La réalisation des travaux lancés le 17 juin dernier va occasionner l’expropriation de certains riverains. Mais d’ores et déjà, la pilule a du mal à passer. Les conditions de cette expropriation sont dénoncées par les personnes touchées. Le 30 juin 2020, ces dernières, réunies en collectif, ont adressé une lettre à la Commission d’Expropriation (Comex). Elles y soulignent que les conditions d’indemnisation unilatéralement fixées et les délais pour quitter les lieux portent gravement atteinte à leurs droits. «Le délai d’un (01) mois fixé ne nous suffit pas pour quitter les lieux ; Le prix du mètre carré fixé à 41.700 Francs CFA pour notre zone n’a aucune justification au regard des règles posées dans le cadre de la politique de réinstallation ; Nos bâtisses ou les constructions érigées sur les immeubles ne font objet d’aucune évaluation et si elles doivent en faire, il est de droit de tenir compte de leur valeur actuelle en tenant compte des coûts actuels sur le marché ; Les locataires qui sont liés par des baux d’habitation ou commerciaux et qui ont un projet à long terme et qui ont fait d’énormes travaux, quelles sont les conditions de leurs indemnisations sans oublier leur départ des lieux, la perte de leurs clientèles ? Sans une évaluation des bâtisses en intégrant les travaux par les locataires, ou séparément, les travaux projetés risqueraient de créer une situation irréversible », relèvent les propriétaires en voie d’expropriation.
De la procédure adoptée par la Comex
Pour mieux s’imprégner de la situation, nous avons fait un tour sur le site en face du Lycée technique d’Adidogomé. Là, une quinzaine de maisons sont concernées par la procédure d’expropriation. Les riverains dénoncent ce qu’il convient d’appeler une brutalité de la part de la Comex qui n’a pas pris le soin d’organiser une sensibilisation à leur endroit. Et pourtant, une procédure expropriation doit tenir compte de nombreux aspects, surtout ceux touchant à la psychologie des personnes affectées qui doivent être informées et mises dans les meilleures conditions pour éviter qu’elles ne soient atteintes psychologiquement.
D’ailleurs le décret N°2019-189/PR du 05/12/2019 portant attributions, organisation et fonctionnement de la Commission d’expropriation (Comex) précise, en son chapitre 2 relatif aux attributions que la commission est chargée d’organiser les séances d’information et de sensibilisation à l’attention des populations affectées par l’exécution des projets ; organiser le processus de négociation ; et valider le modèle type de procès-verbal de négociation ou de protocole d’accord de cession amiable. Malheureusement, toutes ces étapes ont été ignorées. « Nous n’avons pas été avertis ou saisis par quelque note d’information que ce soit. Ça a été fait de façon brutale. Ils nous sont tombés dessus avec la décision de nous exproprier », s’indignent-ils.
En réalité, la plupart des personnes affectées habitent dans la zone depuis plusieurs décennies. « Nous vivons ici depuis les années 1990. Mes enfants sont nés ici. Notre vie, nos souvenirs, nos histoires ont été écrits ici. La moindre des choses est qu’on nous mette dans les conditions acceptables. Il ne devait pas avoir cette brutalité, cette suffisance qu’ils affichent à notre égard. Nous sommes des humains et la Comex doit en tenir compte », explique une dame. «C’est tout un problème qu’ils sont en train de nous causer, mais ils semblent l’ignorer », rétorque un riverain.
L’autre problème souligné par les riverains est relatif au délai d’un mois accordé par la Comex afin que les lieux soient libérés. « La Comex dit qu’après indemnisation, nous avons un mois pour quitter nos maisons. J’ai l’impression qu’ils pensent que nous sommes comme eux et que nous avons des maisons partout. Même si on me donne des milliards, un mois, c’est trop peu. Il nous faut au moins six mois, le temps de trouver un nouveau terrain et y faire des travaux. Quelqu’un qui a sa maison, on ne l’exproprie pas de cette façon », se désole un autre riverain. « Certains ont des locataires, des enfants encore à l’école ou en apprentissage. Ce sont des aspects dont ils ne tiennent pas compte », poursuit-il.
Une indemnisation unilatérale
Dans cette affaire, la Comex a également manquée à sa mission en fixant elle-même les indemnisations alors que l’Article 6 du décret portant sa création lui fait obligation de « négocier avec les personnes affectées par les projets de développement ». Cette précision a été foulée aux pieds par les responsables de la Comex. Et comme le précisent les personnes affectées dans la note, il n’y a pas eu négociation ni information préalable. « Ils ont fixé les prix eux-mêmes », déplore un riverain.
Selon les informations, le mètre carré de terrain a été évalué à 41.700 FCFA. Un prix en-deçà de la norme, selon les propriétaires qui assurent qu’en milieu urbain, le mètre carré de terrain indemnisé est évalué à 90.000 FCFA ou 70.000 FCFA au pire des cas. Le prix fixé par la Comex serait guidé par des critères que les propriétaires jugent hors de toute norme. « Ils nous disent que nous sommes dans un marécage. Ce qui n’est pas vrai puisque quand nous achetions nos terrains, il y a plusieurs décennies, il n’y avait pas d’eau. C’est le gouvernement qui a creusé un bassin de rétention près de nos maisons. Et avec les travaux urbains, l’eau qui est drainée vers le bassin dépasse ses capacités. Les travaux de la Cité Mokpokpo ont compliqué notre situation. Nous sommes obligés de renforcer nos murs et rehausser les portes pour éviter que l’eau ne nous envahisse après la pluie », explique une source. Elle précise que les inondations n’ont jamais été observées 2009 et 2019, avec le drainage des eaux de la Cité Mokpokpo vers le bassin.
Contrairement à la pratique, les travaux exécutés dans les maisons n’ont pas été inclus dans le calcul des indemnités d’expropriation. « Ils ont refusé de tenir compte des travaux que nous avons réalisés », déplore la source.
Un bassin à scandale
L’occasion faisant le larron, nous avons pu avoir des confidences sur le bassin de rétention d’eau situé devant le lycée technique d’Adidogomé. D’après les informations, ledit bassin a été financé au moins à trois reprises. Les fonds débloqués depuis le temps du Premier ministre Gilbert Houngbo pour augmenter la capacité du bassin ont tout simplement disparu. Les spécialistes sont venus sur le terrain, ont procédé aux mesures et évaluations, mais ne sont jamais revenus pour effectuer les travaux. A trois reprises, l’argent est allé dans les poches des privés.
Dans leur indignation, les riverains déplorent le silence du chef de l’Etat. Ils dénoncent aussi les menaces dont ils font l’objet de la part des agents de la Comex.
G.A.
Source : Liberté Togo
Source : 27Avril.com