Suffit-il d’être un soldat pour tout se permettre dans les collectivités d’autrui ? A Amoussoukopé, plus précisément dans un village appelé Kodjié situé à 4 km vers l’ouest, la paix sociale est troublée par la volonté d’un homme, un sergent admis à la retraite et récemment rappelé pour participer à une mission de maintien de la paix hors du pays. Mais la hiérarchie militaire est-elle informée de l’agissement du sergent Eteh Epou Kokou ?
Il est mis en vente des centaines d’hectares à Amoussoukopé, mais en réalité des terrains qui ne seraient pas les propriétés du vendeur et ses frères utérins. Vendredi 9 octobre 2020, nous nous sommes rendus dans la localité pour chercher à comprendre.
« Mardi 6 octobre 2020, le sergent Eteh Epou Kokou aurait débarqué sur des terrains appartenant à la collectivité Sakpa avec trois autres militaires en arme, ensemble avec des civiles ; ils étaient venus avec trois voitures banalisées, mais le temps pour nous d’aller les rencontrer, ils étaient déjà repartis. Jeudi 9 octobre, j’étais à Lomé quand on m’apprend que le sergent Eteh Epou Kokou était à la brigade d’Amoussoukopé. Là-bas, il a nié avoir débarqué avec des militaires armés alors qu’un témoin occulaire les a bien vus. En réalité, on ne comprend pas ses agissements, puisque c’est leur mère qui est issue de notre famille. Et comme à tout le monde, elle avait eu sa part d’héritage sur laquelle vivent ses descendants dont Eteh Epou Kokou, Eteh Kopé aujourd’hui rebaptisé Elavagnon Kopé. Mais une fois leurs ascendants morts, ils ont commencé à semer du désordre au sein de la collectivité. C’est ainsi qu’il usurpe le nom du chef du village, Togbui Akoly pour procéder aux bornages des terrains d’autrui. Et je suis interpellé de toutes parts. Selon les dires de certains, le sergent aurait fait établir un plan d’un domaine de 1200 hectares leur appartenant et qu’ils auraient mis en vente via internet. Au sein de la famille, il y a un maire dont le sergent n’a jamais répondu aux invitations. Jeudi dernier, c’était à titre provisoire qu’il avait été libéré et qu’il devrait être à la disposition de la Gendarmerie », nous a ainsi résumé le chef du village de Kodjie Agotime, Togbui Akoli.
Nous avons joint au téléphone le témoin en question, un pasteur. Celui-ci a confirmé avoir bien vu quatre militaires portant des armes et entre 6 et 8 civiles, sur un domaine qu’il connait bien comme appartenant à la collectivité du chef du village d’Amoussoukopé.
Dans les explications d’un autre aîné de la collectivité Sakpa, ceux qui sèment les troubles sont bien issus d’une fille de leur grand-père, mais elle s’était mariée à un homme au Ghana et ce sont les descendants de cet homme qui troublent aujourd’hui la paix civile à Amoussoukopé et alentours. A différents endroits sur des terrains, des pancartes sont visibles, portant l’indication « Ordonnance n°7/2020 du 21 août 2020 rendu par le président du TPI d’Agou, Cessation de tous travaux, tel : 90989073, 90254693, 99607213, 92659845 ».
Curieux de comprendre l’origine de ces pancartes, nous nous sommes rendus au tribunal d’Agou. Le président dudit tribunal nous a reçus. De ses explications, il ressort qu’il aurait appris qu’un autre usage de son ordonnance en aurait été fait. Parce qu’il aurait aussi appris que la cessation de travaux aurait été implantée sur d’autres domaines. Mais s’agissant de ladite ordonnance, le juge a reconnu que l’affaire est pendante devant le tribunal d’instance à Agou.
