Togo: Le journaliste bagnard sous le règne du père et du fils

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Sous le père (Eyadéma Gnassingbé) en 1998 et le fils (Faure Gnassingbé) en 2024, Apollinaire Mewenemesse, Directeur de Publication de l’hebdomadaire « LA DEPECHE » va connaître la prison à cause de sa passion pour le journalisme.

Son ardeur à toujours servir à l’opinion des informations crédibles même si elles sont jugées trop sensibles, va le conduire au pilori pour des risques qu’il prend. Ce qui le conforte, c’est que durant ces embastillements dont il a été victime, il ne sera pas abandonné par des organisations de presse aussi bien nationales qu’internationales. La confraternité oblige.

Sans oublier les organisations de la société civile. La mobilisation a été mondiale pour exiger sa libération sans condition que ce soit le 15 octobre 1998 ou le 26 mars dernier.

Durant les 31 ans qu’Apollinaire Mewenemesse exerce son métier de Journalisme, les deux articles qui lui ont valu la prison concernent les Corps Habillés. Cela amène à penser qu’au Togo, tout sujet relatif à la « Grande Muette » est prohibé.

Des dossiers touchant les Corps Habillés, un tabou ?

En 1998, il y a eu une insécurité qui a secoué le Togo. Malgré le dynamisme et la détermination des différents corps de sécurité, cette atmosphère d’incertitude persistait. La situation qui prévalait va interpeler le Directeur de LA DEPECHE. Il va alors aller aux informations et va publier, dans son journal N°90 du jeudi 15 octobre 1998, un article titré : « Insécurité au Togo : Les dessous d’un fléau qui nous menace ». Dans un sous-titre intitulé : « Les origines de l’insécurité » de cet article, Apollinaire Mewenemesse écrivait : « Tout Togolais de bonne volonté peut convenir que l’insécurité que nous vivons aujourd’hui a débuté un 05 octobre 1990 avec la création des milices par des leaders des partis politiques de l’opposition. Les EKPEMOGS, véritable armée parallèle de l’opposition agissant à partir des caches d’armes entreposées dans certains quartiers de Lomé et à l’intérieur du pays. Il y eut ensuite la réaction des TONMOGS les milices constitués par le RPT. On se souvient aujourd’hui avec amertume la guerre à laquelle se sont livrés, EKPEMOGS et TONMOGS, dans les rues de Lomé les 26, 27 et 28 Novembre 1991 suite à la suspension du RPT. Les milices qui se permettaient tout, étaient gracieusement entretenues par les politiciens. Mais avec la normalisation progressive de la situation dans le pays à partir de 1993, les miliciens ont été abandonnés par leurs maîtres. Frustrés et désœuvrés, ils n’ont d’autres choix que de se livrer au grand banditisme à partir des caches d’armes qui jusqu’ici ne sont pas toutes démantelées par les forces de sécurité. »

Ce qui avait le plus fâché dans le dossier, c’est le sous-titre ci-après: « L’insécurité causée par certains éléments de forces de sécurité » où le Directeur de publication de LA DEPECHE écrivait : « Ce n’est pas une simple spéculation d’un journaliste d’affirmer que certains actes crapuleux commis dans la capitale et à l’intérieur du pays sont causés par quelques agents de sécurité. En effet, selon nos enquêtes, des malfrats pris en flagrant délit ont été identifiés comme appartenant à certains corps de sécurité : police, gendarmerie et même des FAT. Un officier de la police lui avait confié qu’« à chaque enquête suite à un cambriolage, on constate que l’acte a été commis par un ou des professionnels. Même des débris d’arme abandonnés sur le lieu des crimes appartiennent parfois à l’armée, à la police ou à la gendarmerie » ! Le témoignage de cet officier a révélé qu’un voleur rattrapé par la population après un rapt commis sur un Zémédjan a été formellement identifié comme un agent de la sécurité. L’arme retrouvée sur lui était bel et bien une arme appartenant à l’armée togolaise.

Si le Directeur de publication de l’hebdomadaire LA DEPECHE s’était intéressé à ce dossier, c’est qu’il croyait bien faire en informant et en alertant l’opinion afin que les autorités d’alors puissent prendre des mesures nécessaires pour venir à bout de cette situation d’insécurité qui prévalait. Il ne savait pas que cela allait lui attirer des ennuis et des foudres du gal 05 étoiles et sa Cour. Mais le temps lui donnera raison.

