Le Togo est un pays essentiellement agricole. Dans les cinq régions économiques qui le composent, l’agriculture reste l’activité principale. Elle occupe d’ailleurs 60% de la population active (selon les chiffres de la CCIT) et contribue de manière significative au PIB du Togo.
Mais, au-delà de l’agriculture, le commerce est sans doute l’activité qui occupe une part importante dans le tertiaire. Il se pratique généralement dans les marchés sur l’ensemble du territoire national. Les grands marchés de Lomé, de Vogan, de Bassar sont parmi tant d’autres de référence. Mais au-delà des marchés, des villes tout entières s’identifient à travers les activités commerciales qui s’y déroulent. C’est bien évidemment le cas de Cinkassé où le commerce est l’activité principale avec diverses ramifications.
Dernière ville au Nord du Togo à la frontière du Burkina Faso de par sa situation géographique, la particularité de cette localité vient du fait que la majorité des produits vendus transitent par la contrebande. De ces activités, Cinkassé a vu naitre des multi millionnaires qui ont fait fortune dans le commerce. Malheureusement, l’Etat semble délaisser cette agglomération pourtant comparée à Dubaï.
Cinkassé, la ville de la contrebande
Cinkassé, tout d’abord se retrouve de part et d’autre de la frontière Togo-Burkina Faso. Naturellement, c’est la partie togolaise qui est au cœur de notre reportage. Il est situé à environ 38 km de Dapaong, dans la région des Savanes et à 657 km de Lomé. Mais, il convient de souligner que la frontière n’est qu’une barrière physique qui sépare les deux populations qui sont en réalité un même peuple au point que certaines personnes ont de la famille des deux côtés. Cette ville s’est développée principalement à l’aide de la contrebande.
Il y a quelques années, Cinkassé n’était qu’un petit village qui a progressivement subi des mutations. Tout d’abord, il était devenu sous préfecture avant d’être transformé en une préfecture avec près de 12.000 habitants. Le marché traditionnel de la ville s’anime tous les jeudis et dimanches. Mais, cette localité ne connaît pas de jour de repos.
Depuis des lustres, la plupart des jeunes vivaient de la contrebande. Avant l’éclosion des motos dans la région, les « contrebandiers » faisaient nuitamment le transport des marchandises à l’aide des charrues poussées par des ânes. « On peut dire que tout ce qui se vend à Cinkassé, vient de la contrebande. Comme la frontière avec le Burkina est poreuse, les jeunes s’organisent la nuit pour faire passer les marchandises qu’ils revendent à leurs clients de l’autre côté. Ce business bien que risqué leur rapporte un peu de gains. Maintenant avec l’avènement des motos ou tricycles, les marchandises passent par ces mêmes canaux pour leurs diverses destinations.
Les gens font même la contrebande des motos. Il y a des jeunes qui quittent ici pour aller jusqu’au Mali, en Côte-d’Ivoire, au Ghana, au Bénin, au Niger à moto pour revendre d’autres motos qu’ils remorquent sur les leurs. Ils y transportent les caisses et une fois dans ces pays, montent les motos qu’ils revendent. S’ils arrivent à faire ces trajets durant un ou deux ans, ces jeunes se retrouvent avec une fortune et deviennent de grands commerçants. On peut d’ailleurs dire que tous les grands commerçants de Cinkassé sont passés par là pour devenir aujourd’hui ce qu’ils sont », raconte Albert, commerçant dans la localité.
Quel rôle jouent alors les services publics notamment la douane et le service des impôts ? Comme il n ya pas de corrupteurs sans corrompus, les douaniers se sont greffés au système. Sur les axes non officiels qui servent pour les transits des marchandises, les forces de l’ordre en mission servent de guide pour les contrebandiers. En échange, ces derniers assurent leur passage de quelques billets. Ce business illicite s’est institutionnalisé par le temps et les militaires, gendarmes et policiers contournent ainsi les douaniers pour se faire de petits gains. « Chacun y trouve son compte. On ferme les yeux dessus et ça marche. C’est pour cela que Cinkassé est une ville qui bouge énormément», raconte un militaire sous le sceau de l’anonymat.
