Togo : Faut-il compter sur la « Communauté Internationale » ?

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Pour qui suit attentivement la politique togolaise, la « communauté internationale » demeure une énigme tant l’évocation de ce terme suscite plus de questions que de réponses.

Togo : Faut-il compter sur la « Communauté Internationale » ?

Cette communauté internationale est tour à tour présentée comme une solution, un problème, une lueur d’espoir, une source constante de frustrations, un allié de l’opposition, un soutien du pouvoir, un acteur qui ne comprend pas du tout la lutte du peuple togolais et en même temps un acteur qui maîtrise tout sur le dossier togolais. Elle est tantôt présentée comme l’antidote aux agissements du parti au pouvoir, tantôt comme le principal soutien du pouvoir, surtout lorsque cette communauté ne fait pas ce qu’on attend d’elle – c’est-à-dire soutenir ouvertement l’opposition.

On entend certains opposants et pas des moindres tenir des propos du genre « nous condamnons fermement la communauté internationale pour le deux poids deux mesures », ou bien « nous on s’en fout de la communauté internationale » etc. La dernière en date, ce sont les propos prêtés à un politicien de premier plan selon lequel l’ambassadeur d’un pays dont je tais le nom ici « est carrément devenu un membre de RPT-UNIR », ceci à cause de certains propos que cet ambassadeur aurait tenu sur la crise politique. Pour autant, chaque acteur de la classe politique sait que l’aval de la communauté internationale est un important atout dans les pays anciennement colonisés comme le nôtre.

Une définition très simple serait de dire que la communauté internationale est l’ensemble des acteurs qui ont des intérêts dans un pays. Des intérêts financiers, culturels, diplomatiques, et autres. Au Togo ces acteurs comprennent des pays comme la France, l’Allemagne, les USA, la Chine ; des multinationales comme le Groupe Bolloré ; des personnes physiques y compris des trafiquants de tout genre pour qui le Togo est une base arrière. Ces intérêts peuvent être minimes ou colossaux, visibles ou invisibles.

Chaque pays a sa « communauté internationale ». Par exemple les Pays-Bas ne font pas partie de cette communauté lorsqu’il s’agit du Togo, car ce pays n’a pas d’intérêts au Togo. Mais lorsqu’il y a crise au Bénin voisin, les Pays-Bas font entendre leur voix, car ils ont des intérêts au Bénin.

La première chose à savoir donc est que la communauté internationale n’est rien d’autre qu’une communauté d’intérêts. Lorsqu’on appelle les membres de cette communauté à témoin ou au secours, c’est parce qu’on reconnaît déjà leurs intérêts particuliers au Togo. Pour être cohérent, il est absurde de leur reconnaître des intérêts, de vouloir s’attirer leur sympathie sur la base de leurs intérêts, et de les condamner pour des attitudes qui ont trait à la poursuite ou à la défense de ces intérêts. C’est vouloir le beurre et l’argent du beurre, ce qui n’est pas une bonne recette pour un homme politique.

La seconde chose qu’il faut savoir c’est que puisque ce sont les intérêts des membres qui justifient l’existence de la communauté, ces membres ne comprennent que le langage des intérêts. C’est le seul langage qu’il faut leur parler pour obtenir quoique ce soit auprès d’eux. Essayer autre chose est une erreur et une perte de temps. La « sympathie » d’un membre de la communauté internationale envers un parti ou mouvement politique s’explique par l’opportunité que ce mouvement représente pour la pérennité des intérêts de ce membre. De même toute « antipathie » envers un autre parti politique ne peut que s’expliquer par rapport au danger que représente ce parti pour les intérêts du membre en question de la communauté. Dire que tel acteur de la communauté internationale « aime » ou est proche des individus de telle ethnie, telle religion ou telle région n’est rien d’autre qu’un « comportement de colonisé », pour parler comme FRANTZ FANON. La communauté internationale s’en fout de votre profil tant que ses intérêts sont respectés. Elle n’a que des intérêts, pas d’amis.

La troisième chose qu’un acteur politique doit retenir c’est qu’au sein de cette communauté, il y a ceux qui sont prêts à vous aider à arriver au pouvoir ou à le garder pour peu que cet investissement maintienne leurs intérêts ou leur en rapporte encore plus. Il y a ceux qui ne vous aident pas mais ne s’opposent pas ouvertement à votre parti, mouvement ou vision politique ; ceux-là sont des neutres et ils pensent qu’ils s’en sortiront que ce soit avec vous ou avec un autre. Il y a enfin ceux qui vous haïssent car vous représentez un risque réel pour leurs intérêts.

Donc la réussite d’un mouvement politique qui aspire à conquérir le pouvoir avec l’aval de la communauté internationale viendra de la capacité de ce mouvement à non seulement obtenir le soutien continu des acteurs qui lui expriment déjà leur sympathie, mais aussi à attirer les neutres et à rassurer ceux qui luttent ouvertement contre l’avènement de ce mouvement au pouvoir.

Lorsqu’on félicite ou condamne la communauté internationale, ce sont les trois catégories de membres de cette communauté qui se sentent interpelées. Seulement à force de répéter les condamnations tout azimut comme les opposants togolais le font si bien, ils courent le risque de perdre de la crédibilité aux yeux de tous, la conséquence étant qu’ils peuvent perdre les quelques amis qu’ils ont parmi cette communauté, et de renforcer les soutiens au parti au pouvoir.

Les opposants togolais s’étonnent parfois qu’un acteur de la communauté internationale qui leur était favorable ou qui ne manifestait pas d’hostilité à leur égard change subitement de comportement. C’est parce que des propos que les opposants ont tenu au fil du temps ont fini par convaincre cet acteur de la communauté internationale qu’il n’a rien à attendre de ces hommes politiques.

Tenir publiquement un langage politique en fonction des intérêts de la communauté internationale dans notre pays n’est pas pour autant une trahison des intérêts du peuple pour lequel on lutte. C’est juste une façon de prouver qu’on comprend comment les choses marchent. C’est en général tout ce que cette communauté attend des hommes politiques dans tous les pays, surtout les anciennes colonies. Pendant la campagne américaine de 2016, Donald Trump prenait plaisir à s’attaquer et à offusquer communauté, mais s’il était au Togo ou en Afrique, ça aurait mal tourné pour lui.

Bien que les positions des membres de la communauté internationale présents au Togo laissent à désirer, je crois que les leaders de l’opposition togolaise ont tout à gagner en taisant leurs émotions pour composer avec des acteurs internationaux dont le soutien est crucial pour l’aboutissement de la lutte pour l’alternance. C’est aussi un combat pour les intérêts du Togo.

Aminou Ben Yaya

27Avril.com