Si les députés de la majorité avaient pu deviner qu’en bottant à la touche tous les amendements portés par leurs pairs de l’opposition lors de l’étude du projet de loi portant sur les réformes, ils se retrouveraient comme dans un cimetière, l’opposition les laissant se démerder avec des questions qu’ils ne sont pas habitués à poser aux commissaires du gouvernement, ils réviseraient leur position. Mardi dernier, c’est devant des élus issus de l’opposition tous présents, mais sans réaction et silencieux, que le vote de la loi de finances rectificative s’est déroulé. Et pourtant, ce ne sont pas les zones d’ombre qui manquaient. Apparemment, il en sera ainsi jusqu’à nouvel ordre.
Si la présidente du groupe parlementaire ANC ne s’est pas exprimée, ce n’est pas faute de n’avoir rien trouvé à redire aux réponses du commissaire du gouvernement. Mais selon les informations, ce serait une manière de démontrer que le refus des députés Unir et de leur président Dama Dramani de prendre en compte les amendements sur le projet de loi portant sur les réformes constitutionnelles et institutionnelles aura des conséquences sur l’animation des débats à l’Assemblée nationale, pas sur leur participation.
Dans le projet de loi de finances rectificative, gestion 2017, il est prévu le remboursement intégral des préfinancements dont l’encours ressortait à 161,3 milliards FCFA au 8 août 2017 pour le remplacer par un emprunt obligataire de même montant, mais aux conditions plus avantageuses sur une maturité plus longue. Le même projet veut prendre en compte de nouveaux projets d’investissements financés sur ressources propres, dons en emprunts et annule des crédits initialement alloués à certains projets ou dépenses dans la loi initiale dont les dotations ne pourront pas être totalement consommées.
Ainsi, bien que le FMI ait par exemple fait adopter par le Togo un nouveau cadrage macroéconomique qui a réduit les prévisions initiales de recettes exercice 2017 de 37 milliards FCFA, le gouvernement a répondu à la question de savoir les éléments qui ont motivé la prise en compte de nouveaux projets d’investissements financés sur ressources internes : l’inscription de nouveaux projets d’investissement financés sur ressources internes s’explique par « certains travaux qui avaient été exécutés en urgence ou en cours d’exécution, mais non pris en compte dans le budget initial. Il s’agit notamment des travaux confortatifs de bitumage et d’aménagement des contournements d’Alédjo et de Défalé, des travaux d’aménagement et de bitumage de la route nationale n°21 (RN 21, tronçon carrefour Pya-Sarakawa-Kanté) et aménagements connexes, des travaux de construction du nouveau siège de l’Assemblée nationale et des travaux de bitumage et d’aménagement de la route Lomé-Vogan ».
Comme on le découvre, ni les ministres ayant pris part au crime économique sur la route Lomé-Vogan, ni les sociétés responsables des malfaçons dans les contournements et l’abandon n’ont pas été mis à contribution pour réparer les torts causés. Les caisses de l’Etat sont là et on y puise sans compter.
Les investissements en faveur de l’Assemblée nationale étaient initialement fixés à 350 millions de FCFA, mais à fin juillet 2017, seulement 165 millions avaient été décaissés. Bizarrement, les dépenses remaniées ajoutent 921,422 millions de FCFA au chiffre initial. Devant les doutes quant à la consommation totale de cette somme, le ministre répond que la dotation servira aux travaux d’assainissement, de la voirie, du contrôle et du suivi ; il a précisé qu’il s’agit des avances de démarrage, car « vu le taux d’exécution physique des travaux programmés pour cette année qui est de plus de 80% à ce jour, il est fort probable de consommer totalement la dotation remaniée avant la fin de l’année ».
Du PUDC, il a été aussi question. Et là, surprise ! Sur une dotation interne prévue de 37,6 milliards FCFA, la totalité a été décaissée au point que le ministère de l’Economie et des Finances court pour mobiliser 20 autres milliards à titre externe !
En guise de preuve du silence des députés de l’opposition, sur un total de 18 questions avec des sous-questions, voici les amendements apportés seulement à la forme :
- la commission a remplacé dans le titre du projet de loi, « rectificatif » par « rectificative » ;
- elle a aussi remplacé à l’article 1er, « 1er » par « premier » et
- elle a supprimé dans tout le texte, les points virgules (;) à la fin des montants pour des raisons de commodité.
Remaniement des investissements sur ressources internes
Dans les détails des dépenses remaniées des investissements sur ressources internes, on observe dans le désordre :
- pour la présidence, une réduction de 637.727.000 FCFA sur des dotations initiales de 1.563.500.000 FCFA et un engagement modeste de 366.886.130 FCFA ;
- pour le premier ministère, diminution de 89.110.000 FCFA sur des dotations initiales de 150.000.000 FCFA et des engagements de 15.889.406 FCFA ;
- la Cour constitutionnelle initialement dotée de 40.000.000 FCFA n’a rien dépensé, d’où une annulation pure de la dépense.
