Togo : Les non-dits de la visite de Robert Dussey au Quai d’Orsay

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Togo : Les non-dits de la visite de Robert Dussey au Quai d’Orsay

Le ministre des Affaires étrangères, de l’Intégration africaine et des Togolais de l’extérieur Robert Dussey était en France, du 23 au 24 juillet 2019 et a été reçu au Quai d’Orsay par son homologue français Jean-Yves Le Drian, le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères. On parle de visite de travail. Mais derrière cette motivation officielle, se cachent d’autres motivations. A en croire plusieurs sources, le « Monsieur diplomatie » du Togo était en fait en mission de démarchage d’une audience pour le « Prince » assoiffé de 4e mandat au pouvoir, dans la perspective de 2020. Et il l’annonce d’ores et déjà candidat…

Visite vraiment de travail ?

C’est en tout cas ce manteau dont on a couvert le séjour de Robert Dussey en France ces mardi 23 et mercredi 24 juillet. D’aucuns parleront de langage diplomatique ou de motivation générique pour camoufler certaines raisons.

« Jean-Yves Le Drian, ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, recevra aujourd’hui Robert Dussey, ministre des Affaires étrangères du Togo. L’entretien permettra au ministre d’évoquer avec Robert Dussey, négociateur en chef pour le Groupe des États d’Afrique, des Caraïbes et du Pacifique, les négociations autour du nouvel accord de Cotonou, pour l’après 2020, qui progressent et entrent dans une phase décisive. Les deux ministres évoqueront la coopération entre la France et le Togo sur des sujets d’intérêt commun comme la sécurité régionale. Jean-Yves Le Drian confirmera enfin le soutien que la France apporte au Togo dans les secteurs de l’éducation et de la formation professionnelle, de la santé et de l’aménagement urbain. Il rappellera la priorité mise sur l’appui à la jeunesse ». C’est en ces termes que le Quai d’Orsay annonçait sur son site et les réseaux sociaux la visite de Robert Dussey. Le communiqué final rendu public par les services du ministère togolais des Affaires étrangères fait cas de certains sujets annoncés au préalable. Au cours de leur entretien, les deux ministres auraient procédé à des échanges de vues sur des questions d’intérêt commun liées à la coopération bilatérale entre leurs deux pays et à leur collaboration sur des sujets régionaux et multilatéraux.

« Examinant les questions de développement, le Ministre Dussey a décliné les principaux axes du Plan National de Développement (PND) et les opportunités qu’il présente pour le secteur privé français, déjà très présent au Togo à travers une vingtaine d’entreprises, et dont les investissements et l’expertise sont très attendus (…) Sur le plan politique, le Ministre Le Drian a félicité le Togo pour les avancées considérables qu’il a enregistrées ces derniers mois en réalisant les réformes constitutionnelles et institutionnelles et en organisant de façon apaisée et consensuelle, les élections législatives du 20 décembre 2018 et les locales du 30 juin 2019 », relève le communiqué.

Il se rapporte aussi que le ministre togolais a « sollicité le soutien et l’accompagnement des villes françaises, qui ont déjà une expérience avérée, aux jeunes communes togolaises qui entament un nouvel apprentissage en matière de décentralisation et de gestion des collectivités locales. Il a aussi saisi l’occasion pour rassurer son homologue de la préparation inclusive des élections présidentielles de 2020 », entre autres sujets abordés.

Mais ça, c’est le prétexte officiel.

Démarchage d’audience pour Faure

Selon plusieurs sources concordantes, la visite de Robert Dussey au Quai d’Orsay a aussi vu « Monsieur diplomatie » togolais « mendier » une audience à l’Elysée pour son mandant de Lomé. Tout porte à croire que c’était d’ailleurs le vrai objectif de cette visite ditede travail. Il s’agit de faire recevoir Faure Gnassingbé par Emmanuel Macron. Faut-il le rappeler, c’est une seule fois que les deux hommes se sont parlé, pas au cours d’une visite officielle du « Prince » en France, mais en marge de la 73ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur le climat à New-York en septembre dernier.

