Togo, Grand reportage : Au cœur de la folie répressive de la soldatesque les 7 et 8 septembre à Lomé…

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Les 6 et 7 septembre 2017, plus d’un million de Togolais (selon les organisateurs) sont descendus dans les rues (à Lomé) pour manifester leur rejet du régime cinquantenaire RPT-UNIR. 

Si la marée humaine qui a déferlé dans les rues de la capitale n’a pas été réprimée au  Jour-1 de la mobilisation populaire, ce n’est pas le cas au Jour-2, où la soldatesque a été sans pitié pour les manifestants qui campaient sur la voie du  carrefour Déckon jusqu’à la Colombe de la paix.  Le scénario a été identique. Tirs de grenades lacrymogènes et de balles en caoutchouc, matraquage du côté des forces de l’ordre, appuyées cette fois-ci par des miliciens, et réplique des manifestants avec des barricades et des jets de pierres. La particularité de ce nouveau feuilleton de violence est qu’il a commencé dans la nuit profonde (aux environs de 22 heures). Le lendemain, c’est-à-dire vendredi 8 septembre, les populations de Bè et ses environs, comme d’habitude, ont vécu un véritable chemin de croix. Des gendarmes et des militaires armés de gourdins cloutés et de bâtons, mené des expéditions punitives qui n’ont épargné personne. Enfants, vieux, femmes et hommes, tous ont fait les frais de  la furie répressive des hommes en treillis.  Un calme « imposé » règne pour l’heure, mais jusqu’à quand ?

Genèse d’une répression préméditée

Il sonnait environ 21h 30, ce jeudi 7 septembre  au carrefour Déckon  et dans les rues  adjacentes  où campaient les manifestants qui voulaient le départ pur et simple de Faure Gnassingbé du pouvoir avant de rentrer chez eux. Rien ne présageait une issue tragique à cette manifestation pacifique, qui avait pourtant bien démarré la veille. Le sit-in improvisé battait son plein. Certains artistes engagés « chauffaient » l’immense foule, les bonnes volontés préparaient de la nourriture sur place pour les manifestants. Les nattes ont été dressées tout au long des voies et certains commençaient déjà à dormir. Les moins jeunes profitaient de quelques espaces vides pour jouer au football nocturne. Les leaders de l’opposition n’étaient pas en reste. Ils étaient également aux côtés du peuple. Des rumeurs circulaient sur une probable répression. Mais, vu l’immensité de la foule, certaines personnes émettaient  des doutes sur cette perspectives. « C’est inimaginable qu’on veuille disperser ce monde fou dans cette nuit », nous répondait un observateur des Droits de l’Homme. Et pourtant !

Peu avant 22 heures, l’électricité a été coupée dans la zone de la Colombe la paix. La tension commence à monter. La panique s’installe. « C’est quoi le plan ? », se demandaient certains manifestants.  Internet étant coupé, difficile de s’informer.  Quelques instants après, les premières détonations de grenades lacrymogènes se font entendre.  C’est la débandade générale ! Un sauve-qui-peut spectaculaire. Un témoin de la scène relate les faits : « Nous étions ensemble avec les forces de l’ordre qui étaient jusque-là dans une posture républicaine. Avec la coupure de l’électricité, nous avons commencé à nous poser des questions. Mais, ils ont profité de l’obscurité pour nous infiltrer aussi bien avec les grenades, des gourdins cloutés que des matraques. Du coup, les premiers tirs ont commencé au milieu des manifestants.  Les gens ont cherché à se mettre vainement à l’abri. Ils tiraient à bout portant sur nous, sans distinction aucune ».

Dans cette répression barbare, sans sommation, il y a eu des piétinements, surtout des veilles personnes qui ont été « écrasées » sans aucune assistance. Les forces de répressions tiraient sur tout ce qui bougeait. Mais, c’était compter sans la détermination des jeunes qui ont « assuré » la résistance.

Résistance face à l’oppression

La bataille rangée dans la nuit  a tourné en faveur de la soldatesque qui a surpris tout le monde avec une violence inouïe. Mais quelques instants après le début de la répression aveugle des manifestants aux mains nues, les jeunes ont commencé à ériger des barricades un peu partout pour empêcher la progression des forces du « désordre ».  Les fumées des pneus brûlés s’entremêlaient aux vapeurs des grenades lacrymogènes dans cette nuit « noire », formant un mélange irrespirable. Difficile de se retrouver. Dans ce cafouillage, les premiers manifestants arrêtés sont systématiquement passés à tabac.  Les journalistes sont également pris à partie. Sylvio Combey, responsable du site « Africa Rendez-vous » s’est vu retirer sa caméra, qu’il ne reverra certainement plus (il lui a été signifié à la DCPJ qu’aucune caméra n’est parvenue au poste).  Déckon qui, était noir de monde, est redevenu presque désert. Seules les forces de l’ordre étaient visibles.  Place aux scènes de guérilla urbaine.  On a également assisté à quelques à-côtés cette nuit-là.  Au niveau des agents, alors que certains s’évertuaient à réprimer dans le sang leurs concitoyens, d’autres n’avaient d’yeux que pour les mets abandonnés sur place par les manifestants. Ils n’hésitaient pas à empiler dans leur œsophage, les restants de boule d’igname abandonnés.

