Jusqu’à présent, aucun chiffre ne venait corroborer ceux qui circulaient sur les réseaux sociaux ou dans les rues du Togo sur les pertes possibles des entreprises travaillant dans le pays.
Depuis ce week-end, ils sont officiels : sur 912 entreprises interrogées (fin 2017), 71,93 % déclarent enregistrer une baisse de leur chiffre d’affaires de 25 à 50 % au second semestre 2017. 82,77 % des dirigeants de société affirment que ce recul est lié aux tensions politiques. 74,34 % des chefs d’entreprise questionnés par les enquêteurs assurent faire face à une situation financière précaire. Lancée fin novembre 2017, son objectif était clair : « les résultats de cette enquête nous permettront de mesurer l’impact du climat socio-politique. Nous savons déjà ce que la crise a occasionné. Les données recueillies permettront d’adapter notre stratégie et d’accompagner les opérateurs économiques », expliquait alors Germain Meba, le président de la CCIT.
Une situation économique alarmante
« Je suis très stressé et je dors mal. » Ces mots sont ceux de Germain Meba, PDG de la société d’informatique Cib-Inta et président de la Chambre de commerce et d’industrie du Togo (CCIT). Surtout, cette prise de parole est inédite venant d’un des hommes les plus influents et proches du pouvoir. Mais, huit mois après le début de la crise socio-politique qui mine le pays, l’homme a décidé de lancer cette enquête d’impact pour tirer la sonnette d’alarme.
« On nous répète que le secteur privé est le moteur du développement. En nous mettant dans cette situation, est-ce la meilleure façon de créer de l’emploi et de lutter contre la pauvreté ? La question est posée à l’opposition comme au pouvoir », a déclaré Germain Meba, cité par le portail Republicoftogo.
La nouvelle crise politique qui secoue le pays depuis août dernier intervient alors que le Togo a entrepris de transformer sa position stratégique en Afrique de l’Ouest pour devenir un hub pour le transport maritime et aéroportuaire en misant sur les atouts du port autonome de Lomé (PAL), seul port naturellement en eau profonde dans la sous-région, et son aéroport qui a été modernisé avec des financements chinois.
Le gouvernement s’est aussi lancé dans un vaste chantier de réformes en vue d’améliorer le climat des affaires. Le nombre d’entreprises créées au premier trimestre 2017 a d’ailleurs bondi de 13,6 % en glissement annuel, selon des statistiques du Centre de formalités des entreprises (CFE). Des mesures largement saluées par le Fonds monétaire international, récemment en mission au Togo dans le cadre du programme soutenu par une facilité élargie de crédit (FEC) approuvé en mai 2017. Toutefois, l’institution internationale fait le même constat que la Chambre de commerce et d’industrie : « L’activité économique a connu un ralentissement au deuxième semestre de 2017 suite aux troubles socio-politiques. En conséquence, le taux de croissance de l’économie est estimé à 4,4 % en 2017, contre 5,1 % en 2016. L’inflation est restée modérée, se situant à – 0,4 % en glissement annuel à fin février 2018. »
Et le FMI d’en arriver pratiquement aux mêmes conclusions : les tensions socio-politiques font peser un risque sur les perspectives de croissance économique avec un impact négatif sur l’économie réelle et les recettes fiscales. La croissance économique devrait être légèrement inférieure à 5 % en 2018.
Cependant, la mission indique qu’à long terme les investissements réalisés au cours des dernières années pour la modernisation des infrastructures publiques devraient stimuler la productivité et susciter un attrait marqué de l’investissement privé.
Des décisions attendues sur le front politique
Dans tous les cas, la prise de parole de Germain Meba arrive à point nommé puisque, sur le front politique, l es chefs d’État de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest étaient réunis samedi 14 avril à Lomé. Ils se sont aussi exprimés pour que les réformes constitutionnelles puissent avoir lieu dans le respect « des normes et principes de la démocratie et de l’État de droit ».
Dans un communiqué rendu public à l’issue de ce sommet extraordinaire, la Cedeao a désigné les présidents Nana Akufo-Addo du Ghana et Alpha Condé de la Guinée en qualité de « facilitateurs » et les a « encouragés » à « intensifier leurs efforts pour aider le gouvernement et les acteurs politiques togolais » dans la réalisation de ces réformes.
Les chefs d’État ouest-africains ont demandé à la commission de la Cedeao de « prendre toutes les dispositions pour apporter son appui aux présidents ghanéen et guinéen et de proposer des recommandations qui seront soumises au prochain sommet ».
Par ailleurs, ils invitent « instamment tous les partis politiques et la société civile togolaise » à « s’abstenir de tout acte de violence et de tout agissement susceptible de constituer une menace à la paix et à la stabilité du Togo et de la région ».
Depuis septembre, des milliers de Togolais descendent à l’appel de la coalition de l’opposition dans les rues pour demander l’application de la Constitution de 1992, qui implique une limitation à deux du nombre de mandats présidentiels.
Les négociations engagées depuis le 19 février pour tenter de mettre fin à sept mois de grave crise politique et sociale avaient été interrompues après trois séances de discussion.
Bien que le gouvernement ait répondu à certaines demandes de l’opposition – notamment la libération d’une partie des personnes arrêtées pendant les manifestations -, les pourparlers s’enlisent sur la question du « retour à la Constitution de 1992 », qui concerne la candidature de Faure Gnassingbé en 2020. Faure Gnassingbé en est aujourd’hui à son troisième mandat, ayant été réélu lors de scrutins contestés par l’opposition, en 2010 et en 2015.
Cette semaine, la coalition a décidé de reprendre ses marches, manifestations interdites par les autorités. Depuis mercredi, tous les points de rassemblement de l’opposition sont bouclés par des forces de l’ordre. Des heurts ont été enregistrés mercredi entre manifestants et forces de l’ordre dans certains quartiers de Lomé et à l’intérieur du pays, notamment à Kpalimé (à environ 120 km au nord de Lomé), où les manifestations ont été fortement réprimées.
Ce samedi, des leaders de la coalition ont affirmé avoir été séquestrés alors qu’ils tenaient une réunion à leur siège à Lomé. Des jeunes ont brûlé de pneus dans certains quartiers de Lomé, fiefs de l’opposition.
Une situation de crispation qui fait dire à Germain Meba que personne « ne pourra gouverner un pays avec un secteur privé en difficulté et dont l’économie est à terre ».
Source : Le Point Afrique
27Avril.com