« La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent ». Dans L’Homme révolté, Albert Camus s’insurge contre l’attitude absurde de ceux qui ne mesurent pas toute l’étendue de leur charge et qui jouent avec leur propre destin par la mollesse de leur esprit et la faiblesse de leurs choix. C’est pourquoi toute conscience incapable d’évaluer la proportion de son devoir, la tragédie qu’elle vit et la responsabilité entière que sa situation lui impose se permet un drame absolu en ce que la saine connaissance de sa propre histoire ne peut impliquer l’économie de la grandeur avec laquelle elle apporte des réponses. La première réaction responsable de ceux qui vivent le supplice du chagrin par des manques cruels, c’est l’acceptation de tous les sacrifices en vue de leur libération du sort qui leur est imposé. La puissance de transcendance est le primat de l’engagement libérateur.
Le sursaut du peuple du Togo qui tient à l’alternance politique et au changement est dans le serment réaffirmé qui demande aux forces véritablement démocratiques de s’unir. L’aval populaire et déferlant qui porte l’unité d’action contre le clan GNASSINGBE doit être compris comme l’aboutissement d’une expression qui surpasse les leaders politiques qui n’en sont que des porte-voix.
Par conséquent, la Renaissance du combat démocratique pour l’alternance politique au Togo vient de la conscience collective. Nos concitoyens d’ici et d’ailleurs, à travers le globe, jouent leur partition sans s’user par le temps, l’effort, les sacrifices, parce que pour sortir du calvaire de la dictature cinquantenaire, aucune économie de l’engagement n’est envisageable.
La foi dans le combat patriotique, éthique, moral est si gigantesque que les Togolais restent stoïques face à la répression fauve, aux passages à tabac, aux représailles sauvages, à la mort, à l’exil, aux blessures béantes, aux violations crues des droits humains. Cette réalité des affres du combat politique au Togo ne peut être ignorée par nos leaders combattants. Elle doit plutôt constituer l’ancre d’une motivation supplémentaire pour la cohérence de leurs actes, la noblesse de leur esprit, la force de leur unité.
Comment en ces moments d’effervescence de la volonté populaire pour la solidarité politique, nos leaders peuvent-ils encore faire triompher leurs caprices, leurs intérêts étriqués, leur préséance creuse ?
Une confiance qui se divise ne s’apparente-t-elle pas à une trahison, à une petitesse face à l’enjeu qu’on porte ?
Comment soigner les blessures de la déception et réhabiliter la foi populaire dans le combat pour lequel ce peuple frémit ?
1) Les leçons d’une chute de confiance
Le lit à la servitude est ce que refusent les Togolais. Leurs investissements pour l’Etat de droit, la démocratie, la transparence de la gouvernance et l’alternance politique pour revêtir la République d’un nouveau souffle au bonheur partagé ne souffrent d’aucun soupçon de légèreté.
En revanche, l’absence de résultats dans ce combat pour le changement véritable de la gouvernance relève des soubresauts et des choix étriqués des leaders politiques insuffisamment engagés pour transcender les clivages, les petites querelles de personne, leur chapelle politique, l’avidité du gain, la préséance du positionnement des partis, les intérêts particuliers. Les écueils qui affleurent sur le front du combat de libération de notre pays viennent aussi de nos leaders. La grandeur d’âme d’un vrai leader est dans sa motivation à sacrifier ses envies, son autonomie, ses désirs, ses ambitions personnelles pour se mettre au service de la collectivité.
La dictature locale cinquantenaire ne peut être déracinée que par le tranchant d’une mobilisation solidaire et profondément patriotique. La rage massive d’un peuple est une puissance qui met en éveil les leaders face à leur responsabilité. Les états de faiblesse à travers des pertes d’objectifs, l’inconséquence des choix détournés, le temps aux commérages constituent le venin mortel de la lutte populaire.
Nous avons si longtemps fait chanceler notre lutte pour la faire choir dans le grand désarroi de notre peuple, parce que des leaders de l’Opposition ont cru devoir s’octroyer des privilèges excentriques sans aucun emboîtement avec le clairon strident de nos populations. La résistance nationale contre la dictature dynastique a été ruinée par l’absence de transcendance de ceux qui, longtemps, faisaient office de porte-voix de notre peuple.
L’initiative d’un nouvel engagement populaire pour la libération du Togo est prise par le PNP sous l’insistance renouvelée de la masse populaire qui réclamait l’unité d’action de l’Opposition. A contrario, le PNP à lui tout seul ne parviendra jamais à déboulonner le clan GNASSINGBE et aucun parti en singleton dans l’action ne réussira l’exploit d’un « dégagement » de l’ordre ancien.
Par ses caprices et ses singularités, le PNP répand la contagion d’une désolidarisation à l’intérieur de ce beau brassage de l’Opposition et les fissures de l’unité commencent à heurter la conscience nationale.
Nous n’avons plus le temps aux piètres exhibitions, aux bouffonneries politiques, aux petits calculs de positionnements, aux étiquettes régulières qui font craqueler les objectifs et les fondamentaux de la confiance retrouvée.
