Il y a sept ans, l’opposant historique au régime togolais, Gilchrist Olympio, aujourd’hui président de l’Union des forces de changement, a fini par rejoindre le camp adverse. Face aux dirigeants africains qui se cramponnent au pouvoir, il défend les vertus de la négociation.
Comment Gilchrist Olympio, le meilleur ennemi de feu Gnassingbé Eyadéma, est-il devenu l’allié de l’héritier du régime, Faure Gnassingbé ? Tout n’a pas encore été dit sur cet accord signé en 2010 par ces deux ennemis héréditaires, qui semblaient irréconciliables. Tirant les leçons de quarante années de confrontation aussi violente qu’infructueuse, le fils de Sylvanus Olympio, le père de l’indépendance togolaise assassiné en 1963, a fait nommer au gouvernement quelques-uns de ses partisans.
Et, aujourd’hui âgé de 80 ans, l’ex-opposant envisage de rafler avec son parti, l’Union des forces de changement (UFC), plusieurs grandes villes aux élections locales attendues l’année prochaine. Mais cet homme d’affaires prospère formé à la London School of Economics et à Oxford, qui nous a reçus dans son appartement parisien, se défend d’être allé à la soupe. Face aux régimes qui se cramponnent au pouvoir en Afrique, il dit avoir choisi la voie de la négociation.
Jeune Afrique : Il y a sept ans, votre parti a rejoint le gouvernement. Était-ce finalement une bonne idée ?
Gilchrist Olympio : Même si on est encore loin du compte, notre pays est en voie de démocratisation. En faisant partie du gouvernement, nous avons une meilleure connaissance des choses. Nos cadres y apprennent à gouverner. Avec le temps, ils ont acquis beaucoup d’expérience. Ils voyagent, parlent aux autres dirigeants et se constituent un carnet d’adresses.
Considérez-vous donc que la famille Eyadéma n’est plus votre ennemi héréditaire ?
Gnassingbé Eyadéma a été un malheur pour notre pays. Mais aujourd’hui, c’est à son fils que nous avons affaire et, en dépit du lien biologique, les deux hommes n’ont rien à voir. Ils ne partagent pas les mêmes idées. Nous avons considéré qu’il y avait une fenêtre d’opportunités et avons accepté de partager le pouvoir. Même si cette décision a été critiquée par nos propres collègues.
Jean-Pierre Fabre, votre ancien collaborateur, fait partie de ces détracteurs. Il s’en est allé créer son propre parti…
Il a considéré que le moment était venu pour lui de jouer un rôle plus important. Vous savez, la conquête du pouvoir est l’une des motivations de l’engagement en politique, tout comme la recherche du profit motive les hommes d’affaires.
Le Togo n’arrive pas à dépasser la ligne de fracture entre le Sud, où se situe le pouvoir économique, et le Nord, où est implanté le pouvoir militaire et politique
Le pays s’est-il réconcilié avec lui-même ?
Le Togo n’arrive pas à dépasser la ligne de fracture entre le Sud, où se situe le pouvoir économique, où l’on cultive et exporte le café, le cacao, un peu de bois et un peu de coton, et le Nord, où est implanté le pouvoir militaire et politique. Les gens du Nord ont peur des élections parce qu’ils craignent de perdre leurs privilèges. L’opposition doit donc user de doigté pour ménager nos compatriotes. Mais on peut tout de même critiquer le fait que le pouvoir soit concentré entre un certain nombre de communautés du Nord.
En avez-vous déjà discuté avec Faure Gnassingbé ?
Pas directement. Je lui dis que le secteur public et le gouvernement ont besoin d’être alimentés par les meilleurs cadres du pays, et non pas suivant la longue pratique régionaliste dont il a hérité. Mais lors des discussions, les gens du parti au pouvoir nous rétorquent souvent : « Si on laisse la porte ouverte aux sudistes, ils vont tout prendre. » Cette peur-là n’est pas facile à extirper.
Je suis convaincu que Faure Gnassingbé est différent de son père. Ce dernier ne se serait même pas assis à la même table que nous
Quels sont vos rapports avec le président ?