Pour de nombreux observateurs, Yves Le Drian est l’homme idéal autour du Président français pour arranger cette éventuelle audience, car identifié un peu comme le « Monsieur Afrique » de Macron, l’homme des réseaux françafricains encore actifs malgré toutes les incantations de rupture. Il nous revient que le pouvoir de Lomé, comme dans ces genres de tractations, serait passé à plusieurs reprises par des émissaires et des cabinets de négoce spécialisés dans ce business et bien sûr rémunérés à grand frais, en vain. Robert Dussey a-t-il réussi cette mission ? Macron va-t-il enfin recevoir Faure ?

Dans le cas de l’affirmative, une réception du « Prince » togolais à l’Elysée romprait ce qui apparaît comme sa mise à l’écart volontaire par Emmanuel Macron et ses prédécesseurs, manifestement infréquentable à leurs yeux pour son allergie à la démocratie et à ses vertus connexes. Alors que certains présidents de l’Afrique de l’ouest ont des entrées faciles à l’Elysée, reçus à plusieurs reprises, Faure Gnassingbé, lui, est tenu éloigné, bien qu’il soit le doyen (sic) en termes de durée au pouvoir. Alassane Ouattara de la Côte d’Ivoire, Patrice Talon du Bénin, Roch Marc Kaboré du Burkina Faso, MackySall du Sénégal ont été déjà reçus par Macron. Même son statut de passager de Président de la Conférence des chefs d’Etat et de gouvernement de la CEDEAO ne lui a pas permis d’y parvenir.

Le Président français est à maintes reprises sorti du pré carré français en Afrique francophone pour recevoir des dirigeants de pays anglophones comme Nana Akufo-Addo du Ghana, MuhammaduBuhari du Nigeria, GeorgeWeah du Liberia. Tout paraît comme une volonté manifeste de tenir Faure Gnassingbé à bonne distance. On se rappelle ces propos d’Emmanuel Macron au sujet d’une éventuelle réception. On était en pleine crise politique au Togo marquée par des manifestations massives de contestation et la répression farouche des populations aux mains nues par la soldatesque et dans une dynamique de recherche de voies et moyens pour en sortir. Interpellé à son passage par un compatriote, en marge du sommet du G7 au Canada les 8 et 9 juin 2018, le Président français a rétorqué à son interlocuteur : « Est-ce que je l’ai reçu en voyage bilatéral ou est-ce que je m’y suis rendu ? ».

Au-delà de rompre une mise à l’écart manifeste, cette éventuelle réception de Faure Gnassingbé par Emmanuel Macron est, selon des sources, en lien avec 2020 qui point à l’horizon. Et tout est fait pour la rendre effective un peu avant l’élection présidentielle. Il s’agit pour le « Prince » de chercher des cautions à son dessein « démocraticide » de 4e mandat. « Les réformes adoptées lui ouvrent grandement les portes pour rempiler en 2020. Mais cela ne suffit pas, il lui faut des soutiens ou tout ce qui peut paraitre comme tel (…) Une audience à l’Elysée sera récupérée politiquement et présentée comme un adoubement de la France à son dessein», nous confie une bonne source. On se rappelle un scénario pareil, avant la présidentielle de 2015 où il fut négocié une audience à l’Elysée à l’époque de François Hollande. Le temps en tout cas nous situera…

Dans la foulée de cette visite, comme pour tout confirmer, Robert Dussey annonce son mentor candidat à une 4e pige en 2020. «Je ne vois pas comment il ne peut ne pas être candidat. Il doit être investi par le parti, mais je pense que le président a tout intérêt, vu le travail excellent qu’il est en train de faire, de continuer à la transformation politique, économique et social du Togo », a-t-il déclaré hier sur RFI.« L’Afrique » (ou plutôt le Togo) est vraiment « malade de ses intellectuels »…

Tino Kossi

Source : Liberté

27Avril.com