Togo, Grand reportage : Voyage au cœur du Camp de Réfugiés Togolais au Ghana

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La répression militaire en cours au Togo contre les manifestants hostiles au régime de Faure Gnassingbé a pris des proportions plus effroyables dans certaines villes du pays. Mango, ville située à 592 km de Lomé, a été le théâtre les 20 et 21 septembre 2017 d’une des pires expéditions punitives. Face à cette situation, plusieurs centaines d’habitants ont préféré tout laisser derrière et prendre le chemin de l’exil. La plupart  ont trouvé refuge chez leurs frères (Tchokossi) de l’autre côté de la frontière au Ghana et d’autres ont afflué vers le Bénin.  Nous sommes allés à la rencontre du plus grand groupe de réfugiés togolais à Chereponi (Nord-Ghana).

Togo, Grand reportage : Voyage au cœur du Camp de Réfugiés Togolais au Ghana

Pourquoi ces citoyens ont-ils quitté leur « Mango natal » et comment ont-ils pu traverser la frontière pour se retrouver là où ils vivent aujourd’hui? Comment perçoivent-ils leur nouvelle vie de réfugiés ? Comptent-ils retourner au pays ? Lecture.

Carnet d’un voyage inédit !

Par nature, j’aime les challenges, les aventures, bref toutes sortes de défis. Jeune journaliste-reporter que je suis devenu, mon crédo est resté l’amour du terrain. Cette passion qui m’anime quotidiennement, me pousse parfois à réaliser des reportages inédits. Mais si j’avais su que celui-ci serait si périlleux, peut-être que j’aurais choisi de rester chez moi et faire le choix du journalisme-whatsapp… Bon, je voulais coûte que coûte être le premier journaliste togolais à me rendre au camp de refugiés togolais ayant principalement fui Mango pour le Ghana. Cette aventure est si marquante qu’elle mérite d’être racontée.

Pour cette nouvelle aventure, je ne pouvais pas rêver mieux. J’avais un contact direct parmi les réfugiés. Je n’ai donc pas hésité à l’activer. Aussitôt, nous avions commencé à étudier les pistes possibles pour effectuer ce voyage. Possible que je passe par Accra pour monter au nord du pays jusqu’à Chereponi. Mais là, il me faudrait au moins trois à quatre jours de route. Tout sauf ça ! La meilleure option est d’aller au nord-Togo puis de trouver un moyen de traverser la frontière. Oui, c’etait la seule issue que j’avais, à défaut de disposer d’un jet privé « gracieusement offert par ma Rédaction »… Tout compte fait, je devrais descendre à Mango avant de prendre la route pour le camp des réfugiés à travers des voies détournées, les frontières étant hermétiquement bouclées par les militaires togolais.

Après un premier ajournement du voyage, il a finalement eu lieu le mardi 10 octobre 2017. La nuit a été courte pour moi. J’étais l’un des premiers à me pointer à la gare pour prendre le bus. Même là, il y avait toujours des doutes dans ma tête. Je savais pertinemment que ce ne serait pas une partie de plaisir. Mais j’ai continué à discuter avec mon contact qui m’a confié à un conducteur de taxi-moto dont j’ignorais tout. « Il est encore possible d’annuler ce voyage ! ». Mon esprit était pris en otage par ce message qui tournait sans cesse dans ma tête. Tout compte fait, je suis arrivé à Mango vers 18 heures… il faisait peu à peu sombre.

Là, je découvris une ville morte, ville sans âmes. Je ne m’attendais pas à autre chose, bien sûr. Les militaires et autres agents des forces de l’ordre qui patrouillaient, étaient relativement plus nombreux que les populations civiles. Toutes proportions gardées, les quelques lampadaires de la ville n’éclairaient que les treillis « sombres » et les bottes des militaires.  Mais le Zémidjan qui devrait me récupérer aussi tardait à venir. « Aujourd’hui, c’est aujourd’hui », dit-on dans mon Bas-Mono natal.

Malgré une apparence plus ou moins rassurante, mon cœur battait la chamade. C’est alors que surgit le monsieur qui devrait m’emmener au Ghana. « J’étais obligé de me mettre à l’abri quelque part puisque je suis activement recherché par les militaires », me dit-il après les salutations d’usage. C’est là que j’ai su à qui j’avais véritablement affaire. Il m’a rassuré par rapport au trajet. « N’aie pas peur, on va y aller par la grâce de Dieu », ajouta-t-il.

Effectivement, nous avons besoin de la protection du Créateur du ciel et de la terre. Nous avons parcouru à moto plus de 60 km, traversant brousse, rizière et rivière en pleine nuit. Bon an mal an, nous étions arrivés sains et saufs au camp  des réfugiés et il a fallu attendre le lendemain pour faire les formalités administratives avant de commencer le reportage proprement dit.

