Si beaucoup ignorent les contours des élections locales, c’est à raison. Mais parce que le peuple a tellement été déçu par les conditions d’organisation et de proclamation des résultats d’élections législatives et présidentielles passées, il ne veut plus trouver nécessaire de se mobiliser pour les locales qui se profilent à l’horizon. Or, curieusement, l’opposition qui a boycotté les dernières législatives, appelle à une mobilisation, tant pour envahir les centres de récensement, que pour prendre part aux consultations du 30 juin. Pour de très bonnes raisons.
En considérant seulement la capitale Lomé, il devient de plus en plus clair que le pouvoir ne tient plus à voir des manifestations de rue ébranler le fauteuil présidentiel de la famille Gnassingbé. Et un retropédalage permet de réaliser que la dernière fois qu’une note d’information de partis politiques ou de mouvements de la société civile a été déchargée avec avis favorable, c’était aux temps de nos grands-parents. Or, il se trouve que ces notes d’information sont toutes adressées au maire de la ville. Et avec la prochaine élection de ces responsables locaux dans toutes les grandes villes du Togo, les Préfets verront que le pouvoir dont ils disposent et dont ils usent et abusent sera désormais partagé : entre eux qui sont nommés et les maires qui seront élus. Se posera alors la question de celui d’entre eux que les populations adouberont.
Deuxième remarque, et c’est peut-être la plus pertinente et qui bouleverserait probablement les plans du régime en place, la composition du Sénat. « Le Sénat est composé de : deux tiers (2/3) de personnalités élues par les représentants des collectivités territoriales; d’un tiers (1/3) de personnalités désignées par le Président de la République. Et des anciens présidents de la République, membres de droit à vie », renseigne l’article 52 nouveau. Oui, si le 1/3 des membres du futur Sénat derrière lequel Faure se prépare à se réfugier pour bénéficier d’une protection multirisques à vie seront désignés par celui-ci, reste que les 2/3 émaneront des représentants des collectivités territoriales. Or, le rôle du Sénat, lorsque le pouvoir se décidera à le mettre en place, n’est pas négligeable, loin s’en faut. Autrement, ce ne serait pas sous son paravent que l’actuel locataire voudra se réfugier à la fin de son mandat qui peut intervenir désormais en 2020 au plus tôt, et 2030 au plus tard. Bien que la nouvelle mouture de la loi fondamentale soit taillée sur mesure en prenant en compte des humeurs d’une seule personne, l’opposition et les mouvements de la société civile semblent avoir compris que l’enjeu des élections locales mérite qu’ils y soient. Apparemment, ils ont compris qu’ils peuvent encore « faire de l’enfer, leur ciel ».
Troisième remarque, les conditions de proclamation des résultats. Personne n’a encore révélé cette réalité qui échappe à beaucoup de citoyens togolais. Tous ceux qui, aujourd’hui, ont 50 ans et sont de nationalité togolaise, n’ont jamais participé à une élection locale, vu que c’est depuis trente-deux ans que la dernière consultation a été organisée. Depuis ce temps, les collectivités locales ont été placées sous le régime des délégations spéciales et le Togo est resté le seul pays au monde à toujours perpétuer cette forme d’arriération politique. Du coup, c’est une très grande partie de la jeunesse et de la population active qui ignore les conditions de proclamation des résultats de ces élections locales.
Les Togolais ont été habitués à des élections aux résultats « conditionnés ». Parce qu’il se passe un processus de « centralisation » au cours duquel « tous les tripatouillages » sont permis. Et les délais que s’accorde le régime ont fini par convaincre les uns et les autres que « quel que soit le vote, c’est le régime qui gagne ». Mais avec les locales, la donne est tout autre. Tous les résultats seront proclamés par les Commissions électorales locales indépendantes (CELI), à moins qu’elles ne soient pas véritablement indépendantes. Aussi, tous les ingrédients seront réunis pour que les résultats de l’élection soient les plus plausibles possibles. Comment alors les Togolais ne saisiraient-ils pas cette opportunité pour mesurer ce que vaut réellement chaque camp –opposition, parti au pouvoir et société civile- en cas de transparence ?
Alors loin de s’étonner des appels tous azimuts des uns et des autres, les populations devraient plutôt saisir l’occasion pour s’exprimer, même si toutes les conditions d’équité ne sont pas réunies. Ne dit-on pas qu’« une goutte d’eau persistante finit toujours par creuser la pierre » ?
Abbé Faria
Source : Liberté No.2923 du 17 mai 2019
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