Togo, Dictature et Vie Chère : Des Mesurettes Qui Ne Changent Rien aux Revendications du Peuple

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« Un peuple averti ne doit jamais tendre la main à ses dictateurs qui ont signé un pacte avec le diable. » Mokhtar Reguieg, (homme de Lettres algérien)

Une dictature peut-elle se démocratiser elle-même et s’humaniser? Les tenants de la dictature, leurs lâches soutiens et profiteurs peuvent-ils tout à coup commencer par avoir un coeur pour leurs concitoyens, parmi lesquels ils voient en permanence des dangers à leur règne sans fin? Le dictateur Faure Gnassingbé, peut-il, comme par magie, se muer en bienfaiteur pour les Togolais dont plusieurs sont privés de liberté depuis longtemps, dont beaucoup ont dû quitter ce monde dans la violence et dans la souffrance pour des raisons politiques, sans oublier ces plusieurs dizaines d’autres, contraints à l’exil pour les mêmes raisons? L’humanisme, un coeur pour les populations dont on a la charge, la bonne gouvernance; toutes ces valeurs ne devraient-elles pas commencer par l’amour de l’être humain tout court, de son intégrité physique, et surtout de sa vie?

En nous référant à notre citation du début qui stipule que les dictateurs auraient signé un pacte avec le diable, et en considérant, en tant que Togolais, les nombreux dégâts sur tous les plans, malheureusement presqu’irréparables, déjà causés par la gouvernance politique anti-peuple depuis un demi-siècle, tout observateur lucide pourrait bien comprendre nos multiples interrogations et douter de la sincérité et de l’impact réel de la soudaine gentillesse du gouvernement togolais vis-à-vis des populations bâillonnées. Pour être plus précis, en quoi les mesures prises par le gouvernement, ou plutôt par Faure Gnassingbé, vendredi dernier, peuvent-elle constituer le scoop de l’année?

Dans son éditorial de jeudi 15 juin 2022, le quotidien togolais «Liberté» faisait le parallèle entre ce qui se fait de concret comme réalisations dans un pays où il y a démocratie et alternance régulière au sommet de l’état et la gouvernance hasardeuse faite de mensonges, de promesses non tenues et surtout de corruption endémique dans un pays comme le Togo, où les dirigeants, mal ou non élus, n’ont de compte à rendre à personne. «Liberté» évoquait le fait que le président ghanéen Nana Akuffo Ado se soit lancé dans un vaste projet de réhabilitation des rails datant de l’époque coloniale, et de la construction de nouvelles lignes de chemin de fer entre plusieurs villes du pays, et surtout entre la ville portuaire Téma et le Burkina-Faso. Au Togo, des projets de construction d’infrastructures routières et ferroviaires modernes existent également, mais dans les discours officiels.«Le fleuve de l’espérance», un projet ambitieux qui consistait en la construction d’une autoroute reliant Lomé et la frontière du Burkina-Faso, et un chemin de fer pour connecter le Togo au réseau ferroviaire de la CEDEAO, fut lancé en grande pompe en 2013 par Faure Gnassingbé. Nos dirigeants revinrent à la charge en 2019 avec de nouvelles idées: connecter le sud au nord par une infrastructure ferroviaire de qualité, avec la construction du chemin de fer Lomé-Cinkassé. En 2020, à sa nomination à la primature pour inaugurer les chrysanthèmes, Victoire Tomégah garda le silence sur les promesses faites par son chef, et promit à son tour la construction de l’Autoroute de l’Unité devant relier Lomé et Cinkassé au nord du pays. Naturellement tous les trois projets promis depuis 2013 par nos plus hautes autorités politiques n’ont jamais connu, jusqu’à ce jour, le moindre début de réalisation.

