Adama Kpodar est un agrégé des facultés. En véritable tête pensante, ce professeur s’est penché sur la situation du Togo. En menant ses réflexions, il a trouvé une solution : il faut passer à la Vème république au Togo. Dans un long texte rendu public, il explique sa proposition. Togotopinfos vous propose des passage forts de son analyse.
Je pense qu’il faut passer à la Vème République, car la fossilisation constitutionnelle autour d’une constitution de malentendus est un danger permanent pour la République. (…) Dans l’histoire constitutionnelle du Togo, la IVème République, nonobstant toutes les critiques dont elle fait l’objet, a battu, pour le moment, l’exploit de longévité constitutionnelle, puisqu’elle a 25 ans, à côté de la Ière République qui n’a résisté que moins de deux ans aux vicissitudes politiques ; la IIème qui n’y a survécu que 19 ans ; la IIIème que 12 ans ; le régime de transition lui a duré 03 ans.
Cette longévité n’étant synonyme ni d’éternité, ni d’immortalité, aujourd’hui, le discours et les revendications sur le réformisme constitutionnel se font jour, surtout que la constitution qui symbolise la IVème République a mal vieilli.
Elle est sous les feux des tirs croisés de l’ineffectivité, de lifting, de coups de canifs, d’instrumentalisation, de déficit de légitimité et de contestations les plus acerbes ; tous ces maux du siècle qui ternissent le lustre du constitutionnalisme d’ici et d’ailleurs. Ce discours balance entre trois tendances : celle du retour à la constitution du 14 octobre 1992 dans sa version originelle in integrum, celle de la révision de la constitution actuellement en vigueur, et celle plus silencieuse, du maintien de la constitution dans sa version actuelle. Ces différentes positions oscillent toutes autour de cette constitution élaborée dans un contexte difficile de malentendus, tel que nous l’enseigne l’histoire. Elle est aussi un paradoxe constitutionnel, car, malgré ces problèmes, elle a été adoptée à une grande majorité par le peuple togolais qui a été appelé par le Général Gnassingbé Eyadema, affaibli et malmené par la Conférence nationale souveraine, à voter oui.
Mais, que l’on ne se trompe pas ; cette adhésion formelle, ne doit pas cacher la réalité politique, selon laquelle la constitution de 1992 a été substantiellement un accord sur un désaccord, ou un accord en trompe l’œil. C’est la raison pour laquelle, elle a été révisée par une partie, dès que l’occasion s’était présentée à elle en 2002. Pourquoi alors rester dans cette option totémique de la IVème République autour d’une constitution de toutes les mésententes, de toutes les querelles ? N’est-il pas plus simple de passer à une Vème République, surtout que l’on souhaite réviser cette constitution de 1992 par referendum ?
On le sait, l’adoption d’une nouvelle constitution de nature rigide s’effectue par référendum, dans une société démocratique. Il suffit donc de dire que la Vème République ne naîtra formellement que par son adoption référendaire sur le tombeau de la constitution de 1992 qui sera, elle, abrogée.
(…)On se souvient que la Constitution de 1992 dans sa version originelle a établi les rapports entre le Chef de l’Etat et le Premier ministre, en faveur du second. En effet, le Chef de l’Etat, élu au SUD, sans être rejeter à la périphérie des prérogatives de l’Exécutif, était quand même démuni. Il s’agit là d’un paradoxe constitutionnel, justifié par les passions empruntes de revanches politiques, mais malheureusement absoutes par la volonté même du constituant originaire, absolue et illimitée qui l’a voulu ainsi.