Nous avons ensuite joint au téléphone Agbegnenou Yao Samuel, l’huissier qui, en temps normal, devrait se charger de poser les pancartes, mais qui, des dires de témoins, aurait laissé le soin au sergent Eteh Epou Kokou et autres de le faire. Il nous a fait la leçon et renvoyé auprès de la Chambre des huissiers. « On vous a dit que c’est un problème de la presse ? Moi aussi je suis huissier de justice ; qu’est-ce qu’on vous a expliqué ? Vous avez reçu une information, allez au tribunal, moi je suis un huissier de justice, je travaille et je ne fais pas de publicité sur mon travail, c’est interdit ; vous allez voir les parties », s’est-il emporté.
Nous avons essayé de lui expliquer que des pancartes sont implantées sur des terrains d’autrui. « Et c’est le travail des médias ? Je suis aussi des médias, j’ai été le responsable de radio Skyfm à Badou, donc allez au tribunal demander les informations, on vous les donnera. Moi je ne peux pas faire de publicité, je ne veux pas voir mon nom paraître, je fais un travail pour des justiciables et ils restent justiciables jusqu’à ce qu’ils gagnent leur procès», a vitupéré l’huissier avant de nous raccrocher au nez.
Etant donné que le sergent Eteh a été gardé à la brigade, nous sommes allés vers le Commandant de brigade d’Amoussoukopé. Après nous avoir reçus, il nous a demandé de l’attendre dehors, le temps de prendre les consignes auprès de sa hiérarchie. Ce qui fut fait. Mais une dizaine de minutes plus tard, lorsqu’il nous a fait rappeler, il nous a simplement expliqué que l’affaire est en cours et qu’il ne pourra pas en dire plus.
Eteh Epou Kokou est actuellement rappelé pour suivre une formation en vue de participer à une mission de maintien de la paix hors du Togo. Pendant ce temps, il abuse de son treillis pour s’imposer aux populations, en usurpant du nom du chef de son village.
Hier dimanche dans la matinée, nous avons été contactés par quelqu’un qui s’est présenté comme étant « le grand-frère du sergent » et qui travaillerait dans une clinique de renom à Lomé. A l’en croire, il aurait été missionné par le sergent Eteh Epou Kokou afin de faire publier un article dans la presse au sujet du chef du village. « Nous voulons publier le nom de notre chef sur les médias parce qu’il est en train de vendre nos terrains illicitement et ça ne nous plait pas ; on a tout fait sans pouvoir le déstabiliser (Togbui Akoli) et je voudrais vous rencontre pour qu’on puisse en discuter ; quand est-ce que je peux passer ». Nous lui avons promis de lui revenir. Mais après qu’il a raccroché, nous avons joint le chef Akoli dont il parle.
Togbui Akoli a réfuté les accusations dont parle « le frère du sergent Eteh Epou Kokou». « Les terrains vendus auxquels il fait allusion ne l’ont pas été durant mon mandat, mais bien celui de mon prédécesseur, il y a 20 ans. Mais c’était en présence de leur père qui avait participé aux bornages. Il y a un autre emplacement qu’ils réclament aujourd’hui et l’affaire est pendante devant la justice ; ce n’est pas non plus durant mon mandat. Ils cherchent à déposséder les acquéreurs. C’est leur mère est qui est Sakpa et ceux qui revendiquent aujourd’hui les terrains sont d’origine ghanéenne », explique le chef.
Le sergent admis à la retraite et rappelé pour une mission à l’extérieur partira-t-il sans s’expliquer sur ceux de ses camarades armés qu’il a fait venir sur les domaines d’autrui ? On veut croire que les responsables du CEOMP (Centre d’entrainement des opérations de maintien de la paix) tireront au clair cette affaire, pour la paix civile dans la localité. On ne le dira jamais assez, le Togo est assis sur une poudrière, celle du foncier.
En rappel, le CEOMP a pour vocation de servir de base nationale d’entraînement et de mise en condition opérationnelle pour les contingents militaires et de police appelés à servir dans des opérations de maintien de la paix.
Godson K.
Source : Liberté n°3251 du 12 octobre 2020
Source : 27Avril.com