Le chercheur chinois He Jiankui assure avoir mené une expérience ayant abouti aux premières naissances d’enfants génétiquement modifiés. L’affirmation, non étayée par des preuves, pose de graves questions éthiques.
Être ou ne pas être génétiquement « édité » à la naissance ? Telle est la question que posent les travaux du chinois He Jiankui. Le chercheur a affirmé, dimanche 25 novembre, avoir mené une expérience ayant abouti à la naissance des premières jumelles génétiquement modifiées. Elles seraient immunisées contre le virus HIV, à l’origine du sida.
He Jiankui a expliqué à l’agence Associated Press avoir utilisé la technique d’édition génétique Crispr pour « enlever aux embryons le gène responsable de la susceptibilité au HIV », précise à France 24 Christophe Galichet, chercheur au Francis Crick Institute, un centre de recherche qui travaille sur l’édition génétique. Crispr est une technologie de découpage génétique qui permet d’altérer un gène en ajoutant ou en enlevant des informations.
Aucune preuve ni article scientifique
L’annonce chinoise, qui est intervenue deux jours avant l’ouverture mardi à Hong Kong de la deuxième conférence internationale sur l’édition génétique, a suscité des réactions très vives au sein de la communauté scientifique. « L’affirmation ne repose sur aucune preuve scientifique et le chercheur n’a produit aucun article permettant de vérifier ce qu’il a fait », souligne Christophe Galichet. Pour Pete Mills, directeur adjoint du Nuffield Council (un organisme britannique indépendant de bioéthique), « cela ressemble surtout à une tentative cynique de faire la une des médias avant une conférence majeure sur la question ».
La prouesse scientifique, si elle est corroborée, n’impressionne pas non plus beaucoup Christophe Galichet. Son centre de recherche, le Francis Crick Institute, a déjà pratiqué de l’édition génétique sur des cultures d’embryons humains… mais « uniquement à des fins de recherche ». La seule différence serait que l’expérience du chercheur chinois a abouti à des naissances.
Une nuance de taille car elle est au cœur du débat éthique qui agite la communauté scientifique depuis des années au sujet de la manipulation des gènes humains grâce à des outils comme Crispr. Dans la plupart des pays – y compris la France –, ce type de recherches est interdit. Au Royaume-Uni, le Francis Crick Institute a été le premier laboratoire à obtenir, en 2016, une licence pour conduire des expériences sur des embryons humains. « Mais il nous est interdit de les cultiver plus de deux semaines », précise Christophe Galichet.
Mutations inattendues
Les possibilités offertes par Crispr sont très alléchantes pour lutter contre des maladies génétiques, mais les conséquences sociales peuvent être graves. « Toute mutation d’un gène est héréditaire », prévient le chercheur du Francis Crick Institute. Crispr ouvre ainsi la porte aux tentations eugénistes. La même technique qui permettrait d’éliminer le risque de contracter certains cancers héréditaires pourrait aussi être utilisée pour éliminer, potentiellement, tout « défaut » du code génétique.
En outre, il existe encore des incertitudes quant aux conséquences biologiques de l’édition génétique. « Crispr peut donner des mutations génétiques inattendues », note Christophe Galichet. Le coup de ciseau donné au gène responsable de la susceptibilité au virus HIV pourrait, en théorie, avoir entraîné une plus grande prédisposition à certains cancers. « Il faut faire davantage de recherches pour mieux maîtriser cet aspect de l’édition génétique », estime le chercheur.
La manipulation génétique des embryons grâce à Crispr présente aussi un risque spécifique mal maîtrisé que Christophe Galichet appelle « l’effet mosaïque ». Lorsqu’on altère un gène à un stade aussi peu avancé du développement humain, il se peut que la mutation, par ricochet, affecte davantage de gènes que le seul visé initialement. Difficile de dire si l’expérience de He Jiankui (dont la réalité reste encore à prouver) n’a pas déclenché des modifications en cascade dans le code génétique des jumelles, dont les conséquences vont se révéler au fil du temps.
Ce que He Jiankui affirme avoir fait « n’est pas bon, pas bon, pas bon du tout, déplore Darren Griffin, professeur de génétique à l’Université de Kent. Dans un monde où les scientifiques essaient de plus en plus de réfléchir aux conséquences éthiques et sociales de leurs travaux avant de les faire, cette expérience serait un retour à l’âge de pierre de la recherche. »
Source : www.cameroonweb.com