Aujourd’hui, il ne s’agit que de notre souverain peuple et il faut le défendre dans ses aspirations, dans ses réclamations ferventes et légitimes sans remorquer les anciens démons qui ont balancé dans le gouffre du désespoir tant de sacrifices de nos concitoyens. Tous les leaders politiques doivent intégrer dans leur représentation mentale, psychique que les Togolais n’ont que faire des noms et des positions peu louables de nos hommes qui formulent le projet de régence de la République. Ce que le peuple exige de nos leaders, c’est de tenir les objectifs populaires dans l’efficacité de l’action. Nous avions déjà assisté à la lapidation publique de celui qui se croyait maître à penser de l’opposition et maître de ses choix politiques.
Les infortunes saillantes de GilchristOlympio doivent donner une grande inspiration à ceux qui se croient des dieux de notre mouvement frontal avec la dynastie Gnassingbé. Personne ne doit oublier dans l’opposition que le soleil des leaders, c’est le peuple du Togo. Ils ont tous l’obligation de se conformer aux réclamations urgentes et nécessaires que formulent nos concitoyens. Ils doivent s’astreindre à la ligne du rassemblement, parce que le dépérissement de la lutte peut retourner le peuple contre les torpilleurs de l’action solidaire. Les cœurs des Togolais donnent sans compter pour l’alternance politique. Il est inconcevable d’abîmer la foi de toute une République et se tirer à bons comptes d’un nouvel horizon guillotiné, saboté. Les gages de l’action unitaire sont à prouver par tous et le temps du rachat est désormais à la faveur des bergers égarés. Ils doivent comprendre ce qu’écrivait Robert Mallet, dans Apostillles : « Ce n’est pas l’impossible qui désespère le plus, mais le possible non atteint ».
2) Discipline du groupe : thérapie de l’unité
Le principe sacro-saint de l’évolution d’un parti politique, d’un rassemblement de partis politiques ou d’une association, quelle qu’elle soit, s’appelle la discipline du groupe dont le contenu se décline en un compromis stratégique avec les idéaux clairs et une éthique de respect des décisions du groupe. Il ne faut pas surtout voir dans la discipline du groupe une « philosophie-mouton » qui consiste à suivre une marche imposée. Les décisions du groupe passent par une délibération, et une fois qu’elles sont adaptées, la solidarité impérative se construit autour des choix majoritaires.
Le rassemblement politique à l’intelligence du débat pour un quorum d’adhésion aux résolutions prises par le groupe. Les dissensions qui affleurent du débat permettent l’ajustement des situations pour une approche consensuelle. Les particularismes et les replis de salon susceptibles de compromettre l’intérêt du groupe sont volontairement tus pour donner une chance d’étanchéiste à l’unité d’action. Le centre d’intérêt des partis fédérés ne peut souffrir d’éclatement par des actes isolés qui portent de sérieux coups aux attentes de la collectivité.
Ce à quoi nous assistons aujourd’hui au sein de la C14, où la dissonance répétitive abaisse la notoriété des acteurs, est une défaillance intolérable de l’unité d’action. La confiance nationale s’érode, s’amenuise à mesure que la cacophonie s’installe à l’intérieur de la Coalition. Le doute inhibe l’adversité collective contre les bourreaux de la République. La dispersion de l’énergie sur le chapitre de la préséance politique affaiblit la C14 et l’engagement de nos concitoyens.
Nous savons tous ce que nous voulons pour notre pays et la spontanéité de notre conscience à adhérer à la perspective d’alternance et du changement ne supporte guère le gribouillis politique de la C14 en guerre de clans. L’histoire ne peut pas se répéter pour incliner notre lutte sur les dissensions inutiles de nos leaders. Au regard de l’ampleur de notre lutte, de son extraterritorialité et du travail qu’abattent les Togolais partout où ils se trouvent pour l’aurore démocratique plus franche et plus prometteuse, l’esprit de division nous met dans une rage de protestation et de blâme.
Le principe de réalité de notre insurrection patriotique exige de nous du sérieux. Pourquoi nous déconcentrer sur nos objectifs quand nous sommes bien assistés par des partenaires fiables pour une transparence électorale ?
Comment ne pas faire le serment de respect des vies brisées dans cette lutte ? Notre rectitude ensemble dans l’unité ne nous confère-t-elle pas une noblesse, une fierté, une dignité ?
La nouvelle monture du combat démocratique dans notre pays doit imbriquer la discipline du groupe si nous voulons avancer avec l’assurance de le gagner. Les mauvais génies qui n’ont que d’exhibition à nous servir élèvent notre déception et ne nous rendent aucun service. Nous ne voulons plus voir l’opposition produire du superflu. Elle doit se départir à tout prix des susceptibilités singulières, parce que la tâche qui nous attend nous interdit la dispersion de nos énergies fédérées. A nous la République ! Nous devons être plus grands pour la mériter.
Source : L’Alternative No.740 du 02 octobre 2018
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