« Ils l’ont tué pour exclure les jeunes sur la scène politique. Par son assassinat, la résignation et la collaboration au mal sont devenus une valeur pour la jeunesse togolaise. Qu’est ce que nous empêche de revenir sur le champ politique ? Tavio doit renaître par notre engagement pour la renaissance de notre société. EKOU ( la mort ), est une graine vitale qui germe de nouveau » – Fovi Katakou
« Ceux qui ont donné leur vie pour que vive le Togo ont droit à la reconnaissance de la Terre de nos Aïeux » – Godwin Tété
Descendu de Paris sur Lomé (Togo) le 23 mai 1991, pour prendre part à la préparation et à la tenue de notre inoubliable Conférence Nationale Souveraine(CNS) : 08 juillet – 28 août de cette même année, je rencontrai, dès le lendemain, un jeune concitoyen communément appelé Tavio. Oui ! Les panthères de la même forêt finissent toujours par se rencontrer, et, lorsqu’elles se rencontrent, elles se reconnaissent vite et s’apprécient mutuellement… À vrai dire, par sa vivacité d’esprit, sa précoce maturité, son amour de notre commune Patrie, Tavio comprit immédiatement que j’étais un aîné de son bord… existentiel. Il s’attacha à moi sans tarder. Je lui rendis la même monnaie sans hésitation aucune.
Voilà pourquoi, ce 23 juillet 2012, vingt ans jour pour jour après qu’une diabolique mitraillette le frappa mortellement ; ce jour où, ironie du sort, je jette un véritable pavé dans la mare de tout ce que j’ai déjà publié sur les crimes multiformes de l’oligarchie gnassingbéenne, mon esprit s’envole vers Tavio. Alors, je me fais le devoir de le présenter quelque peu aux nouvelles générations togolaises.
Tavio Tobias Ayao Amorin appartient à la nombreuse progéniture de notre Fofo feu Carlos Amorin, très bien connu des Loméens de son temps. Notre jeune combattant de la liberté… est le seul garçon et benjamin de trois filles de sa mère Adolé Goeh-Akwé . Raison pour laquelle son assassinat aura terriblement traumatisé cette maman.
Pour tous ceux qui ont eu le privilège de côtoyer Tavio , il n’y a nul doute que ce garçon déluré était une étoile montante, une fierté pour le Togo. Notoirement intelligent et chaleureux, il fut concepteur et premier secrétaire général du PSP ( Parti Socialiste Panafricain ), membre du Haut Conseil de la République [Parlement (togolais) de transition] dont il était président… de la Commission des lois, secrétaire général du COD II ( Collectif des Organisations Démocratiques ), membre fondateur et animateur du M05 (Mouvement patriotique de la jeunesse togolaise). Mais le Togo n’abrite pas seulement des gens qui chérissent le bon, le beau, l’excellence. Non ! Le Togo, hélas, abrite aussi des amoureux de la bassesse, de la médiocrité, voire de la barbarie. Et ce sont ces derniers qui auront mitraillé Tavio à la tombée de la nuit le 23 juillet 1992, dans une rue de Lomé. Tavio rendra l’âme le 29 du même mois à Paris.
Pour raconter les circonstances exactes de cet ignoble forfait, je prie le lecteur de bien vouloir souffrir que j’emprunte purement et simplement la plume de notre compatriote et journaliste Tètè Gaëtan Tété.
« Le jeudi 23 juillet 1992, il est près de 21 heures à Tokoin-Gbonvié , banlieue proche de la capitale. Deux gardiens de la paix en civil : Yodolou Boukpessi et Kossi Karéwé , tapis dans l’ombre, attendent. À la vue de Tavio Amorin qui sort de chez l’une de ses tantes, le policier Kossi Karéwé vide à bout portant le chargeur de son pistolet-mitrailleur sur le leader du Parti Socialiste Panafricain (PSP). Le criminel s’enfuit laissant ses armes sur le trottoir ainsi que sa carte d’identité professionnelle. Pour une fois l’acte est signé. Involontairement. Tavio Amorin grièvement blessé est transporté au CHU de Tokoin avant d’être évacué le lendemain sur Paris. Mais entre l’hôpital de Lomé et celui de Paris, son corps et sa tête ont été lardés de coups de couteau par une main mystérieuse. Il décède à Paris des suites de ses blessures, le 29 juillet 1992.»
Un hebdomadaire de la place écrira : « Tavio, lié à Gilchrist par un même destin, a pris comme son aîné la route de Paris sur une civière à bord d’un avion médicalisé français. Drôle de France ! À défaut de pouvoir (ou de vouloir) aider Lomé 1 à mettre K.O. le dictateur, elle se rachète en sauvant la vie aux victimes du monstre » .
Comme de nombreux démocrates opposants à la dictature de Gnassingbé Eyadéma et du RPT, Tavio Amorin figurait sur la liste noire des militaires. Tavio Amorin avait tout juste 34 ans . Ingénieur informaticien de formation, il a fait ses études universitaires en France notamment.