Ce petit rappel de quelques ratés en termes de réalisations d’infrastructures pour souligner, comme s’il en était encore besoin, l’involonté politique du régime Gnassingbé pour qui le bien-être des populations reste le dernier des soucis. Et c’est pourquoi la soudaine envie de Faure Gnassingbé de jouer à «Mère Teresa» ne peut être que de la poudre jetée aux yeux des populations togolaises pour éblouir les plus naïfs. Les mesures prises par le gouvernement du Togo, pour soi-disant, soulager les ménages et protéger les couches les plus vulnérables, sont-elles vraiment à même de jouer ce rôle? N’est-ce pas d’ailleurs sous la pression de la presse libre et des associations de la société civile par rapport à ce qui se passe dans les autres pays de la sous-région en termes de décisions politiques pour amoindrir les effets de la cherté de la vie, que Faure Gnassingbé fut obligé de faire semblant d’avoir enfin un coeur pour ses concitoyens, même si ces mesures restent largement en déça des attentes des Togolais dans leur ensemble?

Concernant les mesures proprement dites, prises vendredi dernier et que nous qualifions de mesurettes, et après enquête auprès de compatriotes avisés au pays, nous pouvons nous permettre de faire notre petit commentaire en disant que l’augmentation de 10% de la valeur indiciaire des salaires et des pensions de retraite pour les fonctionnaires civils et militaires et les retraités, l’indemnité mensuelle de transport de 10 000 frs CFA pour chaque fonctionnaire, ne concernent que les fonctionnaires de l’état dont le nombre tournerait autour de 60 000, alors que le Togo héberge aujourd’hui plus de 8 millions d’âmes. Qu’en est-il alors du reste de la population? Le même cafouillage se retrouve au point 5 des fameuses mesures: «gratification spéciale de 3 milliards de FCFA par transferts monétaires directs au profit des parents d’élèves pour l’achat des fournitures scolaires.» L’idée ne serait pas très mauvaise, mais pourrait-on savoir pour quels parents d’élèves? Tous les parents togolais, qu’ils soient fonctionnaires, paysans, menuisiers ou ménagères? Ou la mesure ne concerne que les 60 000 fonctionnaires togolais? Et si les bénéficiaires étaient tous les parents d’élèves vivant sur le territoire togolais, fonctionnaires ou pas, comment concrètement l’argent leur parviendrait-il avant la rentrée scolaire fixée au 26 septembre 2022?

Des mesures prises pour, soi-disant, soulager les populations, et qui comportent des zones d’ombre comme c’est le cas ici, sont vouées à l’improvisation dans leur phase de concrétisation, et l’impact réel sur les potentiels bénéficiaires laisserait à désirer. La majorité des compatriotes togolais et togolaises que nous avons contactés au pays sont moins enthousiastes quant au partage juste à tous les bénéficiaires sans exception des 3 milliards de FCFA pour les fournitures scolaires. Beaucoup s’étaient souvenus de «Novissi» qui avait consisté à venir en aide aux bonnes femmes revendeuses de nourriture, aux propriétaires de petits restaurants qui durent arrêter leurs activités au temps fort du Covid-19. Le manque chez beaucoup de citoyens et citoyennes de cartes d’électeurs exigées et d’autres tracasseries, comme le défaut de réseau pour le transfert, avaient fait en sorte que beaucoup de bénéficiaires potentiels n’étaient pas entrés en possession des 12 500 FCFA par mois, et ce pendant 3 mois. Et le gouvernement togolais, jusqu’à aujourd’hui, n’a pas encore fait le point sur les quelques centaines de milliards de FCFA débloqués pour, théoriquement, venir à bout de la pandémie du coronavirus.

Dans l’ensemble les mesures prises par le gouvernement vendredi pour soulager les travailleurs ou les parents d’élèves ne sont pas une mauvaise chose. Mais seulement, la jarre togolaise est déjà trouée à plusieurs endroits pour les raisons que tout le monde connaît. Un grand problème qu’aucun rafistolage, aussi raffiné soit-il, ne saurait résoudre. Et le népotisme? Et la corruption à grande échelle en toute impunité? Et les massifs détournements de fonds destinés au bien-être de tous les Togolais? Et les violations des droits de l’homme? Les prisonniers politiques? Les exilés politiques? Les revendications politiques pour humaniser, un tant soit peu, la vie politique? Tout ne devrait-il pas commencer par là?

Samari Tchadjobo
Allemagne

Source : 27Avril.com