Le samedi 1er août dernier, un groupuscule d’individus se réclamant de l’association «Les sentinelles du peuple» ont paradé certains grands artères de la capitale. Armés d’armes blanches, ces derniers clamaient empêcher toute sorte de violence qui découleraient de la manifestation à laquelle à appelé la Dynamique Mgr Kpodzro. Un acte qui ramène une fois encore la question du vivre ensemble et de la paix sociale au Togo.
La République des hors la loi…
Chasser le naturel, il revient au galop. A l’une de leur descente violente sur le terrain, à Adewi en 2018, l’ancien ministre Christophe Tchaou avait vite fait de prendre leur défense. «Ce sont nos jeunes. Ils se sont constitués en cellules de veille pour défendre leur quartier», disait-il en substance. La suite, on la connait. Coupe-coupes, haches, cordelettes…une violence inouïe avait été orchestrée impunément sur les populations. Mais avant, en pleine crise sociopolitique de 2017, ces hors la loi, ont agi de façon plus organisée et structurée. «Il s’agit des groupe s d’autodéfense», dira pour sa part, le Chef de l’Etat, dans une interview fleuve accordée à Jeune Afrique. Bienvenue donc dans la République des hors la loi !
Formalisée et reconnue telle par l’autorité, notamment le ministère de l’Administration territoriale, de la décentralisation et des collectivités territoriales avec qui ils collaborent étroitement par courriers interposés, cette bande de togolais «entièrement à part» ont, dès lors, carte blanche et agissent en roue libre.
Nouvelle descente sur le terrain
La manifestation à laquelle a appelé, le samedi 1er août dernier, la Dynamique Mgr Kpodzro a fait refaire surface cette association qui a tout d’une milice. Armés d’armes blanches, ces jeunes dont certains habillés en t-shirt Unir (Ndlr: le parti au pouvoir) se sont regroupés à différents endroits de la capitale pour passer à tabac tout manifestant qui descendrait dans les rues. Mais cette fois, ces individus visiblement dressés contre leurs concitoyens n’ont pu trouver du grain à moudre. Que dire? Des bêtes à abattre, les togolais pourtant décidés mais n’ont pu sortir comme prévu, pour nombre de contraintes, si ce ne sont que quelques uns de la préfecture de Yoto qui, malgré l’adversité et la répression, ont pu manifester et crier leur ras-le-bol.
…Avec l’onction de l’autorité
Bien avant cette scène d’une gravité extrême, force était de constater que cette association avait, par courrier, interpellé au préalable, le ministre Payadowa Boukpessi sur l’existence légale ou non de la Dynamique Mgr Kpodzro. Une interpellation à laquelle a répondu le ministre avec une célérité inédite. Une première au Togo où une association mène une telle démarche au sujet du statut d’un regroupement politique. Ce qui n’a jamais été le cas lorsqu’il s’agissait des autres regroupements politiques déjà existants comme le Frac, le Cst, Arc-en-ciel et Cap 2015.
Indignation et dénonciation
Une légèreté du ministre Boukpessi qu’ont déjà dénoncé une certaine presse et certains acteurs visiblement offusqués parce que s’apparentent à une politique de deux poids deux mesures qu’institutionnalise le pouvoir Unir.
Déplorant «une justice à double vitesse», par rapport à des centaines, voire des milliers d’associations qui attendent, depuis des années déjà, l’octroi de leur récépissé, tout le contraire pour celle-ci créée juste en 2018, Kangni André Afanou n’y est pas allé du dos de la cuillère. «Non, ce n’est pas dans cet État que nous voulons vivre. Ce n’est pas de cette paix que les togolais veulent!», s’indigne le défenseur des droits humains. Et de poursuivre sur une note d’exhortation. «Aidez-moi à demander à nos gouvernants de prendre leur responsabilité. Et de cesser d’accorder une grande prime à l’impunité avec une justice à deux vitesses».
Abondant dans le même sens, Gerry Taama, Président du parti politique Nouvel engagement togolais (Net) est sans ambages: «Je dénonce avec la dernière énergie, ces pratiques !». Pour ce dernier, «l’ordre public doit être une chasse gardée des forces de défense». Par conséquent, «les milices sont une menace inacceptable pour notre vivre ensemble, dans une République réconciliée avec son peuple. Et l’ancien Saint-Cyrien de conclure qu’ «aucune complaisance ne devrait exister, et la loi doit s’appliquer avec la même énergie dans tous les cas, autant pour les manifestations interdites que pour les regroupements sur la voie publique avec les armes blanches…».
L’institutionnalisation de la bavure…
À l’analyse de la situation, il se dégage un triste constat, celui de l’institutionnalisation de la bavure, de la violence et de l’impunité. Du phagocytage de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) à celui de la Cour conditionnelle et son président louangeur de Faure Gnassingbé, tout y est pour attester, sans ambages, une démocratie à sens unique au Togo. Mieux, une sorte de retour inquiétant au parti État, comme nous l’avons déjà relevé dans l’une de nos précédentes parutions.
À l’arrivée, c’est à ne point douter, une dérive de gouvernance très risquée, essentiellement nourrie par l’obsession dogmatique de confiscation du pouvoir. Ceci, par l’instrumentalisation, à la fois des institutions de la République, que par des citoyens triés sur le volet sur la base des considérations géopolitiques et ethnocentriques, qu’on dresse contre leur concitoyens. Du surfing sur une pente très glissante qui frôle le seuil de l’intolérable quand on a une idée de la genèse du génocide rwandais qui était également parti sur les mêmes prémices avec des conséquences dramatiques pour ce pays et sur de longues années.
Démission de l’État
Ce laisser-aller est d’autant plus inacceptable que ces scènes se passent très souvent sous les regards admiratifs et protecteurs des forces de Défense et de sécurité qui, des hommes de terrain aux hauts gradés n’ont guère manifesté leur indignation. Ce qui laisse transparaître une certaine complicité et cabale contre la paix sociale, l’union et la solidarité, des valeurs que clame tant promouvoir le pouvoir de Lomé.
Autrement, Lomé devrait déjà réprimer, avec la dernière rigueur, ces actes de barbaries et d’atrocités de tout genre sur les populations, même, jusque dans leurs maisons, comme en 2017 et 2018. Période d’instabilité sociopolitique où ces miliciens, en pickups mis à leur disposition, agissaient à visage découvert et clamaient s’engager à sauvegarder les acquis de Faure Gnassingbé. Ce qui constitue une démission de l’État à qui revient régulièrement cette prérogative. Cette caution de l’État à ces hors la loi constitue, en soi, une jurisprudence, une véritable menace à la paix sociale et au vivre ensemble chèrement préservé jusqu’à ce jour.
Source : Fraternité No.364 du 05 août 2020 [fraternitenews .info]
Source : 27Avril.com