C’est ainsi que le 06 juin 1999 à Pya et le 12 juin 1999 à Lomé, le président Eyadéma lui présentera ses excuses en ces termes lors d’une audience exclusive : «Nous sommes des militaires, quand il y a quelque chose, nous agissons d’abord avant de chercher à comprendre ce qui s’est passé» et d’ajouter : «Si nous écoutions des gens pour agir, il n’y aurait personnes que nous allons gouverner». Parole de sage.

Apporter son éclairage sur un sujet préoccupant, un péché?

Sous Faure Gnassingbé, la garde à vue d’Apollinaire Mewenemesse le 26 mars dernier a fait grand bruit tout comme celui sous son géniteur.

Après 15 jours de détention, le Directeur de l’hebdomadaire LA DEPECHE va sortir de la détention le 09 avril 2024, mais placé sous contrôle judiciaire. Son journal, faut-il le rappelé, a été suspendu, le 04 mars 2024 pour 3 mois par la Haute Autorité de l’Audiovisuel et de la Communication (HAAC). Vu que des Togolais ont lu cet article et que cela a également circulé abondamment sur les réseaux sociaux, plus besoin ici de réveiller à nouveau la colère des gens en revenant sur le contenu quand le processus judiciaire suit son court. Que ce soit d’octobre à décembre 1998 ou du 26 mars au 09 avril 2024, les deux arrestations de notre DP ont entrainé des réactions.

Une mobilisation mondiale pour sa libération

On ne le dira pas assez ! L’arrestation et l’emprisonnement du journaliste Apollinaire Mewenemesse a fait un véritable tollé. L’information a été relayée aussi bien par les médias nationaux qu’internationaux. Elle a également fait couler beaucoup d’encre et de salive sur les réseaux sociaux. Aux Etats-Unis, en Europe et même en Asie, notamment en Inde, il y a eu des réactions sur cette arrestation jugée inopportune.

Pour les uns et les autres, il est anormal que le doyen de la presse togolaise (71 ans) qui n’a fait que son travail de journaliste soit embastillé et privé de sa liberté. La mobilisation des organisations de presse ainsi que celles de défenseurs des Droits de l’Homme : le Comité pour la Protection des Journalistes (CPJ) basé à Washington, Reporters Sans Frontière, le Patronat de la Presse Togolaise (PPT), Amnesty International, entre autres pour exiger la libération du Directeur de publication de l’hebdomadaire LA DEPECHE a été impressionnante. Cela montre l’importance qu’accorde le monde au droit d’informer et le droit d’être informé. Longue vie aux organisations de presse et celles de défenseurs des Droits de l’Homme pour une presse libre !

Tous les records battus

Ce qui frappe dans les manèges de notre Directeur de Publication, c’est d’être celui qui a battu tous les records Guiness:

– Premier record : il a été embastillé sous le règne du père et celui du fils. C’est rare pour être signalé.
– Second record : il a été puni pour la même faute deux fois pour le dernier article incriminé. La suspension de trois mois par la HAAC au pénal en cours pour le dernier article.

Comme quoi, le journalisme est un métier à haut risque dans notre pays.

Merci à ces organisations qui ont payé nos frais d’avocat. Nous avons une pensée toute particulière à des personnes et organisations qui nous ont accompagné dans cette galère. Il s’agit de Me KPANDE ADZARE, avocat au barreau de Paris, et de M Atchollé d’ASVITTO.

Nous n’oublions pas Me Atsoo Darius qui a accepté de nous défendre dans un dossier signalé fort sensible. Par son expertise, il a pu convaincre le juge chargé du dossier de nous libérer. Tant soit-il provisoire.

Mais le grand merci va à Reporter Sans Frontière (RSF) et au CPJ qui se sont repartis la tâche de payer les frais de notre avocat. Nous leur en sommes reconnaissants. Nous n’oublions pas la CNDH, Amnesty International section du Togo dont le passage à la BRI a permis d’assouplir les conditions de notre détention.

Un coucou pour les media français : Mediapart, Le Monde Afrique, RFI, France 24 et bien d’autres encore sur les 05 continents. Le journalisme est périlleux et particulièrement au Togo.

Mais, il n’existe pas un métier aussi passionnant et noble.

Mawu & MEWE

La Dépêche N°1186 du 05 Juin 2024

Source : 27Avril.com