Comme évoqué un peu plus haut, le marché traditionnel de Cinkassé s’anime les jeudis et dimanches. Ces deux jours sont presque vénérés par les populations. Mais, quand on parle de commerce dans cette ville, on se réfère tout de suite à la vente de motos, bien qu’on y retrouve pratiquement tout. C’est une ville où les institutions publiques et bancaires travaillent même les dimanches. Il n’y a pas de jours de repos dans cette agglomération du fait du commerce. Il faut aussi noter que la majorité des marchandises sont destinées à l’extérieur.
Une ville abandonnée
En dehors de tout, Cinkassé reste une ville délaissée par l’Etat. Cette préfecture tout entière ne dispose pas de système d’adduction en eau potable. Il n’y a que des forages privés qui alimentent la population. « L’eau c’est la vie dit-on. Mais il est impensable que l’Etat ne puisse pas nous offrir ce liquide vital. Nous souffrons énormément de cette situation car on peut trouver un forage pour dix maisons. Parfois on se retrouve privé de l’eau durant des jours. C’est triste !», s’indigne un habitant de la localité.
Sur le plan de l’accès à des soins de santé, les populations de Cinkassé doivent leur « salut » au CHR Dapaong qui n’arrive hélas pas à couvrir tous les besoins. De ce fait, la majorité des nantis de cette localité vont se soigner au Ghana voisin puisqu’ils ont souscrit à leur assurance maladie qui est abordable. « Le Ghana dispose des structures sanitaires modernes et les coûts sont moindres. C’est pour cela que les gens préfèrent s’y rendre pour leurs soins. Comme le Cédis ghanéen est accepté à Cinkassé, cela leur facilite la tâche », souligne Kolani, vendeur de moto dans la localité.
En dehors de la route principale qui mène au Burkina Faso, la plupart des voies sont impraticables, surtout en saison pluvieuse. De Natinga à Samango, en passant par Gbatmanou à Kparbiaga 1 et 2 qui sont les principaux quartiers de la localité, la circulation intra-urbaine demeure un véritable calvaire. L’école primaire publique de la localité que nous avons visitée se trouve dans un état de déconfiture totale. Les bâtiments sont presque décoiffés et l’enceinte laisse à désirer.
L’administration se trouvait jusqu’à un passé récent dans les mains du chef de la localité. « On l’appelle le tout puissant Nayango Abdoulaye dit nababougou c’est-à-dire chef-feu. Comme en pays Mossi, le chef est respecté et vénéré comme il faut. Il a été tout pour Cinkassé. Ce qu’il a négocié pour la localité est significatif. Quand Cinkassé était sous-préfecture, c’est lui qui gérait tout. La délégation spéciale vient de Dapaong pour contrôler la ville et repartir. Le marché se trouve dans ses mains car c’est lui qui l’a érigé. Il est un peu souffrant actuellement mais il reste influent dans la ville. C’est un mythe vivant », estime un habitant de la localité.
La pauvreté, les vices…..
En dehors des grands commerçants qui ont vu leurs affaires fleurir au fils des années à Cinkassé, la majorité des habitants croupit sous le poids d’une misère indicible. Le bas peuple arrive difficilement à joindre les deux bouts. « L’Etat n’a pas de structures pour recruter les jeunes ici. Ce qui fait que dès le bas âge, les parents initient leurs enfants aux activités commerciales. S’ils réussissent, ceux-ci deviennent des gens prospères », indique Albert.
Cinkassé n’est pas épargné par les vices qu’on retrouve habituellement dans les villes frontalières. La prostitution est au premier rang. Cette localité dispose de plusieurs maisons closes où se pratique « cette activité ». Les conducteurs de Titans et les étrangers sont les principaux clients des filles qui s’y s’adonnent. La criminalité s’est aussi accentuée ces derniers moments. « Avec l’établissement de la police municipale du côté burkinabè, les voyous ont déserté l’autre côté pour se retrouver chez nous. On enregistre des braquages de toutes sortes, des assassinats et bien d’autres mauvaises choses. Il faut renforcer la sécurité ici », darde Yemdoubé.
Cinkassé est un pôle commercial devenu incontournable dans l’économie togolaise bien que la plupart des produits transitent par la contrebande, ce qui échappe au circuit normal. L’idéal serait de faire de cette localité une ville commerciale avec des structures qui doivent faciliter les activités aux commerçants. Le dynamisme et l’ambiance qui y règnent font que certains n’hésitent pas à la comparer à Dubaï, une « Dubaï » ignorée par les autorités. Hélas!
Source : Shalom Ametokpo, Liberté No.2400 du 20 Mars 2017
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