« La violence, sous quelque forme qu’elle se manifeste, est un échec. » (Jean-Paul Sartre)
Dans un élément sonore d’un peu plus d’une minute circulant sur la messagerie whatsapp samedi 04 juin 2022, on pouvait entendre les cris de douleur, de supplication d’un homme, apparemment entrain d’être maltraité par un agent des forces de l’ordre. Les paroles du policier ou du gendarme qui frappait le malheureux inconnu pouvaient nous renseigner que le supplicié aurait versé de l’eau sur un policier pour se venger du fait que ce dernier ne lui aurait rien donné après avoir essuyé sa voiture. L’agent de la force publique qui ignorait les cris de supplication et continuait à infliger les mauvais traitements à sa victime, n’a pas pas manqué, par ses menaces, de relier l’acte de sa victime du jour au grave incident au grand marché de Lomé d’il y a deux jours qui avait coûté la vie à un gendarme togolais.
En effet, jeudi 2 juin 2022 un homme a, au cours d’une dispute, mortellement poignardé un gendarme. Nous apprendrons plus tard qu’il s’agissait d’un homme d’une cinquantaine de nationalité tchadienne. Quelques heures après le malheureux évènement, le Général Yark Damehane, ministre de la sécurité et de la protection civile avait indiqué dans un communiqué que l’assaillant, après avoir été maîtrisé, aurait été sérieusement molesté par la foule présente. Il aurait ensuite été conduit dans un hôpital de la place afin de recevoir des soins appropriés. Pas un mot de la part du ministre pour regretter le fait que le présumé assassin du gendarme fût pris à partie par la foule qui l’aurait sérieusement malmené. Doit-on comprendre par là que les autorités chargées de la sécurité dans notre pays sont d’accord avec la réaction de la foule qui avait agi en toute illégalité en s’en prenant à un homme qui était déjà menotté, donc ne pouvait plus être une source de menace quelconque, comme on pouvait le voir sur les images?
Rien pour le moment ne prouve qu’il s’agissait d’un règlement de comptes personnel ou d’un acte terroriste. Le second incident où l’eau aurait été versée sur un policier ne nous renseigne pas non plus si les deux actes pourraient être reliés l’un à l’autre, ou si les deux individus, auteurs des deux agressions contre les agents de la force publique, se connaissaient ou formaient un même groupe avec l’intention de commettre des actes terroristes. Mais d’après les paroles menaçantes de l’agent qui torturait allègrement, assuré d’une totale impunité, dans notre fameux élément sonore, on pouvait retenir que notre tortionnaire était sûr qu’il s’agissait d’actes terroristes, puisqu’il demandait à sa victime d’après celui qui les aurait envoyés au Togo et le sommait de repartir.
Nous apprenons samedi dans l’après-midi que l’assassin du gendarme du grand marché a finalement succombé à ses blessures dans la nuit du vendredi 3 juin 2022. Le gendarme poignardé étant mort, son présumé assassin n’ayant pas survécu aux blessures à lui infligées par la foule en colère, n’étant pas sûrs qu’il ait pu parler avant de mourir vu la gravité de son état, nous doutons fort que la police ou la gendarmerie ait pu receuillir tous les éléments liés au mobile du drame.Vu tout ce qui précède, beaucoup d’enseignements peuvent être tirés quant au comportement des autorités togolaises chargées de la sécurité et surtout de leurs agents éxécutants, qu’ils soient policiers, gendarmes ou même militaires.
Tout d’abord dans tout état qui se respecte, quel que soit le crime ou le délit commis, le présumé coupable ne doit, en aucun cas, être livré à l’auto-justice ou à la vindicte populaire. Un état au sein duquel les autorités chargées de la sécurité des citoyens font en sorte que les lieux de garde à vue ou de détention provisoire soient transformés en centres de torture, est un état où les populations ne sont nullement en sécurité. Tout attroupement dans un lieu public,au départ anodin, peut à tout moment dégénérer et conduire à des drames avec mort d’hommes, parce que les citoyens auront acquis cette mauvaise habitude de se croire en droit à recourir à la violence pour régler leurs comptes à des supposés délinquants sans ou avec la présence des forces de l’ordre officielles.
Les bastonnades ou toutes autres formes de torture exercées sur un citoyen ou sur une citoyenne au commissariat ou à la gendarmerie, quel que soit ce qu’on pourrait lui reprocher, sont inacceptables. Il est un secret de Polichinelle que la torture de détenus politiques et même de droit commun soit malheureusement répandue au Togo et régulièrement dénoncée par les organisations de défense des droits de l’homme. Les autorités en charge de la sécurité et les agents subalternes, à qui on laisse le plus souvent la sale besogne, n’ont pas le droit de continuer à violer impunément les droits de l’homme dans leur domaine de compétence. C’est pourquoi, en présentant nos sincères condoléances à la famille et aux collègues du gendarme assassiné, nous dénonçons et condamnons l’auto-justice à laquelle le présumé assassin n’a pas survécu. Nous dénonçons et condamnons également les bastonnades, apparemment dans un centre de garde à vue, et dont le contenu sonore fut enregistré et propagé sur les réseaux sociaux. Le policier ou le gendarme tortionnaire, et éventuellement ses supérieurs hiérarchiques qui ont laissé faire,doivent être identifiés et sanctionnés pour que les autres n’aient pas l’impression qu’ils ont impunément le droit de vie ou de mort sur leurs concitoyens. Qu’on soit Togolais ou citoyen d’une autre nationalité vivant sur le sol togolais, on a le droit à la même protection par les autorités sécuritaires.
Au moment où nous écrivons les dernières lignes de ce texte, il n’y a aucun indice qui puisse nous situer, si oui ou non, l’évènement dramatique de jeudi au grand marché de Lomé fut un acte terroriste. Selon le site officiel du Togo « Republic of Togo », une enquête serait ouverte. Mais l’attaque terroriste de Kpikpékandi qui a fait 8 morts et 13 blessés côté togolais début mai 2022 et l’appel des autorités politiques et militaires togolaises aux populations à collaborer avec les forces de l’ordre et de défense dans leurs efforts pour combattre le terrorisme, sont forcément quelque part dans les têtes quand de tels incidents violents se produisent. Cependant, la collaboration entre l’armée ou les forces de l’ordre et le peuple pour venir à bout de ce mal qu’est le terrorisme ne devrait pas servir d’alibi pour donner libre cours aux dérapages aussi bien du côté des populations que de celui des forces de l’ordre ou de défense; sinon à cette allure, la lutte contre le terrorisme ou contre toute autre forme de délinquance risque d’avoir de sombres jours devant elle.
Samari Tchadjobo
Allemagne
Source : 27Avril.com