Le Programme d’appui aux populations vulnérables (PAPV) initialement doté de 20.000.000.000 FCFA n’a pas été touché, bien que côté engagement, aucun franc n’ait été engagé.
Plus cocace, le Programme urgent de développement communautaire (PUDC) était initialement doté d’une enveloppe de 20 milliards FCFA. Bien que, coté engagement, tout ait été dépensé, bizarrement, dans la colonne de la loi de finances rectificative (LFR), on retrouve encore 20 milliards FCFA ! C’est à n’y rien comprendre.
Le ministère de la Planification s’était initialement vu doter de 699.918.000 FCFA et a déjà dépensé 470.828.399 FCFA. Mais pour des raisons inexpliquées, la dotation a été portée à 994.146.000 FCFA.
Le ministère de dame Victoire Tomégah-Dogbé, tout budgétivore qu’il est, avait prévu absorber 661.000.000 FCFA pour les Maisons des jeunes de Lomé, Atakpamé, Sokodé, Kara, Dapaong, le PRADEB, le projet « Employabilité des jeunes », Appui aux travaux communautaires des jeunes. Mais à mi-parcours, aucun franc n’a encore été engagé. Ces fonds ont été simplement annulés par la LFR.
Le ministère des Infrastructures et des Transports a aussi fait parler de lui. L’entretien routier était initialement doté de 8,343 milliards FCFA, mais au moment de l’élaboration de la LFR, les engagements étaient seulement de 2,352 milliards. Malgré cela, aucune réduction n’est intervenue sur le montant initial. Reste à savoir comment on compte consommer tout le reste en si peu de temps.
Bien que n’ayant pas été prévus lors du vote du budget en décembre 2016, le bitumage de la voie Pya-Sarakawa-Kanté est introduit à hauteur de 20,6 milliards FCFA ainsi que Lomé-Vogan dont la première tranche s’évalue à 9 milliards. Pour ce cas, ce sont au moins deux ministres –suivez nos regards- qui doivent se frotter les mains d’y avoir échappé belle.
Avec le ministère du Tourisme et de l’Industrie, il est apparu deux augmentations peu compréhensibles : reliquat de l’achat du site Kpomé pour 40 millions de FCFA et un reliquat de 80 millions pour la réhabilitation de l’hôtel 30 Août de Kpalimé. On se demande pourquoi ne pas attendre le budget prochain pour entamer ces chantiers. Dans le même sillage, on découvre que la clôture du site de Kpomé, non prévue au départ, nécessite une augmentation de 24,505 millions de FCFA et qu’un reliquat de la maîtrise d’ouvrage pour les travaux de clôture du même site d’un montant de 10,200 millions est aussi apparu.
Remaniement des investissements financés sur ressources externes
Gouvernance fiscale du ministère de l’Economie et des Finances. Initialement, cette rubrique était vide, mais après remaniement, ce projet nécessite des financements extérieurs à hauteur de 5,587 milliards FCFA. Le PUDC était évalué à 37,6 milliards du point de vue financement extérieur. Mais ce montant a été légèrement revu à la baisse, soit 34,216 milliards alors qu’aucun décaissement sur fonds externes n’a encore été opéré à ce jour.
Le PRADEB était prévu pour être financé à concurrence de 2,051854 milliards FCFA, mais à mi-parcours, à peine le ¼ a été décaissé, soit 539,606 millions de FCFA. Une baisse de 184,666860 millions a été effectuée. Reste à savoir si le reste pourra être absorbé avant la fin d’année de manière parcimonieuse.
Le ministère de l’Agriculture pourra-t-il consommer la totalité du financement après révision à la baisse à 6.870.500.000 FCFA avant fin décembre? Puisqu’à fin juillet, à peine 699.319.000 FCFA ont été consommés sur une dotation initiale de 7,550 milliards FCFA.
Le ministère « Ninsao Gnofam » fait toujours des siennes. Doté d’un financement sur ressources externes de 46,952105 milliards FCFA, ce ministère n’a pu décaisser que 5,409797 milliards FCFA, soit à peine 11,52% des prévisions à fin juillet 2017. On verra l’alchimie par laquelle le locataire dudit ministère y parviendra.
Voilà survolé ce à quoi peut ressembler une loi de finances rectificative « à la togolaise » lorsqu’on dispose d’une majorité mécanique à l’Assemblée nationale. Parce qu’ils en ont assez de ne pas voir prises en compte leurs remarques et amendements, surtout par rapport au vote scélérat de la loi sur les réformes, les élus issus de l’opposition ont répondu présents à la séance, mais sans prendre part aux débats. Une situation qui a montré qui sait faire quoi et qui anime l’Assemblée nationale.
Par ce sujet, votre journal ouvre à sa façon sa session budgétaire sur la loi de finances, gestion 2018.
Abbé Faria
Source : Liberté No.2566 du 27 novembre 2017
27Avril.com