Un choix difficile

Tout a commencé le 20 septembre 2017, avec des altercations entre militants d’UNIR qui avaient improvisé une manifestation publique pour « provoquer » ceux de l’opposition qui ont répondu au mot d’ordre de la coalition des forces démocratiques. Au lieu de s’interposer  entre les deux camps pour ramener la paix et la quiétude, les forces de l’ordre ont préféré prendre parti pour  le camp au pouvoir. La suite a été dramatique. Au moins quatre morts dont le petit Yacoubou de 9 ans. « Nous avons subi plusieurs exactions à Mango par le passé, surtout dans le problème de faune, mais je n’ai jamais pris le chemin de l’exil. Mais cette fois-ci, ce que j’ai vu, à mon âge (52 ans), je ne pouvais pas supporter. J’étais parmi les organisateurs de la marche. Nous nous préparions pour la mobilisation quand tout a pris feu en ville. Après qu’il y a eu une accalmie, les militaires ont entamé une expédition punitive avec des arrestations arbitraires, des poursuites tous azimuts. Ils ont brûlé les commerces des gens et commis des crimes inouïs. Et face à la cruauté avec laquelle on martyrisait les jeunes, je n’avais d’autre choix que de fuir Mango pour le Ghana », raconte M.N. (Ce sont les initiales de ses nom et prénom), qui se décrit comme étant un nationaliste patriote.

Ils sont désormais près de 500 Togolais à vivre dans le camp de réfugiés de Chereponi. Un « vieux» local affecté par les autorités ghanéennes abrite la plupart d’entre eux. Quelques-uns ont heureusement de la famille dans cette ville où vivent essentiellement des Tchokossi (ethnie qu’on retrouve également à Mango). Ils sont arrivés là par divers moyens. Certains ont traversé le fleuve Oti ou ont passé les frontières avant leur fermeture alors que d’autres se sont retrouvés à Lomé avant de rallier ce camp via Accra. C’était un véritable parcours du combattant pour les uns et les autres. D’autres ont passé des jours en brousse. Sans nourriture, sans assistance. C’était un calvaire sans précédent pour eux. Les serpents ont mordu certains parmi eux et n’eût été la vertu thérapeutique de certaines plantes, ils n allaient pas atteindre  la « terre promise ». « Nous avons fait plus de 100 km à pied avant d’atteindre le camp de Chereponi. D’autres ont préféré trouver refuge ailleurs. Nous sommes vraiment inquiets pour eux », confie un autre refugié.

La vie de réfugiés

Le premier groupe arrivé à Chereponi a très vite eu l’assistance des responsables administratifs ghanéens. Hébergement, nourriture, accoutrement, etc. Tout a été pris en charge. Certains refugiés se disent d’ailleurs surpris de cet accueil. « Nous sommes arrivés ici les mains vides et tout malheureux. Mais nous avons été surpris par l’hospitalité de nos frères ghanéens et surtout des premières autorités de ce pays qui ont déployé dès notre arrivée la logistique nécessaire pour prendre soin de nous. Ils nous assistent tous les jours. Nous nous sentons comme chez nous », estime Aboubakar, refugié.

Le quotidien des  refugiés ne se résume seulement qu’à des réunions et  concertations pour plancher sur la date de leur retour au bercail. Certains se lèvent tôt le matin et se lancent dans la recherche de petits jobs, histoire de subvenir à certains de leurs besoins élémentaires.

Issaka Roufaye, la trentaine, est également refugié à Chereponi. Lui, il ne vit pas dans le local aménagé par les autorités. Il a une partie de sa famille qui se trouve dans cette ville.  Tous les matins, il prend la moto de son frère pour faire le Zémidjan (taxi-moto). « C’est le seul moyen pour moi d’aider un peu la famille car je suis arrivé bredouille ici », affirme-t-il.

Les difficultés rencontrées au fil du temps sont soumises aux autorités qui ne tardent pas à y trouver des solutions. Naturellement, les bourreaux passent par tous les moyens pour infiltrer le groupe. Cette situation a failli tourner au cauchemar pour un « élément de la 5ème colonne » arrêté après que les autres du groupe ont découvert le pot-aux-roses. Ce dernier a d’ailleurs frôlé le lynchage. «  Nous sommes ici sur le qui-vive. Nous avons laissé derrière nous nos familles qui continuent à subir les atrocités de ce régime moribond. Nous avons les yeux rouges, et pour rien au monde, nous n’accepterions pas que des individus pour des intérêts inavoués nous sabotent. Il a eu de la chance ! Mais actuellement, il est dans les mains de la police de la localité. On nous persécute chez nous. Nous avons fui, et on ne nous lâche pas. C’est malheureux et nous ne savons pas ce que nous avons fait à Mango pour mériter tout ça. Mais nous sommes sûrs que nous nous approchons de la fin  », ajoute-t-il avec un regard refermé traversé par quelques traits de larmes.

