Dans une interview accordée aux confrères de la radio allemande la Deutsche Welle (DW) sur le dossier Kpatcha Gnassingbé, Maître Raphaël Kpandé-Adzaré, avocat du détenu, est revenu sur l’inquiétant état de santé de son client. Kpatcha Gnassingbé entame sa troisième semaine d’hospitalisation depuis son transfèrement au pavillon militaire du CHU de Lomé.
Deutsche Welle : Confirmez-vous l’état de dégradation de l’ancien ministre togolais de la défense Kpatcha Gnassingbé, frère du Chef de l’Etat togolais?
Me Raphaël Kpandé-Adzaré: Je voudrais bien le confirmer que la santé de l’Honorable Kpatcha s’est considérablement dégradée. Cette information n’est plus un secret pour personne. Elle a fait le tour des réseaux sociaux et des médias du monde. Il est clair aujourd’hui que la santé de Kpatcha Gnassingbé s’est complètement dégradée, plus concrètement le député Kpatcha Gnassingbé souffre d’un ulcère veineux qui se caractérise par une plaie qui se localise à sa jambe droite qu’il soigne depuis plus de 5 ans mais qui ne se cicatrise pas. Cela voudrait tout simplement dire que l’univers carcéral n’est pas approprié à cette cicatrisation et qu’il lui faut nécessairement une prise en charge beaucoup plus adéquate, une évacuation.
je voudrais rappeler qu’il est évacué au pavillon militaire du CHU Sylvanus Olympio et même ses co-détenus Kokou Tcha Dontema qui est détenu à la prison civile de Sokode a fait l’objet de plusieurs évacuations de cette prison à Lomé pour subir des soins, parce qu’il souffre d’une embolie pulmonaire et le Commandant Atti Abi qui est détenu à la prison civile d’Atakpamé a été opéré tout récemment du cœur et donc il est clair que pour ces détenus qui ont fait plus de la moitié de leur peine, l’univers carcéral n’est plus désormais approprié pour les garder et qu’il faut qu’ils recouvrent leur liberté pour que leur santé et leur intégrité physique leur reviennent.
Et, selon nos informations, Kpatcha Gnassingbé serait évacué au CHU de Lomé, est-ce un bon début?
Effectivement le député Kpatcha Gnassingbé a été transféré au pavillon militaire du CHU Sylvanus Olympio pour des traitements, mais j’avoue qu’il faut aller plus loin. Ce n’est pas la première fois qu’il est évacué au CHU Sylvanus Olympio. Vous savez, lorsque vous êtes détenu, la santé c’est sur le plan physique et moral, lorsque vous êtes détenu et que vous souffrez qu’on vous évacue dans un CHU et que vous voyez que vous êtes encore gardé malgré votre état de santé et malgré le fait qu’on a la possibilité de vous évacuer, je pense qu’il est très difficile pour vous de guérir mentalement et physiquement. Je rappelle que ce n’est pas la première fois qu’il est évacué au CHU Sylvanus Olympio et que si ça ne va pas, cela voudrait dire tout simplement que le milieu où on lui prodigue ces soins, ce milieu n’est pas approprié et qu’il faut aller loin en le mettant en liberté pour qu’il puisse être évacué pour recevoir des soins appropriés en dehors du milieu carcéral qui est désormais désuet et obsolète pour son traitement.
Votre client souhaiterait se faire évacuer à l’étranger au regard de la détérioration de son état de santé, est-ce que vous savez pourquoi cette demande n’a toujours pas été exaucée?
Kpatcha Gnassingbé m’a confié qu’il a demandé son évacuation en dehors de la prison civile, en dehors des centres de santé de Lomé pour subir un traitement beaucoup plus adéquat, beaucoup plus approprié. Il m’a confié également que son médecin a demandé également cette évacuation pour des traitements beaucoup plus appropriés ; il est tout à fait normal, même s’il est détenu il n’a pas perdu son droit à des soins de santé lorsqu’il a les moyens pour le faire. Je voudrais rappeler qu’on ne peut pas dire aujourd’hui que le fait qu’on l’évacue au CHU Sylvanus Olympio est un bon début. Parce que les dirigeants, tous les dirigeants togolais quand leurs enfants tombent malades, quand eux-mêmes tombent malades, ils préfèrent aller se faire soigner à l’étranger. Donc cela voudrait dire que tout le monde sait aujourd’hui que le mal dont souffre Kpatcha Gnassingbé depuis 5 ans, s’il n’arrive pas à guérir, cela voudrait dire tout simplement que l’environnement dans lequel il est soigné n’est pas approprié et que cela mérite nécessairement une évacuation sanitaire. Donc on ne peut pas le priver de ça. Même quand on pense qu’il est détenu, il a le droit de se soigner. Je crois qu’aujourd’hui tout prouve qu’on doit lui faire bénéficier de ce droit de se faire soigner par un médecin ou dans un centre de santé qu’il estime lui-même, le plus à même de lui apporter une guérison.
Mais concrètement, qui bloque la procédure d’évacuation de votre client?
