrêtés, ni détenus, ni jugés pour des actes posés pendant leurs mandats présidentiels ».

Comme on le voit, Faure est entré dans la salle de l’Assemblée nationale togolaise le 26 avril comme un client dans un atelier de couture pour y déposer les mesures pour un nouveau costume. Et aux députés-tailleurs de s’exécuter. Ils ont adopté la limitation des mandats et ont rédigé une disposition anti-« en aucun cas » : « Les mandats déjà réalisés et ceux qui sont en cours à la date d’entrée en vigueur de la présente loi constitutionnelle ne sont pas pris en compte dans le décompte du nombre de mandat pour l’application des dispositions des articles 52 et 59 relatives à la limitation du nombre des mandats ».

Cousu et prêt le 8 mai 2019, le costume de Faure a été livré. Bon travail messieurs les Nommés. Mais dans ce monde de gloutons où on n’est mieux récompensé que par soi-même les intéressés n’ont pas attendu mon appréciation : ils se sont offert trois mandats et ont rallongé chaque mandat de député de 5 à 6 ans. Être député pendant 18 ans, n’est-ce pas plus que s’offrir trois mandats présidentiels de 5 ans chacun ?

Voilà la dictature dans toute sa laideur. Des ogres, plus voraces les uns que les autres. La dictature est l’opposé de la démocratie. Pourtant il y a certains « démocrates » qui la regardent avec les yeux de Chimène. Leurs arguments ? Ils sont divers. On entend ici que la dictature est trop féroce pour la brusquer ; là que le monde est dirigé par des voyous, que partout les peuples font avec, que donc les Togolais devraient s’accommoder des leurs ; ailleurs la théorie de l’entrisme bat son plein : telle cette mouche qui pond dans le ventre d’un insecte sa larve qui s’en nourrit jusqu’à sa maturité et à son éclosion entraînant la mort de l’insecte nourricier, il faut intégrer le RPT-UNIR pour en dévorer l’intérieur. On entend bien d’autres arguments encore telle que la démocratie à la base. Mais nos « démocrates » savent au fond d’eux-mêmes que c’est le désespoir et la faim qui les poussent à s’abaisser pour ramasser les miettes du festin sanglant de nos tyrans.

Zakari Tchagbalé

27Avril.com