Loin des sourires parfois forcés devant les caméras, se cache une véritable nuit des longs couteaux entre deux femmes d’influence dans la galaxie Faure Gnassingbé. Il s’agit de Victoire Tomegah, la ministre du Développement à la Base, de l’Artisanat, de la Jeunesse et de l’Emploi des jeunes et la Béninoise Reckya Madougou, conseillère spéciale (sic) élevée au rang de ministre. Cette guerre latente risque de connaître des issues incertaines pour ces amies d’hier. Tant tous les coups sont permis.
Le pouvoir se nourrit du sacré. Il se nourrit aussi du plaisir. Et c’est justement par rapport à cela que certains parlent du phénomène de la jouissance du pouvoir. C’est une arme dont se servent certains hommes du pouvoir pour affaiblir leurs adversaires politiques ou tirer des femmes leur atout charme pour parvenir à leurs fins. Cette réalité semble visible dans le contexte togolais où un nombre pléthorique de femmes composent l’entourage de Faure Gnassingbé. Dans cette cour, la quiétude n’est pas la chose la mieux partagée. Des guerres silencieuses sont éloquentes.
Victoire Tomegah-Dogbè, perte d’influence ?
Cina Lawson, Ingrid Awadé, Victoire Tomegah-Dogbè, Reckya Madougou… toutes des femmes ministres, ex-ministres ou conseillères font partie de ce que certains appellent les égéries de la République. Des moins visibles aux visibles, elles gardent leurs distances des unes des autres, mais affichent malgré elles des sourires forcés devant les caméras pour simuler la sérénité. C’est le politiquement correct. Mais il y a le politiquement incorrect. Elles ne s’apprécient pas toutes. Certaines jouent des coudes, et parfois des armes « non conventionnelles » pour conserver leurs réseaux, leurs acquis ou étendre leurs influences au détriment des autres et de tout le peuple. Cette guerre froide fait bruisser le palais présidentiel pourtant connu pour certains de ses secrets d’alcôve. Depuis que Reckya Madougou est en train de prendre une certaine ascendance dans le sérail du pouvoir, cela ne semble pas plaire à Victoire Tomegah-Dogbè. Cette dernière voit cette promotion comme un mauvais présage à son réseau d’influence avec lequel elle fait et défait les ministres, garantit la promotion de ses parents et de ses proches.
La ministre du Développement à la Base est devenue en l’espace de quelques années l’une des femmes les plus puissantes du système Faure Gnassingbé. Emmenée au Togo en 2008 par l’ex-Premier ministre Gilbert Houngbo, elle bat le record de longévité au gouvernement. Pas pour son look de « forerver young », mais pour son influence tissée en un temps record, au point que des caciques du régime RPT/UNIR ne la portent pas dans leurs cœurs. Ils sont mêmes sidérés par rapport à la confiance « no limit » que lui accorde Faure Gnassingbé. Elle empiète même parfois sur le terrain de ses collègues ministres sans être rappelée à l’ordre. La puissante femme ne serait pas étrangère à l’éviction d’un ancien ministre de l’Economie et des Finances connu pour sa rigueur sélective. Elle n’entretenait pas non plus de bonnes relations avec Kako Nubukpo, l’ex-ministre de la Prospective et de l’Evaluation des politiques publiques. La dame aurait imploré la clémence de Faure Gnassingbé dans la libération de Kodjo Menan, l’ancien ambassadeur du Togo aux USA impliqué dans des malversations financières.
L’étendue du pouvoir de Victoire Tomegah-Dogbè est immense, tout comme son portefeuille. Aussi les projets qu’elle a initiés FNFI, PRADEB.. sont tous aussi longs et nombreux que les multiples bras du dieu hindou Shriva. Mais ses réalisations (la construction des marchés, entre autres) à coup de milliards se soldent par des échecs retentissants comme les vacarmes médiatiques qui l’accompagnent lors de l’inauguration de chacun de ses projets que des gens appellent « des projets clés en main ». Le décaissement des fonds pour ses réalisations lui a permis d’amasser un trésor inestimable avec lequel elle finance ses proches et des initiatives de propagande à la gloire du régime cinquantenaire. Au faîte de sa fulgurante ascension, Victoire Tomegah-Dogbè n’entrevoit pas son crépuscule. Obnubilée par la jouissance du pouvoir, elle a fait appel à son amie béninoise Reckya Madougou. Et c’est cette dernière qui, depuis quelque temps, lui dame le pion. Un danger nommé Réckya Madougou qu’elle n’aurait pas vu venir.