On le disait extrémiste. Dans une mémorable « Lettre ouverte à Étienne Éyadéma », il concluait en ces termes : «Votre maintien nous est pénible. Nous avons mal au Togo. Mais puisque vous y êtes, tentez de jouer le rôle qui vous est dévolu. Ou dans un sursaut d’orgueil, de dignité et dans l’intérêt supérieur de la nation, DÉMISSIONNEZ !» Pourtant, il était contre la condamnation à mort d’un homme : « Quel que soit l’homme ! », clamait-il.
Des années après la mort de Tavio, ses assassins, connus des services de police, courent toujours. Le sous-brigadier Yodolou Boukpessi aurait été l’organisateur de la grève des policiers.
« Après son forfait, le gardien de la paix Karéwé se réfugie » à Lomé 2. Puis, il sera convoyé en lieu sûr parmi les siens à Pya.
«L’attentat a eu lieu le 23 juillet. Tavio est mort le 29 juillet à Paris. Le 1 septembre 1992, Boukpessi est parti toucher son chèque de fin de mois à la BTCI de Kara, alors qu’au Conseil des ministres extraordinaire du 24 juillet, le Conseil avait donné l’ordre de suspendre les émoluments de Boukpessi et Karéwé, en attenant la fin de l’enquête.»
Dès le décès de Tavio Amorin, des messages de compassion affluent à la Télévision togolaise. Celui du Parti Socialiste Français retient l’attention. Les socialistes français exigent que toute la lumière soit faite sur cet attentat et « demandent au gouvernement français de renforcer son soutien au gouvernement de la Transition »
À l’annonce – un début de soirée – de la mort de Tavio Ayao Tobias Amorin qui s’était très vite attaché à ma chétive personne, et à qui je rendais volontiers la politesse, comme à véritable frère cadet, annonce qui sans cesse hantait mon âme, je fus subitement pris d’un terrible trouble gastrique… qui allait durer toute cette nuit-là . Oui ! Rares sont les décès qui m’ont affligé comme celui de notre immortel Tavio.
Selon le témoin oculaire Mme Phanie Wilson, bien que mortellement mitraillé à bout portant , noyé dans un océan de douleur, la langue comme clouée, incapable d’articuler le moindre vocable, Tavio Ayao Amorin eut encore la force de l’âme pour marteler, avec son avant-bras droit et le signe du V de l’index et du majeur, la nécessité pour le peuple togolais de continuer sa lutte salvatrice jusqu’à la victoire finale. ( Une graine vitale ne meurt jamais. )
Il m’arrive, de temps à autre, de méditer sur le meurtre de Tavio Tobias Ayao Amorin. Alors :
Primo , je prétends que la signature de cet assassinat n’est pas du tout « involontaire ». Il s’agissait de frapper la jeunesse togolaise en la personne de Tavio qui symbolisait si bien cette jeunesse. Il s’agissait de terroriser l’imaginaire de cette dernière dans le but de la réduire au silence et à l’inaction . En effet, il venait de sortir, ce soir-là, d’une réunion du COD II dont il était secrétaire général. À ce poste, il avait été élu à l’unanimité par tous les partis composant le COD II. Sans doute, par sa fraîcheur juvénile, par la vivacité de son esprit, par sa maturité politique précoce, Tavio Ayao Amorin était tôt devenu une figure emblématique de la jeunesse de chez nous. Et, pour ma part, c’est en cela que réside la particularité de la terreur « éyadémayenne ».
Secundo , si l’on ne peut pas lutter politiquement avec un garçon qui a à peine soufflé ses trente-trois bougies, mais qui s’intéresse à la politique ; si, pour combattre un tel garçon, on ne trouve que la suppression physique, alors je me demande quelle valeur humaine accorder à certains dirigeants africains post-coloniaux…
Last but not least, le jour où le peuple de Lomé enterrait Tavio Tobias Ayao Amorin, dans la tristesse et la dignité, ce jeudi 20 août 1992, Gnassingbé Éyadéma, lui, recevait à Pya… l’homme d’affaires et politique Moshood K. Abiola et son épouse. Vraisemblablement dans des effluves de champagne…
Mais, comme tous ceux qui sont morts pour la Patrie, Tavio Tobias Ayao Amorin n’est pas mort pour rien ! Cette affirmation nous est démontrée, si cela était encore nécessaire, par les développements actuels eux-mêmes… de la scène sociopolitique de notre pays. Oui ! Paraphrasant le héros national chilien Salvador Allende , tel un prophète, Tavio déclara crânement devant l’auguste aréopage de notre Conférence Nationale Souveraine sus-mentionnée : « Il y a ceux qui croient anéantir le rêve en tuant celui qui fait rêver ! »
Peuple togolais ! Combattants togolais de la Liberté ! Par notre Foi, notre
Courage, nos Sacrifices, faisons Renaître notre Nation !
Godwin Tété
Paris
23 juillet 2012
27Avril.com