Le Liberia dispose de la deuxième plus grosse flotte mondiale de navires sous pavillon de complaisance. Géré par une société américaine, ce business florissant a rapporté 15,1 millions d’euros à l’État en 2010.
En juin, le nombre de navires arborant le drapeau libérien est passé à 3 500. Pourtant, la quasi-totalité d’entre eux n’a jamais mouillé dans les eaux du petit État ouest-africain. Ils ont été enregistrés en utilisant le système du pavillon de complaisance : un pays accepte, moyennant finances, de placer un bateau d’un propriétaire étranger sous sa juridiction, souvent peu contraignante. Le pavillon libérien est commercialisé non pas par une société locale, mais par une compagnie américaine, Liberian International Ship & Corporate Registry (LISCR), qui, malgré son nom, a son siège en Virginie. Elle dispose de huit agences dans les plus grands ports du monde : New York, Tokyo, Athènes, Hong Kong…
À Monrovia, dans les bureaux de l’Autorité maritime libérienne, on se réjouit de ces immatriculations : « Nous avons désormais la deuxième flotte la plus importante au monde. Grâce à cette activité, l’État a engrangé 20 millions de dollars [environ 15,1 millions d’euros, NDLR] de revenus en 2010, soit 10 % de plus qu’en 2009 », se félicite Binyah Kessely, président de la structure publique. Parmi les meilleurs clients du pays, on peut noter l’armateur saoudien Vela et le groupe minier brésilien Vale, qui comptent respectivement 20 et 15 navires de plus de 200 000 tonnes sous pavillon libérien. Mais le Panamá, leader mondial du pavillon de complaisance, est encore loin devant : ce business lui rapporte chaque année environ 55 millions de dollars.
Combien coûte annuellement une immatriculation à Monrovia
10 150 dollars pour un bateau de 20 000 tonnes.
33 550 dollars pour un supertanker de 200 000 tonnes.
Dès 1948
Le Liberia s’est fait une spécialité de cet étonnant commerce en 1948, sous la présidence de William Tubman, à la demande du secrétaire d’État américain Edward Stettinius. Celui-ci avait imaginé un système permettant aux compagnies américaines d’enregistrer à moindre coût, et depuis les États-Unis, leurs navires sous la bannière du Liberia, pays « ami » de Washington et doté d’une réglementation flexible et calquée sur le droit américain.
Dès la mise en place de la commercialisation du pavillon à New York, les sociétés pétrolières américaines, mais aussi les puissants armateurs grecs, ont perçu l’intérêt financier et juridique du pavillon du Liberia, protégé et commercialisé par son « grand frère » américain : dans les années 1970, « The Lone Star of Africa », la bannière libérienne à une étoile, est devenu le premier pavillon mondial de complaisance. Sa flotte dépasse alors les 3 000 navires et l’activité génère les bonnes années plus de 24 millions de dollars de revenus pour l’État.
Pendant la guerre civile (1989-2003), la flotte est tombée à 1 750 bateaux, en raison de la réputation de corruption et de violence des régimes, mais aussi de l’émergence d’autres registres maritimes, comme ceux du Panamá et des îles Marshall (océan Pacifique). Autre point noir qui nuit à la réputation du pavillon : les naufrages désastreux de bateaux enregistrés à Monrovia, comme l’Amoco Cadiz en 1978. À la fin des années 1990, la compagnie américaine qui gérait le registre libérien, l’International Registration Incorporation, s’est mise à proposer aussi le pavillon des îles Marshall, suscitant la colère du président de l’époque, Charles Taylor. En représailles, celui-ci lui a retiré la gestion du registre et a signé un nouveau partenariat avec l’actuel gestionnaire, LISCR.
« Liste blanche »
Depuis, Monrovia a redoré son image auprès des armateurs et de leurs banquiers. D’abord avec une paix qui s’est installée durablement depuis 2003. Ensuite, en ratifiant la plupart des conventions de l’Organisation maritime internationale. Enfin, LISCR, qui a signé en 2009 une nouvelle convention de dix ans pour la gestion du registre, a mis en place des procédures d’inspection et de contrôle plus strictes, avec un staff de plus de 480 personnes.
Résultat : le pavillon libérien, qui n’était guère en odeur de sainteté, a nettement progressé dans les classements internationaux. Il est notamment sur la « liste blanche » de l’Organisation du mémorandum de Paris. Rassemblant les ports européens et américains, celle-ci est l’une des plus exigeantes en matière de respect des normes maritimes et a mis en place des inspections sévères. Sur 1 523 bateaux libériens inspectés par ses soins en 2010, seuls 33 ont été jugés inaptes à la navigation, soit 2,2 %. Un score bien meilleur que ceux de pavillons inscrit sur sa « liste noire », comme le Togo (23 %), le Cambodge (11,7 %) ou l’Ukraine (11 %). « Les pavillons les plus risqués ne sont pas toujours ceux qu’on croit ! » s’exclame un analyste spécialiste du trafic maritime, qui pointe du doigt le laxisme de pays comme Malte, qui avait notamment immatriculé l’Erika, responsable d’une marée noire en Bretagne (France) en 1999.
Les pays les plus complaisants
Panama : 22.6% du tonnage mondial (8100 bateaux de plus de 100 tonnes)
Libéria : 11.1% (2456)
îles Marshall : 6.1% (1376)
Bahamas : 5% (1426)
Malte : 4.4% (1613)
Chypre : 2.5% (1026)
Aucun marin local
La Fédération internationale des ouvriers du transport (ITF) reste quant à elle critique : « L’époque où l’argent récolté en Virginie rentrait directement dans la poche de Charles Taylor est heureusement révolue. Le gouvernement libérien a pu, ces dernières années, augmenter sa part des bénéfices tirés de cette activité, tant mieux ! Reste que les bateaux libériens ne sont pas défendus en cas de conflit juridique et, surtout, qu’aucun marin local n’y est embarqué. Le succès du registre maritime libérien tient d’abord à la protection de l’anonymat des propriétaires, à des coûts très bas et au soutien américain », regrette un porte-parole de l’ITF.
Au Liberia, on reconnaît que l’activité maritime s’est trop focalisée sur la gestion des pavillons, et pas assez sur l’économie « réelle ». « Nous voulons désormais nous diversifier, sans pour autant abandonner cette importante ressource de devises », indique Byniah Kessely, de l’Autorité maritime libérienne. Et de préciser que le pays élabore actuellement une stratégie pour développer des activités comme la pêche et le stockage de vrac, avec un programme de formation de cadres libériens spécialisés dans ces secteurs.
Jeune Afrique