Les jours s’égrènent et le séjour de nos confrères Ferdinand Ayité et Joël Vignon Egah interpellés et mis sous mandat de dépôt depuis le 10 décembre, se rallonge dans l’une des cellules de la Brigade de Recherche et d’Investigations (BRI) dans le cadre d’une procédure judiciaire alambiquée.
Toutes les organisations de presse en exercice dans le pays sont montées au créneau pour dénoncer l’usage du code de procédure pénale en lieu et place de celui de la presse qui régule la fonction de journaliste dans le pays. Aucune suite ! La société civile, les leaders des partis politiques, ainsi que d’opinion ont fait leur part, rien n’y est fait.
La communauté Internationale, à travers des organisations fiables et viables comme Reporter Sans Frontière, Amnesty, Comité pour la Protection des Journalistes ainsi que de puissants journaux dont Le Monde, ont dénoncé une détention arbitraire et appelé ouvertement à leur libération. Les lignes non plus n’ont bougé.
Au contraire, le procureur de la République, Mawama Talaka a cru utile de sortir pour affirmer avoir été instruit par son chef hiérarchique, qui lui aussi, a longtemps fait ses armes à ce poste de procureur et fut décrié à plusieurs reprises pour sa conduite d’innombrables dossiers dans une remarquable opacité, aux fins de l’ouverture d’une procédure judiciaire pour outrage et consorts à l’encontre des ministres en fonction.
Très à l’aise, il s’est justifié par rapport au recours à ce code de procédure pénale, en s’appuyant sur des dispositions dudit code qui heurtent de front le bon sens et la raison. Ainsi donc le statut de journaliste, consacrant l’identité sociale des deux confrères mis en cause leur est dénié, en plein jour, sous le prétexte de ces prétendues dispositions juridiques visiblement inadéquates dans le contexte actuel où les médias sociaux deviennent naturellement incontournables.
Au regard de l’acharnement dont ils font l’objet, de l’entêtement des autorités judiciaires à les maintenir coute que coute en prison au mépris de leur statut, des gages de représentativité qu’ils présentent et des incessants appels qui fusent de partout, il y’a lieu au bout du compte, de s’interroger sur les mobiles réels qui fondent ces interpellations pour le moins surprenantes. D’où la présente analyse du contexte.
En effet, il est désormais connu de tous que dans notre pays le Togo, la culture du silence semble être la mode. Il n’existe guère de médias privés puissants en mesure d’embrasser tous les citoyens à la fois sur le territoire national. Les médias qui semblaient avoir une telle aura ont été gentiment fermés, il y’a déjà des années. Ainsi donc existent juste de petits organes de presse dont les directeurs de publications éprouvent de réelles peines pour les maintenir en vie et garantir leurs parutions régulières. Il en est de même des radios et télévision dont le champ de couverture est sensiblement faible et très rétrécis.
Seules les médias officiels, notamment la télévision nationale, les Radios de Lomé et de Kara ainsi que le quotidien national Togo Presse sont en mesure de couvrir la plus grande partie du pays. Connaissant bien la ligne éditoriale de tels organes qui a un penchant quasi naturel pour le pouvoir, ainsi que les moyens de l’Etat dont ils bénéficient, l’on peut aisément conclure que la volonté du dirigeant est tout simplement de se faire journellement encenser sans aucune espèce de critique, même constructive soit-elle.
Ainsi donc s’explique amplement son indisponibilité à œuvrer pour la création des médias privés puissants capables d’impulser une concurrence effective avec les médias officiels et ainsi de participer, par une grille solide de programmes, à nourrir convenablement l’esprit des citoyens, d’informations fiables et crédibles tout en provoquant le déclic de vrais débats contradictoires dans le pays.
Dans un tel contexte marqué par une sorte de vacuité de médias privés solides et crédibles, une absence évidente de débats contradictoires qui, en principe, poussent les acteurs politiques et d’opinion ainsi que les gouvernants, à se déployer pour tendre continuellement vers l’excellence, oser mettre en place un canal qui défie et même bouscule un tel écosystème, est sans doute risqué.