Maintenant qu’est-ce qui bloque et pourquoi cette procédure n’a pas encore abouti, je ne saurai le dire, mais je sais que si aujourd’hui son frère qui est le Président de la République, Monsieur Faure Gnassingbé décide en tant que garant du bon fonctionnement des institutions de l’Etat, en tant que premier magistrat, en sa qualité de celui qui peut accorder la grâce présidentielle, en sa qualité de garant des droits et des libertés fondamentales des citoyens, s’il décide d’accorder la grâce à son petit frère pour qu’il aille se soigner à l’extérieur du pays, je crois que personne ne peut dire le contraire. Et donc je voudrais tout simplement ajouter que la prison ne doit être considérée comme un centre d’extermination, comme un lieu d’embastillement des adversaires politiques. Je voudrais ajouter que la prison n’est pas un centre de déshumanisation et que la prison a un objectif bien précis. Les vertus correctives et de réintégration sociale sont les objectifs poursuivis par la prison et donc on ne peut pas utiliser la prison pour l’instrumentaliser à des fins politiques.
Je crois que depuis cette affaire, la cour de justice de la CEDEAO a dit que Monsieur Kpatcha Gnassingbé et ses codétenus Abi Atti et le Capitaine Dontema ont fait l’objet d’un procès inéquitable. Le groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire a clairement demandé à l’Etat togolais de les libérer sans délai et donc aujourd’hui, par rapport à leur état de santé, il est clair que sur le plan politique, sur le plan juridique, dans la mesure où ils ont déjà fait la moitié de leur peine et au regard des décisions dont ils ont bénéficié donc sur le plan humain et humanitaire, il est clair qu’ils ne peuvent pas continuer à être emprisonnés et privés de leur droit notamment le droit de bénéficier des soins adéquats pour les cas de santé dont on connait que ne pouvant pas faire l’objet d’un bon traitement dans nos pays.
Est-ce que vous avez un appel particulier à lancer à l’endroit du Président togolais, Faure Gnassingbé au sujet de l’état de santé de son demi-frère?
Ah oui, si j’ai un appel ou un message particulier à l’endroit du Chef de l’Etat, le Président Faure Gnassingbé, par rapport à la santé de son petit frère, je dirai tout simplement comme l’archevêque anglican du cap, Monseigneur Desmond Tutu, qu’il n’y a pas d’avenir sans pardon. Vous savez, le 03 avril 2012, lorsque le Chef de l’Etat recevait le premier volume, du rapport de la Commission Vérité Justice et Réconciliation au Togo, il déclarait, « la réconciliation est un objectif et une espérance. Elle est à portée de main, mais elle exige de nous un effort individuel et collectif. La réconciliation exige également de nous une pratique vertueuse de la civilité débarrassée de toute arrière-pensée de vengeance ou de revanche. Elle doit se manifester à tout moment, disait-il, par des actes concrets de tolérance, de respect mutuel et de volonté pacifique de vivre ensemble dans la concorde et la paix ». Il poursuivait en disant ceci »le chemin est ardu et difficile, mais il demeure à notre avis la seule voie pour préserver l’unité nationale et consolider la cohésion sociale de notre pays. La réconciliation sincère des filles et des fils du Togo est seul gage de l’instauration d’une paix durable dans le cadre d’une société démocratique et prospère où il fait bon vivre ».
Donc je voudrais l’interpeller par rapport à ses propres mots pour qu’il puisse solder définitivement ce dossier qui a pollué l’atmosphère politique et qui continue de diviser sa propre famille politique et biologique. Je voudrais ensuite interpeller les Représentants des missions consulaires et diplomatiques accréditées au Togo et le gouvernement notamment le département du garde des sceaux, Ministre de la Justice et de son collègue des droits de l’homme et de la formation civique. je voudrais aussi interpeller toutes les instituions en charge des droits de l’homme comme la Commission Nationale des Droits de l’Homme, le médiateur de la République ainsi que toutes les organisations des droits de l’homme au Togo comme la Ligue Togolaise des Droits de l’Homme et son association mère la Fédération Internationale des ligues Droits de l’Homme et Amnesty International à prendre à bras le corps ce problème pour que définitivement soit soldé ce dossier pour que les détenus politiques et particulièrement et Monsieur Kpatcha Gnassingbé puissent bénéficier d’une évacuation sanitaire pour une prise en charge beaucoup plus adéquate.
Je voudrais terminer en disant qu’avant d’être père aujourd’hui, j’ai été enfant. Je sais ce que ça coûte à un enfant lorsque son papa est en détention. Ce que ça peut couter à un enfant lorsqu’il voit son papa dans un état de santé dégradé, mais il ne peut pas aller se faire soigner alors qu’il a la possibilité de le faire. Et je crois nécessairement que le Président de la République écoute ce coup de cœur qui est un appel à son endroit pour qu’il puisse poser cet acte de tolérance dont lui-même a parlé pour que le député Kpatcha Gnassingbé puisse se faire prodiguer des soins adéquats par rapport au mal dont il souffre aujourd’hui.
Source : Deutsche Welle
Interview transcrite par la Rédaction de Liberté
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Source : 27Avril.com