Togo-Joseph Koffigoh : « Nous avons raté beaucoup d’occasions où l’alternance pouvait se faire »

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Il est un homme politique togolais, un militant des droits de l’homme des premières heures, un poète et a été élu Premier ministre du Togo en 1991 par la Conférence Nationale Souveraine. Du 27 août 1991 au 23 avril 1994, en tant que Premier ministre, il s’est vu confier les pleins pouvoirs exécutifs et a été chargé de superviser la transition vers des élections multipartites. Plus tard, il a été ministre des affaires étrangères de 1998 à 2000 et ministre de l’intégration régionale, chargé des relations avec le Parlement, de 2000 à 2002. Dans cette interview accordée à Think Tank Academy, Maître Joseph Koffigoh, puisqu’il s’agit de lui, revient sur les évènements du 05 octobre 1990 qui ont bouleversé la vie sociopolitique du Togo jusqu’à ce jour.

Think Tank Academy : De la LTDH, à la Primature en passant par la Conférence nationale souveraine, vous étiez jeune, mais un acteur clé du réveil populaire du 05 octobre 1990. Que pouvez-vous nous dire des dessous de cette affaire qui a bouleversé la vie sociale, politique et économique tout entière du Togo, dans les années 90 ?

Maître Joseph Koffigoh : Apparemment l’affaire du 5 octobre est un coup de tonnerre dans un ciel serein. En réalité seul le pouvoir ignorait ou feignait d’ignorer l’ampleur des mécontentements. Les gens en avaient marre du système de parti unique et aspiraient au changement. Il n’existait aucune structure pour exprimer une opinion divergente de celle du parti-état. L’arrestation et le procès des jeunes distributeurs de tracts comme Logo Dossouvi a été la goutte qui fit déborder le vase. Le 5 octobre apparut ainsi comme l’étincelle qui déclencha le feu du changement.

Que représente pour vous le 5 Octobre 1990 ?

Le 5 octobre 1990 est le point de départ du mouvement démocratique au Togo. C’est à cette date que s’est manifestée la prise de conscience du peuple et surtout des jeunes qu’il était possible d’obtenir le changement démocratique au Togo.

D’aucuns qualifient le 05 octobre et tout ce qui s’en est suivi d’échec. Êtes-vous du même avis ? Si non, le 05 Octobre 1990 a-t-il vraiment permis au Togo de faire des avancées, du moins sur le plan politique ?

Les évènements du 5 octobre ont eu un impact formidable sur la vie sociopolitique au Togo. L’ordre des avocats dont j’étais le Bâtonnier en a profité pour, aux termes d’une assemblée générale extraordinaire, lancer un appel pathétique pour l’avènement de l’état de droit par le biais du pluralisme politique. D’autres mouvements sociaux qui ont suivi le 5 octobre ont poussé le pouvoir en 1991 à lâcher du lest et donc à dialoguer avec l’opposition interne regroupée au sein du Front des Associations pour le Renouveau (Far). Des résultats concrets sont issues de ce dialogue, notamment une loi d’amnistie générale en faveur des détenus des condamnés et des exilés politiques, une Charte des partis politiques (toujours en vigueur), la tenue d’un Forum National de Dialogue qui deviendra la Conférence Nationale Souveraine. Dès lors je pose la question ? Peut-on parler d’échec ?

Ne pensez-vous pas que ces avancées ne sont en fait que du maquillage politique ? Sinon, pourquoi sommes-nous toujours là, depuis 30 ans à parler d’alternance politique ?

Je vous ai donné des résultats concrets. N’oubliez pas qu’avant 91, certains leaders que nous avons vu rentrer d’exil étaient « condamnés à mort par contumace ». Au moins ceux-là et leurs familles ne peuvent pas parler de maquillage.

Par ailleurs la lutte démocratique a ouvert de larges espaces d’expression des libertés publiques. Foisonnement de partis politiques, d’organes indépendants de presse écrite, audiovisuelle et en ligne, etc.

Quant à l’alternance politique, c’est la seule critique qui est évidemment pertinente. Mais il faut avouer que nous avons raté beaucoup d’occasion où l’alternance pouvait se faire. Mais les acteurs du changement nourrissaient trop de haine et de jalousie les uns envers les autres. Beaucoup préféraient le statu quo que de voir un des leurs accéder au pouvoir. Cela fait partie malheureusement de notre histoire. Alors adieu l’alternance ? Assurément pas. Car comme disait feu Edem Kodjo, « laissons le temps au temps ».

Excellence, certains vous accusent d’avoir fait échouer la transition issue de la conférence nationale souveraine. Avec un peu de recul,  avez-vous vous-même, des choses à vous reprocher ou des regrets par rapport à des actes manqués ?

Il faut mesurer les résultats de la transition par rapport à ses objectifs. Il s’agissait de créer les meilleurs conditions pour que les togolais puissent choisir librement leurs dirigeants et représentants. Malgré les nombreux obstacles (coups de force militaire, grève générale illimités, etc) j’ai pu doter le pays d’une Constitution moderne, organisé des présidentielles, et enfin les législatives gagnées par l’opposition (Car/Utd) avant de quitter la primature pour l’Assemblée Nationale. Le boycott de la présidentielle par l’opposition a ouvert un boulevard de reconquête du pouvoir par le Général Eyadema. Vous devez savoir que le candidat Edem Kodjo était favori. Moi j’étais prêt à valider sa victoire si le COD2 n’avait retiré sa candidature à son insu, alors qu’il battait campagne à Atakpamé. Ceci étant l’opposition qui a gagné les législatives n’a pas pu s’entendre pour gouverner et “verrouiller le pouvoir”. Vous comprenez pourquoi j’estime avoir personnellement accompli proprement mon devoir.

S’il vous est donné de nouveau d’être le leader sur qui devrait compter le peuple togolais. Quelles sont les orientations que vous donneriez à la lutte, pour  permettre au Togo d’atteindre le rêve de nos pères de l’indépendance (faire du Togo, « l’or de l’humanité ») ?

Les temps que nous vivons sont différents de ceux des années 90. Beaucoup de résultats sont acquis en termes de libertés publiques. Les peuples et les états sont confrontés à de nouveaux défis: défis sécuritaires, défis technologiques, défis de l’éthique et de la bonne gouvernance. Plus évidemment les éternels défis sociaux tels que l’éducation et la santé et la pauvreté lancinante.

La nouvelle génération doit pouvoir trouver les ressources spirituelles et intellectuelles pour mener une lutte constructive et relever ces défis.

Source : Think Tank Academy

Source : icilome.com