Or depuis plus d’une année déjà, Ferdinand Ayité s’est associé à un partenaire pour créer une chaine Youtube dénommée L’Autre Journal dont l’impact commence naturellement à bousculer les codes du silence régnant en triomphe dans le pays. Il suffit en effet, de visiter chacune des émissions qui y sont diffusées pour se rendre à l’évidence de l’intérêt général qu’un tel média social suscite auprès de l’opinion nationale et au sein de la diaspora. Le nombre de visites et de commentaires sous chaque émission ne cesse de grimper, pendant que des portions des propos, souvent très critiques vis-à-vis de gros pontes du pouvoir, pullulent régulièrement sur d’autres réseaux sociaux, notamment à chaque émission diffusée. Tout ceci a le mérite, évidemment, d’ouvrir les yeux des citoyens sur un certain nombre de dysfonctionnements dans l’appareil directionnel de l’Etat et ainsi de fermenter davantage le climat social déjà tendu du fait de la précarité ambiante dans le pays.
Dans cette situation, le moins que l’on puisse dire, en toute logique, est que les promoteurs d’un tel canal qui devient de plus en plus puissant en terme d’audience, ne pourraient pas être en odeur de sainteté avec les gouvernants qui, eux, donneraient tout pour avoir un sommeil tranquille, même s’ils sont encerclés par certains faits graves qui ont cours dans le pays.
Naturellement Ferdinand Ayité et Joël Egah qui, depuis un bon moment, sont les principaux animateurs de cette chaine sont déjà exposés, surtout qu’aucun parmi les deux, n’a la langue de bois. Ils parlent avec leur cœur, disent tout sans gang ni filtre, logiquement avec pour ambition de pousser les gouvernants à prendre conscience des manquements, dysfonctionnements et goulots d’étranglement qui engluent le pays dans une forme de torpeur à plusieurs égards et compromettent le Vivre Ensemble.
Ainsi donc, on peut aisément imaginer que le pouvoir les guettait, les pistait et filait chacun de leurs propos de sorte à y déceler les moindres pépins en vue de s’en saisir pour les museler ou même éteindre de fait ce média devenu au bout du compte particulièrement gênant. Il me semble que désormais, nous y sommes de plain-pied dès lors que les deux mousquetaires se trouvent dans la nasse et les gouvernants semblent ainsi se satisfaire du silence qu’ils obtiennent désormais par leur maintien dans les liens de la détention.
Si notre analyse est vraie et rend effectivement compte des vrais mobiles qui ont fondé leur interpellation, il parait certain que les gouvernants joueront crânement les têtus pour les détenir autant que possible dès lors que le gain en retour semble leur importer plus, en l’occurrence le silence dans le pays ainsi que l’obscurantisme dans lequel patauge le peuple.
Ainsi pourrait alors se justifier la sourde oreille qu’ils font aujourd’hui devant tout le bruit que cette détention a suscité au sein de l’opinion et partout dans le monde. Mais ce faisant, l’image du pays tombe en berne alors qu’elle était déjà écornée par plusieurs facteurs, pendant que les investisseurs, déjà rares sinon rarissimes, regarderont de loin tous les faits qui se produisent au quotidien dans ce petit pays de l’Afrique de l’Ouest, sans jamais songer y mettre pied.
Par quelle alchimie donc, nos gouvernants pourraient-ils opérer le miracle de l’émergence de notre cher Togo, d’en faire un Etat-Nation qui offrirait à ce peuple, la chance d’un épanouissement effectif ? Il y’a nécessairement lieu pour nos dirigeants de revoir leurs cartes si tant est que la vie et le sort de chaque citoyen dont ils ont la charge leur importent au premier plan.
Luc ABAKI
Source : icilome.com