Nos relations ne sont pas mauvaises. Il est jeune et, contrairement à l’image que certains lui accolent, il est intelligent. Quand vous discutez avec lui, vous constatez qu’il a une bonne culture générale. Et il est ouvert à la critique. Quand il le juge nécessaire, il me consulte sur certains dossiers. Par ailleurs, il a insisté pour que je l’accompagne à la prestation de serment de Nana Akufo-Addo, le nouveau président du Ghana. En revanche, je n’ai jamais rencontré Gnassingbé Eyadéma, qui m’a pourtant condamné à mort deux fois. Je suis convaincu que Faure Gnassingbé est différent de son père. Ce dernier ne se serait même pas assis à la même table que nous.
Quel jugement portez-vous sur la gouvernance de Faure Gnassingbé ?
Comme tout le monde le sait, elle pourrait être améliorée. Les projets de développement ne sont pas mis en œuvre assez rapidement. Lors de ma tournée politique, j’ai été frappé par la grande pauvreté dans le nord du pays. Parfois, il n’y a même pas d’eau potable. Il est urgent de trouver une solution à ces problèmes.
Dispose-t-il de la marge de manœuvre nécessaire pour aller plus vite ?
Je ne sais pas. Il pourrait réaliser de bonnes choses s’il était bien entouré et si l’opposition faisait pression sur lui de manière constructive. Mais il a gardé auprès de lui ses amis ainsi que beaucoup de proches de son père, et il n’y a pas d’opposition organisée qui puisse avoir un rôle de contre-pouvoir. C’est un bric-à-brac où chacun fait ce qu’il veut. Malgré tout, je pense que Faure Gnassingbé est plein de bonne volonté. J’apprécie aussi qu’il accorde beaucoup d’importance aux questions sociales.
Comment concevez-vous votre rôle d’opposant devenu modéré ?
Personnellement, j’ai tiré des leçons de mon expérience aux élections de 1998. Tous les observateurs, y compris Thabo Mbeki, ont dit que j’avais gagné dès le premier tour. Mais nous n’avons pas pu déloger Gnassingbé Eyadéma du pouvoir. De plus, la France ne voyait pas d’un bon œil les oppositions africaines et elle ne nous a pas aidés.
La suite n’a pas été facile. Dans ces conditions, nous avons compris que nous devions procéder autrement et négocier. L’opposition doit être constructive. Il ne faut pas critiquer pour critiquer, ni avoir recours à la violence, cela ne marche pas. Mais les jeunes ne nous suivent pas toujours. Beaucoup sont persuadés que seule la manière forte peut changer les choses.
Les manifestations sont pourtant régulières dans le pays…
Pour moi, le combat politique ne doit plus s’exprimer dans la rue. Nous devons apprendre à négocier, approcher nos adversaires et confronter nos points de vue, les rassurer du mieux possible. Il en sort toujours quelque chose. Une nouvelle génération arrive au pouvoir et elle est beaucoup plus ouverte que les précédentes. Pendant trente-cinq ans, nous avons été dirigés par un sergent de l’ex-armée coloniale française qui savait à peine lire et écrire. Maintenant, avec de jeunes gens biens formés, nous pouvons avancer.
L’opposition peut-elle un jour parvenir à l’alternance si elle n’obtient pas d’abord les réformes institutionnelles pour lesquelles elle se bat ?
Il n’est pas judicieux de se cantonner à ces réformes, car celles-ci ne garantissent en rien la victoire. C’est surtout l’unité de l’opposition qui peut aboutir à l’alternance. Lors des dernières élections, elle a obtenu dans son ensemble le même résultat que le parti gouvernemental. Mais elle est divisée. Il y a trop de chefs. Je me demande d’ailleurs s’il ne serait pas préférable d’instaurer des primaires pour que les uns et les autres confrontent leurs idées et leurs programmes.
Attendues depuis plus de trente ans, des élections locales vont finalement se tenir en mars ou en avril 2018. Y participerez-vous ?
Nous nous y préparons. Je crois que mon parti a de bonnes chances de remporter plusieurs grandes villes du pays. Nous attendons de savoir comment ces élections seront organisées. Une chose est sûre, tout le monde est d’accord pour y participer.
Jeune Afrique