Les autorités ghanéennes avec lesquelles nous avons pu échanger ont réaffirmé leur engagement à accompagner leurs « frères » dans la mesure du possible.

L’état d’esprit

« On n’est toujours mieux que chez soi. Malgré tout ce qui nous est réservé ici, nous aurions préféré rester chez nous et continuer la lutte. Ici, nous ne pouvons pas lutter efficacement. Nous voulons bien rentrer chez nous. Mais il faut aussi vivre avant de continuer la lutte. Si nous rentrons chez nous, avec peu de chance, on va se retrouver en prison, mais au pire des cas  nous irons directement rejoindre nos ancêtres de l’autre côté. Nous échangeons entre nous, nous discutons, et le moment venu, vous aurez de nos nouvelles ».  Cette affirmation d’un autre réfugié résume l’état d’esprit qui prévaut au sein du camp de  Chereponi. Certains sont pour un retour immédiat pour poursuivre la résistance alors que d’autres optent pour le « chrono ». Mais ils sont unanimes à dénoncer les atrocités et exactions qui se poursuivent à Mango.

La crainte de représailles  sur les autres personnes restées au pays reste vivace dans les esprits. « Ce qui se passe actuellement à Mango, dépasse le fait d’avoir participé à une marche ou non. C’est un véritable problème de haine. Les militants d’UNIR avec des miliciens prêtent mains fortes aux bérets rouges pour nous exterminer. C’est un véritable crime contre l’humanité qui se joue actuellement à Mango. Les militaires tiraient à balles réelles sur les gens. Ils font la ronde autour de nos maisons et terrorisent nos proches. Nous avons peur pour eux », déplore Alassane.

Pour certains réfugiés, leur malheur provient de certains cadres du milieu. Ils ont nommément cité Natchaba Fambaré à qui ils ont d’ailleurs dédié une chanson dans laquelle ils l’accusent vertement. Certains pointent directement du doigt Faure Gnassingbé qui aurait organisé une réunion pour acter l’expédition punitive contre la population de l’Oti.

En outre, les réfugiés se sentent également plus ou moins délaissés par les forces démocratiques et convient leurs compatriotes à poursuivre la lutte jusqu’à la victoire finale.  Néanmoins une délégation d’un parti politique est allée les réconforter ainsi qu’une organisation  de la société civile.

Les réfugiés, en attendant de regagner leurs domiciles, profitent  pour le moment de l’air démocratique ghanéen. «  C’est  vraiment triste qu’à quelques kilomètres de chez nous, il y ait une véritable démocratie, alors que nous, nous continuons de ployer sous la dictature. Espérons que c’est l’ultime sacrifice que nous consentons pour que nous retournions dans la démocratie », souhaite un refugié.

Le contraste est saisissant. Au bout d’une cinquantaine de kilomètres, on retrouve un même peuple, mais vivant des réalités différentes. Certains Ghanéens rencontrés n’ont pas manqué de vanter les mérites de la démocratie. « N’y a-t-il qu’une seule famille chez vous au Togo ? », m’a demandé un instituteur.  La mort dans l’âme, je ne savais quoi lui dire. L’air de la démocratie est bon à respirer. Les populations de Chereponi, majoritairement paysannes, étaient fières de leur quotidien.

Le reportage terminé, il faut revenir à Lomé. A quelques minutes de mon départ, je me suis rappelé tout le calvaire que j’ai vécu en arrivant. J’ai même demandé à mes contacts sur place s’il n’y avait pas d’autres routes plus praticables. Non, m’ont-ils répondu. Les frontières sont fermées. Déjà j’ai pris le soin d’effacer les images et vidéos de la carte mémoire de mon appareil photo, puisque je me suis rendu à Chereponi  « en clando », et si je me faisais prendre par les militaires togolais, ma mission serait nulle. Je repris mon courage à deux mains.  Mon sac au dos, je remonte sur la moto pour le trajet retour. Ainsi a-t-on refait à l’envers le difficile parcours. Seule bonne note, c’est en pleine journée. Dieu merci, je suis bien rentré chez moi aux environs de 2h du matin, avec l’espoir d’un dénouement rapide de cette crise pour que ces centaines de compatriotes retrouvent leurs familles.

Shalom Ametokpo, de retour de Chereponi (Nord-Ghana)

Source : Liberté No.2537 du 16 octobre 2017

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