Dans la foulée, certains jeunes ont tenté de se regrouper à nouveau à Déckon sans succès. Mais au même moment, les quartiers situés aux alentours de Bè s’embrasaient. Bè-Gakpoto, Akodessewa, Gbenyedzi, Ablogamé rentrent dans la danse. Un peu partout dans ces zones, ce sont des courses-poursuites et des arrestations tous azimuts, toute la nuit de jeudi, jusqu’au petit matin de vendredi, où on vivra des scènes d’horreur, identiques aux scénarii des violences de 2005.

Le vendredi d’horreur

Alors que la résistance se poursuivait dans les rues de Lomé, les forces de répression, soutenues par les militaires et des miliciens, font régner une terreur dans le quartier Bè et ses environs. Les maisons sont arrosées de bombes lacrymogènes. Les portes  des domiciles privés fracassés à coups de bottes. Les occupants  systématiquement violentés. Les actes de barbarie étaient enrégistrés un peu partout au passage du « cortège » répressif. Les scènes sont effroyables et d’une autre époque. Sur des vidéos amateurs qui passent en boucle sur internet, on aperçoit des militaires refaire le portrait aux personnes arrêtées, avant de les jeter dans leur fourgonnette. Le comble dans ce feuilleton indigeste, les non-manifestants étaient également brutalisés et  ramassés dans la foulée.

Les maisons visitées par les militaires et d’où ils sont ressortis bredouilles sont aussi arrosées de grenades lacrymogènes. « Dès qu’ils rentrent chez vous, ils ne demandent pas qui est qui. Ils passent directement à tabac tout le monde. Certains, encore plus zélés parmi eux, profèrent des menaces, comme quoi, ils reviendront leur montrer de quoi ils sont capables. Ces jours-ci, c’est vraiment difficile de vivre à Bè. Nous vivons dans la peur permanente », raconte un habitant. Pour bilan, on évoque plus d’une centaine d’arrestations- des sources évoquent un chiffre de 163-, des blessés graves dont trois ont été opérés, sans oublier les motos et autres matériels saisis.

Cette expédition punitive a duré toute la journée du vendredi 8 septembre. Certains jeunes pourchassés, pour fuir les réprimandes, ont préféré quitter les quartiers « chauds » pour se mettre à l’abri ailleurs. Un calme précaire est revenu dans la soirée dans les différents quartiers visités par les forces de répression. Mais, jusqu’à quand ?

Le calme avant la tempête

C’est clair, la majorité des Togolais exigent le départ pur et simple de Faure Gnassingbé. La grogne qui monte dans le pays n’est que la conséquence des frustrations et de la précarité ambiante. Les Togolais sont déterminés et ils l’ont démontré à travers des manifestations pacifiques sur toute l’étendue du territoire.  Mais une fois de plus, la révolte populaire a été matée, sous l’impulsion des « sécurocrates » de la République.  L’avenir du pays est manifestement en péril. La plupart des Togolais ne veulent plus se laisser piétiner sans réaction. «  Depuis 50 ans, nous sommes privés de tout dans ce pays. La liberté n’est que pure incantation.  Notre quotidien est fait de misère. Se soigner reste un leurre. Ces manifestations, au-delà  du  caractère  politique des  revendications, sont l’expression d’un ras-le-bol général.  Mais, avec cette nouvelle répression, les gens ne vont plus se laisser faire.  Le pays risque à nouveau de sombrer  dans une nouvelle spirale de violences si dans les jours à venir, les lignes ne bougent pas. Faure Gnassingbé a une responsabilité dans cette histoire. Les jours à venir ne rassurent pas», assure un observateur de la vie politique togolaise.

La situation actuelle se résume en ce tweet  de Claudy Siar,  présentateur vedette de l’émission « Couleurs tropicales » sur Rfi : « Quand un peuple exprime son mécontentement, on le frappe, puis il se relève. On le cogne. Mais un jour, habitué aux coups, il reste debout ».

Shalom Ametokpo

Source : Liberté

27Avril.com