Réckya Madougou, l’amie-rivale
C’est un scénario à la Brutus qui se joue entre ces deux dames parmi les égéries de la République dont certaines sont tombées en décadence. Réckya Madougou semble poignarder dans le dos son aînée Victoire Tomegah-Dogbè. En effet, avant d’être rappelée en 2008 au gouvernement par Gilbert Houngbo, l’ex-Premier ministre, la ministre du Développement à la Base travaillait pour le compte du PNUD au Bénin. Et c’est là-bas que les deux femmes se sont liées amitié. Elles ont gardé leur relation et c’est au nom de cette amitié qu’elle a fait venir sa cadette pour jouir des délices du pouvoir de Faure Gnassingbé. Mais au fil des ans, l’amitié va se fissurer au gré des intérêts. La maman Victoire Tomegah-Dogbè, comme l’appellent certains, voit ses influences s’amenuiser pendant que sa jeune sœur, plus pimpante, étend les siennes.
Longtemps restée dans l’ombre, la Béninoise Réckya Madougou, en bon caméléon, va progressivement prendre la couleur de son milieu. Elle a opéré une mue et est maintenant entre deux avions pour des missions pour le locataire du Palais de la Marina. Elle n’hésite même plus à s’afficher publiquement parmi les membres du gouvernement comme lors d’un voyage à l’étranger. Sa cote ne cesse de monter auprès de Faure Gnassingbé qui semble donner un « coup fatal » à Victoire Tomegah-Dogbè qui serait en net recul. En nommant Mme Mazamaesso Assih au poste de Secrétaire d’Etat auprès de la République, chargée de la Finance inclusive et du Secteur informel, le chef de l’Etat semble prendre une certaine distance de son ministre. Car, avant cette nouvelle fonction, Mme Mazamaesso Assih était à la tête de la cellule assurance du FNFI créé en 2014. Faure a donc dessaisi de ce portefeuille Victoire Tomegah qui, malgré elle, a fait la passation de service. De plus, certains voient dans cette nomination une manœuvre en sourdine de Réckya Madougou qui a pris ses distances de son ancienne marraine.
Réckya opère désormais en roue libre. Elle s’est « affranchie » de Victoire Tomegah-Dogbé. Forte de cette indépendance, elle développe son réseau et s’active même à « enterrer » ou « gommer » sa marraine chez Faure Gnassingbé. La Béninoise serait au cœur d’une offensive communicationnelle visant à sauver le régime RPT/UNIR qui fait face à une vague de contestations sans cesse grandissante. Pour ce faire, elle s’octroie les services de ses frères. Sur certains médias béninois, l’actualité togolaise est décryptée. Les hommes de Réckya défilent et intoxiquent leurs concitoyens en tentant de sauver le régime cinquantenaire qui empêche les Togolais d’expérimenter l’alternance. La « menace Réckya » est prise au sérieux par dame Victoire Tomegah-Dogbè. Cette dernière s’active à sauver son réseau d’influence qui se fond lentement. Et depuis quelque temps, elle réchauffe ses vieux cirques. Pour combien de temps ? Réckya semble être de plus en plus la « préférée ».
La bataille de Kirina ?
Les oracles devraient être sans cesse consultés. Dans la nuit des longs couteaux qui s’est installée entre les deux amies devenues rivales, les devins ne devraient pas avoir le repos facile. Ils seraient sollicités. Très même. La guerre n’exclut pas le recours aux armes non conventionnelles et les deux adversaires pourraient y recourir. Chacune chercherait « l’ergot de coq » pour réduire la puissance ou l’influence de l’autre.
Ces deux femmes seraient enclines à des « missiles invisibles » et n’hésiteraient pas à se les lancer pour remporter la bataille. Au Bénin, beaucoup prêtent à Réckya Madougou des penchants mystiques (un beau-frère de Faure Gnassingbé qui est d’origine béninoise connaît bien sa compatriote sur ce plan et l’aurait même mise en garde), tout comme au Togo où certains soupçonnent Victoire Tomegah-Dogbè d’avoir également un faible pour des pratiques de ce genre.
Pendant que ces deux femmes se livrent à une guerre à distance et par réseaux interposés, la rue gronde. Elle veut le départ de Faure Gnassingbé qui n’a plus rien à proposer aux Togolais. On se demande pendant combien de temps ce pouvoir tiendra encore. Une chose est sûre, monsieur le président partira. Ses femmes d’influence aussi. Bon à suivre.
Source : L’Alternative
27Avril.com