Un jour supplémentaire, c’est ce qu’a cru devoir décider la Commission électorale nationales indépendante, prorogeant ainsi les opérations de révision électorale. Le pouvoir et ses mandants de la CENI croient ainsi avoir accompli le geste du siècle. Mais en réalité, il s’agit d’une diversion grandeur nature car la solution idoine est occultée.
Le pouvoir et la CENI décrits en champions
« Le Président de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) porte à la connaissance du public et de tout le personnel électoral que les opérations d’enrôlement sont prorogées jusqu’à demain dimanche 19 mai 2019 à 16 heures, afin de permettre à tous les citoyens qui n’auraient pas pu se faire enrôler en fin de cette journée, de profiter de la journée de dimanche pour le faire. Les heures d’ouverture et de fermeture des CRV sont maintenues de 07 heures à 16 heures 00. Le Président de la CENI compte sur le patriotisme, l’engagement et la mobilisation de tous pour la réussite de cette opération ».
Cette décision, contenue dans un communiqué signé du Président de la CENI, Tchambakou Ayassor et rendu public ce samedi à la mi-journée, personne ne l’a vue venir. Dans la tête du commun des électeurs, la CENI devrait s’en tenir au délai et clôturer les opérations de révision des listes électorales au soir de ce samedi 18 mai, au vu des desseins cachés derrière le rythme lent à elles imprimé. Depuis, les gouvernants et les responsables de la CENI sont élevés au statut d’Henri Dunant, peints comme les meilleurs humanistes encore restants sur Terre. Tous les lauriers possibles leur sont jetés sur les réseaux sociaux par les membres du supporting club du pouvoir pour ce sens de l’écoute (sic). Et pourtant!
Une diversion en réalité
24 heures supplémentaires, c’est une évidence que certains électeurs de plus réussiront à se faire recenser. Mais loin de l’euphorie dans les entrailles du pouvoir, cette prorogation ne devrait pas faire jubiler pour autant. Car il s’agit d’une simple diversion pour feindre d’avoir répondu à la requête de l’opposition. Cette concession occulte en fait les réels causes et desseins de la lenteur manifeste des opérations et le faible enrôlement des électeurs.
Le déploiement d’un seul kit par centre de vote, voilà la première cause du faible rythme d’enrôlement des électeurs. Même si au niveau des responsables de la CENI et des OPS, on évoque une certaine recherche effectuée dans la base de données à l’introduction d’un nom pour vérifier si la personne ne s’est pas fait déjà inscrire, pour justifier la lenteur des opérations, tout porte à croire que les machines ont été programmées de façon à travailler au rythme de la tortue. Il est clair que la réelle solution va au-delà d’une simple prorogation de 24 heures, il en faut plus.
Certaines organisations, à l’instar du mouvement « En aucun cas » ont légitimement requis une prorogation de quatre (04) jours, à défaut d’un recensement formel demandé par d’autres. L’autre réelle solution, c’est le déploiement de plusieurs kits d’enrôlement par centre, comme le requiert encore le mouvement de Folly Satchivi : « envoyer plus de machines sur le terrain et faire réparer immédiatement celles qu’ils ont volontairement détériorées». Ces mesures, le pouvoir et sa CENI les savent plus efficientes, mais ne veulent simplement pas les concéder.
L‘objectif de cette prorogation, c’est juste de feindre d’avoir écouté les appels tous azimuts. L’efficacité même de cette mesure est sujette à caution. En effet, la décision de prolongation a été communiquée un peu tardivement dans la journée de samedi où l’affluence dans les CRV était plus forte et beaucoup de gens venus se faire enrôler, voyant la file d’attente et le rythme d’enregistrement, ont rebroussé chemin, ignorant que la CENI allait proroger le délai. En l’absence d’une grande communication autour, beaucoup de concitoyens n’ont sans doute pas appris la nouvelle pour se préparer à se rendre à nouveau ce dimanche dans les CRV. En plus, le choix de cette journée risque de ne pas être efficace. C’est une constante que les Togolais sont à majorité chrétienne et dimanche est consacré à Dieu. Ainsi la plupart prennent d’assaut les différentes églises. Les messes ont d’habitude lieu du matin jusqu’à la mi-journée. C’est donc toute la moitié de la journée qui est prise. C’est tout à fait logique que très peu acceptent sacrifier le jour saint consacré à Dieu pour aller passer du temps fou dans les CRV, au nom d’un prétendu devoir de s’inscrire sur les listes et pouvoir voter lors des locales…
Les objectifs du pouvoir atteints
Même s’il a fait semblant d’écouter les plaintes des populations et des responsables de l’opposition en concédant une rallonge de 24 heures, le pouvoir aura atteint ses objectifs visés par cette lenteur artificielle créée. Il fallait être courageux et vraiment déterminé à voter lors des locales à venir pour supporter le calvaire (sic) lié à la révision des listes électorales. Vouloir avoir sa carte d’électeur lors de cette révision, c’est accepter de sacrifier toute sa journée. « 8h35 arrivé, 9e dans la file. 11h44 accès à la salle. 11h47 formulaire en main. 12h13 machine plantée. 12h57 1 agent me fait passer dans 1 autre salle, honteusement je passe devant des gens en attente. 13h15 on me ramène dans la 1 re salle. 13h43 j’ai ma carte. Ici c’est vraiment #Togo ». Ce tweet du Prof David Dosseh, Premier porte-parole du Front citoyen Togo Debout, résume assez bien la situation et est représentatif de ce qu’ont vécu les électeurs dans les centres de vote durant ces jours de révision.
En voyant les files d’attente – elles n’étaient tout de même pas aussi fournies que lors du recensement ou des révisions passées – et surtout en apprenant le rythme auquel se faisaient les opérations, beaucoup d’électeurs potentiels venus se faire enregistrer, ont simplement rebroussé chemin. « Je ne peux pas, pour avoir une simple carte d’électeur, venir gâcher toute ma journée dans un centre de vote (…) Personne ne me nourrit, je me débrouille pour joindre les deux bouts », c’est le genre de réaction standard de ces compatriotes. Et ce sont des milliers d’électeurs en moins pour l’opposition…
Il est évident, au demeurant, qu’une journée de prorogation des opérations ne va pas régler le problème. Le pouvoir n’a en réalité aucune volonté de faire enrôler les électeurs en masse. Il sait bien que ses militants s’étaient fait enregistrer lors du recensement d’octobre 2018 en prélude aux législatives « kadangaises » et que ce sont les patisans de l’opposition, qui avaient été appelés à boycotter les opérations et le scrutin à l’époque, qui viendraient se faire enrôler. Il faut déjà rappeler que le régime pronostiquait un nouveau boycott des locales par l’opposition et la société civile alliée, et le fait pour ses contestataires de décider d’y participer l’a pris de court. D’où les manœuvres pour entraver l’enrôlement massif des militants de l’opposition au cours de cette révision des listes électorales, avec la suite d’arguties. Difficile de croire à une bonne foi subite du régime…
Tino Kossi
Source : Liberté No.2924 du Lundi 20 Mai 2019
27Avril.com