Grand marché de Lomé ou encore « Assigamé ». Ce marché qui faisait jadis la fierté du Togo est en train de perdre son lustre d’antan. Ce centre commercial, sanctuaire des Nana Benz, devient petit à petit un véritable repaire de reptiles, de rongeurs, etc. Depuis les incendies d’origine criminelle en janvier 2013, tout a changé. Il y a quelques mois, a eu lieu la cérémonie de la pose de la pierre qui devrait donner le top départ des travaux de reconstruction de l’édifice principal. Cet acte majeur mais symbolique a fait renaitre chez les commerçants et commerçantes une lueur d’espoir. Seulement, depuis là, RIEN A SIGNALER. Au plus grand désarroi des commerçants.
Samedi 03 Octobre 2020, aux environs de 15heures, nous nous sommes rendus sur le site pour constater l’évolution des travaux. Nous espérions retrouver un bâtiment sortant de terre. Mais quelle ne fut notre déception une fois sur place. Au cœur du marché se trouve une grande surface clôturée en tôles. Tout autour, se sont installées des revendeuses de divers articles qui ne cherchent qu’une petite place pour pouvoir écouler leurs marchandises. Le lieu grouille de tant de monde qu’il n’y a même pas de petites allées entre les revendeuses. De la place, les commerçants et les commerçantes en ont besoin. Pourtant, à l’intérieur de cette clôture, c’est le vide total. Les deux entrées, l’entrée principale et le petit portail derrière sont gardés par les agents de sécurité. Interdiction d’y entrer sans l’autorisation des responsables de l’Etablissement public autonome pour l’exploitation des marchés (EPAM), même après présentation de la carte de presse.
Cependant, la porte principale et la petite porte servent de raccourci pour les revendeurs et revendeuses. Certains commerçants profitent de l’espace vide pour emballer leurs marchandises sur autorisation des forces de sécurité. A la place de l’édifice, ce sont plutôt des herbes qui occupent presque toute la surface et quelques arbres ont trouvé une terre fertile pour pousser. « C’est mieux de lancer pour un moment un projet d’agrobusiness. Ce serait plus rentable, d’ailleurs », ironise une commerçante.
Çà et là jonchent des meubles et des paniers usés qui n’attendent que d’être jetés au dépotoir, s’ils ne sont pas déjà au dépotoir. Seule bonne nouvelle sur le site, l’EPAM y a installé quelques dispositifs de lavage de mains. Mais reste à savoir s’ils fonctionnent réellement. Sur un espace occupé par des herbes et quelques arbres, s’observe de près, une pierre d’environ 1,5 de hauteur sur laquelle est inscrit : « En l’an deux mille vingt et le trente janvier, son excellence M. Faure Gnassingbé, président de la République, a posé la première pierre du nouveau bâtiment du grand marché de Lomé ».
Eh oui, 7 ans après l’incendie du Grand marché de Lomé, les travaux de reconstruction du bâtiment ont été lancés en grand pompe, en janvier 2020, à la veille de l’élection présidentielle du 22 février, par la présidente de l’Assemblée Nationale, Madame Yawa Djigbodi Tsegan, représentant le chef de l’Etat à la cérémonie.
Neuf (9) mois après le lancement des travaux, c’est le statu quo. Absolument rien n’a démarré sur le site. Même pas la fondation ou des signes visibles démontrant le démarrage effectif des travaux dans les mois à venir. Pourtant les travaux sont prévus pour durer 18 mois à compter de la date de la pose de la première pierre.
En 2013 dans la nuit du 11 au 12 janvier, tout Lomé était sous le choc. Le Grand marché de Lomé, l’un des poumons de l’économie togolaise, venait d’être ravagé par un incendie. Les commerçantes ont tout perdu, l’économie de toute une vie. Malgré quelques mesures d’accompagnement de l’Etat envers les victimes, plus de 90 % ne se sont pas remis de ce drame à ce jour. L’enquête ouverte depuis lors, est rangée dans la liste des nombreuses enquêtes non abouties au Togo, malgré l’intervention de la France dans ce dossier. Les responsabilités n’ont pas été situées. Les Togolais et surtout les commerçantes victimes de cet incendie, ont décidé de tourner la page des enquêtes, sachant qu’elles n’aboutiront jamais, et de mettre le cap sur la reconstruction du bâtiment.
Ainsi, après plusieurs années de supplication, de cris et surtout de patience, les autorités ont enfin décidé de lancer la reconstruction du bâtiment central, dont la pose de la première pierre a été effectuée le 30 janvier 2020.