Très logiquement cette « impudence » politico-constitutionnelle révéla rapidement son vrai visage. Ayant engendré d’énormes conflits au sein de l’Exécutif, d’ailleurs tranchés par la Cour constitutionnelle en faveur du Chef de l’Etat, elle a été corrigée dix ans plus tard avec la révision constitutionnelle de 2002 qui remet le Chef de l’Etat dans la plénitude des attributions de l’Exécutif en dépouillant totalement le Premier ministre. (…)Certains préceptes de gouvernance politique s’avèrent indispensables. C’est pour cette raison que le Préambule de la constitution de la Vème République devra réaliser ce progrès qualitatif en affirmant clairement le principe de la redevabilité politique, de la moralisation et de la transparence de la vie politique, de la redistribution équitable des ressources et des richesses de l’Etat, de la nécessité de la transparence dans le processus électoral et de l’unité républicaine de l’Etat, qui bannit les préférences fondées sur l’ethnie. Ces valeurs qui aujourd’hui sont évoquées par tous, peuvent contribuer à l’affirmation d’une République et d’une démocratie exemplaire.
VII- Sur un autre plan, les constitutions africaines et celle togolaise plus spécifiquement brillent par leur sécheresse sur le terrain économique. La revue documentaire montre les difficultés des auteurs d’appréhender cet objet d’étude qu’est la lecture économique et sociale de la constitution. (…)Il apparaît également nécessaire que la Vème République assure le renforcement du rôle de l’Assemblée nationale, surtout dans le contrôle de l’action gouvernementale. La Vème république doit rendre à l’Assemblée nationale sa souveraineté. Il n’est pas exclu de prévoir un affermissement de la place de l’opposition parlementaire qui, par des mécanismes de questions, des commissions d’enquête parlementaire, pourra éclairer le peuple sur les insuffisances de l’action gouvernementale. Le Chef de file de l’opposition pourra ainsi voir son statut évoluer d’institution législative vers une institution constitutionnelle de l’Etat, dans son rôle d’opposition constructive, et positivement active.
Il reste la question de la limitation du mandat, avec ou sans effet rétroactif, ou avec effet immédiat modulé dans le temps ou pas. Il me semble, qu’en dehors des certitudes juridiques qui peuvent encore faire autorité en face des arguties politiciens, la Vème République sera heureuse de consacrer une option dégagée à l’issue d’un accord entre la majorité et l’opposition.
(…)Ensuite, la nouvelle constitution devra assurer l’effectivité de l’Etat de droit en rendant la Cour constitutionnelle plus performante. On pense par exemple à l’élargissement du domaine de compétence, notamment aux litiges constitutionnels entre l’État et les collectivités territoriales et à la constitutionnalité d’une loi constitutionnelle. Cette option est dictée par la nécessité de mettre la Constitution en harmonie avec le processus de décentralisation dans lequel s’est engagé le Gouvernement. On envisage aussi la démocratisation de la saisine du juge constitutionnel, ouverte aux présidents des institutions de la République, dont le chef de file de l’opposition, les collectivités territoriales, les personnes morales et physiques etc…Il faudra aussi renforcer l’autonomie et l’indépendance de cette juridiction, en revoyant les modalités de sa composition.
Enfin, la Vème République pourra tirer les leçons de circonstances douloureuses de son engendrement, en sécurisant et en veillant sur certaines dispositions dont la mutabilité est dangereuse à sa survie et donc au maintien de l’ordre constitutionnel et de la paix. Des procédures de révisions stabilisatrices de la République doivent monter cette garde. Nous pensons, d’une part, à une disposition qui empêche l’Exécutif ou le Législatif, en exercice d’opérer une réforme sur les conditions d’éligibilité et la durée de leur mandat en vue d’en bénéficier, et, d’autre part, à une autre qui criminalise toute tentative de révision des interdictions de révision constitutionnelles.
Il faut donc refuser le fétichisme constitutionnel qui écarte l’éventualité d’une Vème République. Du passé, répond l’avenir dit-on. En dehors de phénomènes authentiquement révolutionnaires répudiant le passé, le changement ultérieur de constitution intègre un certain nombre d’acquis devenus entre temps irréversibles. La Vème République qui ne nie pas la IVème constitue dans la pensée des citoyens un nouveau départ sur un nouveau pacte social.(…).
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