Le coût du projet de reconstruction est estimé à 11.489.994.454 F CFA. Le nouveau bâtiment, de type commercial d’architecture moderne de cinq niveaux avec un rez-de-chaussée et quatre étages, vise à redonner un cadre propice aux activités commerciales en vue de la relance de l’économie et permettre aux commerçantes de retrouver leurs activités.
Le rez-de-chaussée va abriter 71 boutiques et des étages sur une superficie de 2 341 m2. Au 1er étage, il y aura 370 locaux dont 13 pour les grossistes, 35 boutiques, 302 kiosques, et deux étales de la même superficie. Au 2ème étage, on dénombrera 374 locaux, dont 33 grossistes, 39 boutiques et 302 kiosques. Le niveau 3 sera composé de 341 locaux dont 41 grossistes 30 boutiques et 170 kiosques. Au 4ème niveau, seront construits 120 kiosques, 105 étales, un restaurant, un espace pour événement. Selon le ministre des Infrastructures et des Transports, Zouréhatou Tcha-Kondo, « la promesse du Chef de l’Etat Faure Gnassingbé de reconstruire un nouveau bâtiment du grand marché d’Adawlato se concrétise par cette cérémonie officielle de pose de première pierre qui permet le démarrage effectif des travaux ». Ces travaux qui vont être livrés en 18 mois selon les autorités.
De beaux discours à l’approche de l’élection présidentielle pour calmer les ardeurs de ces commerçantes qui s’impatientent à l’idée de relancer leurs activités dans les nouveaux locaux, selon certains observateurs. L’Etat des lieux 9 mois après la pose de la première pierre semble leur donner raison. Les autorités vont-elles mettre cela aussi sur le dos de la Covid-19 ? Malgré cette crise sanitaire, des chantiers sont ouverts un peu partout sur l’étendue du territoire. De plus, selon les informations, avec le lancement du projet d’appui à la reconstruction des marchés et aux commerçants de Lomé et de Kara (PARMCO) en 2014, le Togo avait bénéficié d’un prêt et don de la Banque africaine de développement (BAD) de plus de 10 milliards de FCFA. Certains pensent qu’il s’agit d’un mépris envers ces commerçantes, surtout les « Nana Benz » qui ont été pendant de longues années accusées de servir de bras financier à l’opposition togolaise. Un soutien mal vu par le régime cinquantenaire qui a usé de tous les moyens pour réduire leur influence dans la vie politique. Selon certaines indiscrétions, l’incendie du grand marché de Lomé fait partie de ce plan visant à anéantir ces femmes d’affaires et pour couper leur soutien à l’opposition.
Le ras le bol des commerçantes
« Le grand marché de Lomé est l’un des grands de la sous-région, et probablement le plus connu pour ses « Nana Benz », ces grandes femmes d’affaires qui, par leurs succès, constituent l’autre poumon économique du pays, précédant le Port autonome de Lomé. Ces femmes d’affaires ont construit, dans les années 1970 et 1980, un empire du textile qui s’étend sur toute l’Afrique de l’Ouest ». C’est par ces mots que l’ex-Ministre des Infrastructures et des Transports, Zouréhatou Kassah-Traoré, a fait l’éloge de ces braves femmes lors de la cérémonie de la pose de la première pierre, leur promettant qu’elles pourront enfin retrouver leurs activités dans 18 mois. Mais ce rêve tant attendu de ces braves femmes va encore devoir attendre longtemps. « Ces autorités ne se préoccupent pas de nous. Elles sont venues ici pour nous dire qu’on va démarrer les travaux de reconstruction et que dans 1 an et demi, on peut à nouveau, pouvoir vendre dans le nouveau bâtiment, mais depuis là, rien. Elles nous ont carrément oubliés », déplore Akpédjé, revendeuse de pagne.
« Nous sommes fatiguées des vaines promesses. Vous-même, vous voyez comment nous sommes entassées autour de la clôture ici. Nous avons besoin de place vendre. Au début de l’année, nous nous sommes dit, enfin, dans 18 mois, nous allons pouvoir retrouver un nouveau bâtiment, mais il n’en est rien.», fulmine Reine, revendeuse de chaussures aux alentours de la clôture.
L’espoir donné aux commerçantes lors de la pose de la première pierre a laissé place, aujourd’hui, à l’amertume et la détresse. Les commerçantes devront encore attendre longtemps pour retrouver leurs activités dans le nouveau bâtiment. Vivement que les travaux démarrent dans un bref délai pour redonner à ces femmes, qui ont tout perdu dans cet incendie, du sourire et leur permettre de relancer leurs activités. Et ainsi redonner au grand marché de Lomé la place qu’il occupait dans la sous-région ouest africaine et dans toute l’Afrique, grâce à ses célèbres « Nana-Benz ».
S A
Source : Liberté N° 3246
Source : 27Avril.com